1226 - Quand vacillent les lucioles… (3)
Quand vacillent les lucioles…
Juin à Paris
(Journal extime, 22-28 juin 2021)
3
24 juin
Matin
Je rédige, à partir de mes notes, mon Journal du sommeil, puis les Carnets d’un convalescent.
* * *
Puis je prends le RER afin de me rendre à Orsay où j’ai rendez-vous avec Judith pour l’exposition, choisie parmi les diverses propositions qu’elle avait faites, les Origines du monde (le titre est à l’évidence inspiré de celui du tableau de Courbet, lequel se trouve sur un pan de mur à côté d’une huile sur toile [?] représentant un coquillage d’Odilon Redon, qui — nous apprend-on — y réfère), exposition plus amusante que véritablement intéressante (du moins pour moi, la qualité artistique des œuvres ne brillant pas toujours d’un éclat évident à mes yeux — moi que, par ailleurs, l’animarmaillerie n’intéresse guère et que laisse réservé le sentiment de la nature, même si je goûte assez la jardinière de Gallé et consorts échappée du Musée de l’Ecole de Nancy, jamais d’ailleurs remarquée sur place auparavant), si ce n’est, bien sûr, dans les dernières salles…
Je m’amuse donc plus que je ne m’intéresse. Attirent mon attention certaines des représentations bibliques — dont cette vue en coupe de l’Arche de Noé.
Athanasius Kircher (1602-1680), Coupe de l'arche de Noé, 1675, Livre imprimé, Paris, Muséum national d'histoire naturelle
La foi le cédant peu à peu à la “science”, les études préhistoriques du XIXe siècle déploient leur lot de figurations imaginaires,
René Rousseau-Decelle (1881-1964), la Famille préhistorique, 1906, Huile sur toile, La Roche-sur-Yon, musée de La Roche-sur-Yon
exagérément centrées sur un anthropos à l’image de l’homme occidental moderne en quête des précurseurs de Raphaël et de Michel-Ange et spéculant sur « la naissance des arts du dessin et la sculpture à l'époque du renne »
Emile Bayard (1837-1891), les Arts du dessin et de la sculpture à l'époque du bronze, Dans Louis Figuier (1819-1894), l'Homme primitif, Paris, Hachette, 1870, Livre imprimé, Paris, Muséum national d'histoire naturelle
— voire sur un Paris d’avant les hommes “civilisés” !
Le tout donne — jusqu’au ridicule ou l’affligeant — carte blanche à un néandertalien fantasmé, machiste et jouissant de son bon droit romain contre toutes les Sabin-e-s en se réclamant d’une Histoire et d’une Géographie universelles…
Parmi les préhistoriqueries, je découvre un dessin de Kupka avant la période abstraite, qui se hisse, lui aussi, vers un sommet de laideur.
František Kupka, Anthropoïdes, 1902, Aquarelle et gouache sur papier, Prague, Galerie Zdeněk Sklenář
Cela me vaudra, quelques jours plus tard, un échange de courriels humoristiques avec Aymeric (puisque c’est ensemble qu’en avril 2018 nous avions parcouru l’exposition qui lui était consacrée au Grand Palais) :
MOI - Kupka avant l’abstraction ^^ ! (= Exposition à Orsay, “Les origines du monde” !)
[…]
PS - Chez l’homme préhistorique, il semble que ce soit la femme qui offre des fleurs (au vainqueur ?) ; mais il est vrai que la femm-e est un homm-e comme les autr-e-s !
;-)
*
LUI - Le Kupka des cavernes est consternant.
Je n’en donnerais pas dix euros aux puces 😂 Mais quelle évolution ! C’est le cas de le dire.
*
[et faisant référence au tableau, Motif hindou (Dégradés rouges), reproduit ci-après :]
MOI - Kupka (le même) après s’être ravisé — et être sorti de la caverne ^^
La réception des travaux de Darwin occasionne aussi à l’envi caricatures et variations plaisantes sur les relations de cousinage entre l’homme et le singe…
Ernst Moritz Geyger (1861-1941), Singes disputant sur l'origine de l'homme, 1888, Eau-forte, Francfort-sur-le-Main, Städel Museum
Alfred Kubin (1877-1959), le Singe [Der Affe], Vers 1903-1904, Craie et crayon sur papier, Vienne, The Albertina Museum
Gabriel von Max (1840-1915), Singe devant un squelette, Vers 1900, Huile sur toile, Collection particulière
Et je fais — après Lewis Carroll — mon emblème du dodo, ce qui convoque le souvenir de Lindsay, qui m’avait parlé de cet animal devenu mythique pour les Mauriciens et mettant décidément et définitivement en accusation ce même anthropos de l'ère de l’anthropocène…
Jules Laurent Terrier (1853 - après 1907), Dodo, Raphus Cucullatus, 1901, Plâtre blanc, Paris, Muséum national d'histoire naturelle
Je trouve mieux mon compte (donc) dans les dernières salles
Vassily Kandinsky (1866-1944), Sans titre (Déluge) [Unbenanntes Bild (Sintflut)], 1914, Huile sur toile, Munich, Stätische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau
et j’ai plaisir à revoir des œuvres qui rappellent d’anciennes visites d’expositions ou musées…
Alfred Kubin (1877-1959), l'Heure de la naissance [Die Stunde der Geburt], 1901-1902, Encre de Chine, lavis, crachis sur papier, Vienne, Leopold Museum
František Kupka, Etude pour “Conte de pistils et d'étamines”, Vers 1919, Gouache sur papier, Collection de Bueil & Ract-Madoux
František Kupka, Motif hindou (Dégradés rouges), 1919, Huile sur toile, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne/ Centre de création industrielle
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Comme le restaurant du musée est fermé et que la carte de la cafétéria ne nous inspire guère, nous partons à l’aventure afin de trouver un endroit où déjeuner.
(à suivre)