1512 - March in Paris (7)
Journal extime
(19 mars - 26 mars 2023)
7
22 mars 2023
Matin
Il est 7 heures quand je me réveille. Khadija dort encore : je perçois un discret ronflement qui atteste la profondeur de son sommeil. Je me recouche et retrace nos après-midi et soirée de la veille dans mon petit carnet.
Les trains que Khadija avait prévu de prendre pour rentrer ne circulent pas. Nous cherchons un moyen de procéder à un changement sur Internet, sans toutefois y parvenir.
Nous décidons de nous rendre à la Gare de Lyon afin de pouvoir le faire. Après une assez longue attente due à une queue conséquente en ce jour de grève, nous sommes renvoyés à la Gare de l’Est, attendu que le personnel n’a pas accès au logiciel de la SNCF du Grand-Est. Khadija s’en montre exaspérée, et je tâche de jouer les badins en contrepoint. Finalement, nous attendons moins longtemps que précédemment Gare de l’Est, et elle obtient assez facilement des billets pour le surlendemain matin.
Je marche mieux et plus vite que la veille.
Je reçois un message de Duncan : lui n’aura non plus pas de train pour rentrer, si bien que nous ne pourrons nous voir samedi.
Après-midi
Nous déjeunons non loin de la Gare de l’Est. Puis nous prenons un bus jusque Jacquemart-André.
Nous visitons d’abord le premier niveau du musée que je n’ai pas parcouru depuis quelques années,
Antoon van Dyck (1599-1641), Le Temps coupant les ailes de l'Amour, Huile sur toile, Vers 1627, 187 x 120 cm, Musée Jacquemart-André
puis l’exposition temporaire consacrée à Giovanni Bellini.
Giovanni Bellini (v. 1435-1516) et Gentile Bellini (v. 1429-1507), dans l'atelier de Jacopo Bellini, Naissance de la Vierge, vers 1453, Tempera sur toile, Musei Reali - Galleria Sabauda, Turin
Gentile Bellini (v. 1429-1507), Annonciation, vers 1464-1465, Tempera et or sur bois, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid
Andrea Mantegna (1431-1506), Vierge à l'Enfant entre saint Jérôme et saint Louis de Toulouse, Vers 1455, Tempera sur bois, Musée Jacquemart-André, Paris
Giovanni Bellini, Vierge à l'Enfant, Vers 1475, Tempera et or sur bois, Palais Fesch-Musée des Beaux-Arts, Ajaccio
Hans Memling, Polyptyque de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste [Memento Mori, Vanity or Lust, Death], vers 1485, Huile sur bois, Musée des Beaux-Arts, Strasbourg
Hans Memling, Polyptyque de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste [Coat of Arms, Salvator Mundi, Hell], vers 1485, Huile sur bois, Musée des Beaux-Arts, Strasbourg
Hans Memling, Polyptyque de la Vanité terrestre et de la Rédemption céleste [Memento Mori, Vanity or Lust, Death], vers 1485, Huile sur bois, Musée des Beaux-Arts, Strasbourg
Cinq allégories (provenant du “Restello de Vicenzo Catena”), vers 1490-1495, Huile sur bois, Galllerie dell'Accademia, Venise
Andrea Mantegna (1431-1506), Jésus-Christ, 1493, Détrempe à la colle sur toile de lin, Museo Civico “ll Correggio”, Correggio
Giovanni Bellini, Christ mort soutenu par deux anges, Vers 1470-1475, Détrempe et huile sur bois, Gemäldegalerie, Berlin
Je revois avec la même émotion le Christ mort soutenu par trois anges d’Antonio de Messine que possède le Musée Correr de Venise.
Antonello de Messine (v. 1430-1479), Christ mort soutenu par trois anges, Vers 1476, Huile sur bois, Fondazione Musei Civici, Museo Correr, Venise
Antonello de Messine, Portrait d'un jeune homme, Vers 1475-1479, Huile sur bois, Gemäldegalerie, Berlin
Giovanni Bellini, Vierge à l'Enfant entourée de saint Jean-Baptiste et d'une sainte (Sainte Conversation Giovanelli), Vers 1500, Tempera et huile sur bois, Gallerie dell'Accademia, Venise
Giorgio da Castelfranco, dit Giorgione (v. 1478-1510), Christ portant la Croix, vers 1508, Huile sur toile, Scuola Grande di San Rocco, Venise
Vittore Belliniano (v. 1456-1529), Christ de pitié, Vers 1518-1520, Huile sur toile, Scuola Grande di San Rocco, Venise
Hans Memling (v. 1435/ 1440-1494), Christ bénissant, vers 1480-1490, Huile sur bois, Musei di Strada Nuova - Palazzo Bianco, Gênes
Giovanni Bellini (v. 1435-1516) et Atelier, Vierge à l'Enfant en trône, vers 1510-1515, Tempera sur bois, Musée Jacquemart-André, Paris
Giovanni Bellini, Dérision de Noé, Vers 1515, Huile sur toile, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Besançon
L’Ecce Homo de Mantegna est, lui, accroché moins en hauteur que d’ordinaire, ce qui en permet une vision plus frontale.
