1120 - Où rien pourtant n'est Venise (Lettre à J.-M.) (1)

Publié le par 1rΩm1

 

[in  memoriam  J.-M.]

****, le 12 juillet 1982

J.-M.1, Pascal,

    Seconde tentative pour vous écrire. Chaleur accablante. Plage S****, il est dix-huit heures, rien d’autre n’est possible à faire que de faire terrasse — et vous écrire avec lenteur, des ralentis de pensée, une canicule dans l’âme. (Non, je n’écrirai pas vite, à la différence de cette lettre que je vous avais déjà écrite, et qui ressemble déjà au brouillon de celle-ci : je ne le pourrais pas.) L’été torride s’est installé, voyez, la place écrasée de chaleur, où tout est blanc, lavé de lumière tuméfiée, où rien pourtant n’est Venise, pas même les pigeons, où l’on aimerait la mer, ou, de préférence, l’océan, tranquille, derrière le souffle vide de cet été. — Désormais, tout est dit de mon état d’âme, il en est à peu près de la même manière pour ce qui est de mon état de cœur, et je pourrais me contenter de cette carte postale, me taire et vous l’envoyer. L’envie de vous écrire est cependant la plus forte et je me décide à poursuivre quand bien même il se peut que cette lettre reste entrebâillée. (Quelque chose dans la syntaxe de cette dernière phrase me semble défaillant, comme un manque à lui rétribuer, un iota que j’y aurais oublié : c’est possible qu’elle parle à mon insu, qu’en fait il y ait en elle un surplus qui la commente ou l’explique.) J’ajoute : pardonnez si l’encre se dilue de sueur, si mes pensées deviennent délétères, je n’ai rien d’autre à dire ici que le manque que j’ai de vous et qui cherche à se donner des parenthèses, des respirations, des fraîcheurs — comme si la pensée s’en allait forer en terre pour trouver l’eau dont elle a grand désir. — Bref, tout est fonction de la canicule qui nous accable.
    En avais-je exprimé le désir, ou n’est-ce qu’une coïncidence si j’ai reçu de vous, de Venise, un crépuscule s’étiolant sur le pont des soupirs
2 ? Quoi qu’il en soit, l’image était parfaite, en correspondance — mieux que les miroirs dont parle Tournier, ou les inévitables symboles phalliques — avec ce que j’en attendais. Manière de dire merci

1120 - Où rien pourtant n'est Venise (Lettre à J.-M.) (1)

(à suivre)

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1 Cf. 2nd P.-S.

2 [Sur la carte postale, J.-M. avait écrit :] « Un bonjour de Venise où les miroirs ne sont pas aussi beaux que le dit Tournier, mais c'est tout de même un endroit très agréable » [à quoi Pascal avait ajouté :] « ; et beau. »

[Et J.-M. avait ajouté ce postscript :] « Les symboles phalliques sont innombrables. »

 

 

 

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