1223 - Si tant est que ce ne soit pas une maladie… (17)
Si tant est que ce ne soit pas une maladie…
Carnets d'un convalescent
(Journal extime)
Work in progress
17
12 septembre 2020
Matin
Levé plus tard que d’ordinaire (à 7 heures).
Au vrai, j’ai mal dormi. Je demeure agité par la question de savoir pour quelle raison la mort de R. me laisse finalement indifférent [ajout du 31 juillet 2021 : la formulation, aujourd’hui, prête à sourire : indifférent, je ne l’étais finalement pas tant que cela !]. Peut-être la réponse est-elle d’une simplicité lumineuse : il y avait longtemps que j’avais fait le deuil de R., et je souhaitais ne plus jamais le revoir [ceci, énoncé d'ailleurs précédemment !].
Je m’étonne de la fatigue que, dorénavant, occasionne le train-train des jours. Peut-être écrire me fatigue-t-il plus que les tâches ordinaires auxquelles je m’adonne (vaisselle, lessive, étendage du linge… et même la lecture de la dizaine de pages après le petit-déjeuner, laquelle m’a valu de m’étendre et de clore les paupières, à défaut de me rendormir) puisque, après le déjeuner, la sieste m’occupe presque deux heures.
Après-midi
Le nom que, T. et moi, nous avons sur la langue à propos du serveur. T. s’en obsède, tandis que je m’amuse de la détresse qu’occasionne chez lui de ne pas retrouver ce prénom.
Il me le dit à nouveau expressément, il est content de son nouveau poste.
Comme le nom du serveur me revient alors que je suis aux toilettes, j’inscris son nom sur un bout de papier. « Qu’est-ce que c’est ? » m’interroge-t-il alors que je le lui tends. « Déplie. »
Soir
Khadija, à qui j’avais laissé un message, m’appelle après que j’ai dîné. Elle ne va pas très bien, et je suis désolé par avance de lui annoncer le décès de R.
Comme l’occasion ne s’y prête pas, j’enrobe la nouvelle par cette formule même : je suis désolé de te l’annoncer, etc.
Sa voix. Sa voix vive et chère. Sa voix dans laquelle transparaissent les sourires, et même les mimiques de la joie…
Elle a l’intelligence, après un silence éloquent, de glisser, de dissimuler son affliction.
(… Et, par la suite, nous nous sommes amusés de ce qu’elle pouvait dire à propos de toute autre chose, car, en outre, Khadija est une formidable conteuse d’anecdotes.)
13 septembre
Matin
Lecture. Piano. Etendage de linge.
Je regarde pour la énième fois la Mort aux trousses. Dans la fameuse séquence, silencieuse — hormis le moteur du biplan —, où Cary Grant est poursuivi par l’avion au-dessus d’un champ de maïs [?], la musique de Bernard Hermann n’intervient qu’au moment de la collision avec un camion à essence. Film parfait à bien des égards.
Après-midi
Je déjeune chez mon père.
L’EHPAD est « déconfiné ».
Ma sœur me prête 700 euros en vue de mon séjour parisien (et les mois à venir, en attendant une régularisation de mon salaire).
Je fais une sieste ensuite de près de deux heures.
Je réalise que toute une journée a passé sans j’aie dû porter un masque…
Soir
Je regarde un documentaire sur Lee Miller, dont j’avais parcouru avec intérêt une exposition à Vienne.
Elle a connu une fin d’existence vraiment triste, ravivant, après la découverte des horreurs nazies en tant de reporter de guerre, un traumatisme ancien.
14 septembre
Matin
J’apprends à la radio que Israël doit être “reconfiné”.
Je joue à être riche en payant par deux fois avec un billet de cent euros.
Après-midi
La femme de ménage s’attelle à la dernière pièce qui n’a pas été nettoyée, une seconde salle de bain que je n’utilise que très exceptionnellement et dont je me sers, en fait, comme buanderie.
Je fais une remarque à l’orthophoniste : les jeux de lettres qui nous occupent depuis deux semaines me paraissent accaparer des plages de temps qui pourraient être consacrées à de l’articulation.
T. me paraît me faire répéter plus souvent que d’ordinaire certaines de mes paroles, alors même que je n’ai pas l’impression d’être moins compréhensible que d’ordinaire…
15 septembre
Matin
Piano. Cours de gymnastique chez Simone.
Après-midi
Ma mère est faible. Elle est, selon mon père, en meilleure forme toutefois que la veille, selon une loi d'alternance que nous avons souvent constatée. Elle avale avec un certain appétit une crème sucrée au café. Elle refusera ensuite, cependant, toutes les nourritures que lui propose mon père, en dépit de ses insistances : « Il faut manger, mauvaise girl ! », à l’exception de deux verres de jus d’orange. Elle répète indéfiniment « C’est mauvais !», se plaint — « Miséricorde ! » — et parle à nouveau de s’en aller. Son registre de phrases s’est encore réduit en une dizaine de jours.
Soir
Je dîne avec T.
Nous prenons d’abord un apéritif. Il m’évoque une animation à laquelle il a assisté en se rendant dans l’EHPAD où se trouve sa mère, triste à pleurer, et ce, au point de pleurer par avance tous les soirs de notre vieillesse…
Le restaurant est bon, quoique l’entrée de T. soit servie un peu chichement. Le dessert nous conquiert tous les deux.
Il me parle d’une élève dont le patronyme appartient à une famille aristocratique qui comprend, selon l’expression consacrée, de « grands [?] serviteurs de l’État » ainsi que de riches industriels et entrepreneurs. Je m’en amuse, ayant connu au collège l’un de ses membres, devenu un ami, et dont j’énonce tous les titres et particules de la mère — sur lesquels ma propre mère aurait renchéri « de la pissotière d’en face ».
S’ensuit une anamnèse. Stanislas, comme ma sœur et moi à la même époque, élevions des cochons d’Inde. Les miens, par dérision, avaient été baptisés par ma mère successivement Yanaon, Karikal, Mahé, Chandernagore en souvenirs (scolaires) de comptoirs indiens dont elle avait appris les noms, porcs d’Inde à leur façon… « Tu ponds, dis, chérie ? » achevait ma mère, toujours prompte aux jeux de mots — « jeux de mots laids », comme elle disait elle-même.
Sur le chemin du retour, nous avisons un arbre qui ressemble à un caféier, lequel, en vérité, doit être un sorbier des oiseaux. Cette imprécision onomastique a le don singulier d’irriter T., lequel peut s’obséder, comme sur le prénom d’un serveur l’avant-veille…
16 septembre
J’ai à nouveau rendez-vous à l’hôpital, cette fois pour une « consultation neurogénétique ». Où l’on conclut que, puisque je n’ai pas d’enfants, il n’y a pas lieu de poursuivre de plus amples investigations. Je m’amuse de ce pragmatisme presque cynique, du ton en tout cas détaché de mes deux interlocutrices, préoccupées avant tout du coût qu’engendreraient pareilles recherches…
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[17 septembre – 22 septembre :
EN ATTENDANT VENDÉMIAIRE
(17-22 septembre 2020) ]