Andrea Mantegna, Ecce Homo, Vers 1500, Détrempe à la colle sur toile de lin tendue sur panneau de bois, Musée Jacquemart-André, Paris
Je prends, enfin, une photographie de Khadija devant une Vierge à l’enfant, que je destine à M., dont c’est l’anniversaire, occasion de lui envoyer un message commun.
Nous arpentons également le fonds Renaissance du musée, après avoir regardé la vidéo retraçant l’activité et la biographie de Bellini.
Maître des bâtiments gothiques, la Nativité devant une ville maritime, Florence, Tempera sur bois, Fin du XVe siècle
* * *
Nous rentrons ensuite à Oberkampf. Khadija veut s’arrêter dans un bar à bières et m’offrir un demi.
Elle me livre par bribes ce qui la préoccupe. Sa mère est atteinte de la maladie de Parkinson et, quasi grabataire, est rongée d’escarres. La peau de son visage, trop fine, occasionne des douleurs aux mâchoires : celles-ci se décrochent facilement, tant et si bien qu’il faut les remettre en place. En outre, les difficultés à l’alimenter — je songe à ma mère — sont telles qu’elle pèse désormais 43 kilos, et c’est Khadija qui la porte pour les soins quotidiens.
Sa fratrie ne la laisse guère non plus au repos. Elle m’évoque les démêlés qu’a L. avec son ex-femme, M. Lui, se trouve en couple avec une nouvelle compagne, qui a l’âge de ses propres enfants. Comme il s’agit des siens, elle argue d’une générosité de L., qui cède à tous les caprices de M. Elle me parle aussi d’une tentative de suicide de son neveu.
Khadija elle-même se dit en mauvaise santé.
Soir
Khadija a contacté une amie. Nous avons rendez-vous avec elle Place d’Italie dans le café où nous avons fini notre soirée, Aymeric et moi, et avons réservé une table au restaurant indien.
Malika est une très belle femme. Elle offre à Khadija un éléphant d’albâtre haut d’une trentaine de centimètres, qui provoque chez elle force exclamations d’enthousiasme et de remerciements, expliquant à mon intention qu’elle collectionne les éléphants depuis quelques années.
La conversation au restaurant roulera presque exclusivement autour des affaires de cœur et de famille, accessoirement d’argent, de Malika. Je m’ennuie souvent, ou plutôt n’écoute pas toujours que ce que se disent R et Khadija, assises l’une en face de l’autre, moi, sur le bord externe d’un triangle favorable à pareilles absences.
Malika règle l’addition pour Khadija et moi, malgré nos protestations. Comme elle veut nous raccompagner, je propose de boire une verre sur la Butte-aux-Cailles puisqu’elle ne connaissait pas cet endroit de Paris.
Ses considérations amoureuses — sa relation compliquée avec une femme âgée qu’elle, sur laquelle elle-même entend qu’elle n’ait pas barre — se poursuivent à l’envi durant tout le temps que nous éclusons nos godets, tandis que Khadija, très à l’écoute, lui prodigue toutes sortes de conseils. Je m’étonne à part moi que cette bientôt quadragénaire ait ainsi des émois d’adolescente, tandis que mon attention flottante prend de plus en plus l’eau…
Je paie nos consommations. Elle nous raccompagne ensuite jusqu’à l’Avenue de la République — nous insistons pour qu’elle ne dépose pas rue P*** étant donné les travaux de la rue Oberkampf qui l’obligerait à tout un détour — dans une grosse Audi noire, qui achève le portrait indirect d’une femme d’affaires qui aime faire montre de son argent, mais aussi d'une amante assez peu avisée dans la direction de ses affaires sentimentales. Aussi balancé-je entre agacement et indulgence, compréhension relative et manque d’empathie. Peut-être la berline noire, silencieuse et surpuissante, pèse-t-elle en sa défaveur au moins autant que la façon dont sa conductrice n’a su vérifier auprès de moi combien peu m’intéressaient ses amours compliquées. — Car n’est pas qui veut au volant d’une Lancia noire, telle une Anne-Marie Stretter qu’attisent tous les désirs, ceux en particulier d’un Vice-consul défait par avance par sa propre misère et celle, plus extrême encore, de tous les mendiants et affamés de Calcutta…
* * *
Il est minuit moins le quart quand nous nous couchons sans prolonger davantage notre soirée après cette journée bien remplie, celle qui nous attend le lendemain réclamant un peu de repos réparateur.