1536 - Juin parisien [Récidive], 5
[Récidive]
Journal extime
(19 juin – 26 juin 2023)
5
22 juin 2023 [suite]
Après-midi
J’envoie un message pour demander à François s’il serait disponible pour déjeuner avec moi le lendemain. Nous convenons d’une heure et d’un lieu.
J’erre de magasins en librairies sans me trouver de vêtement à manches longues, chemise ou sweat-shirt, qui me plaise. Mais j’achète la Princesse de. d’Emmanuelle Bayamack-Tam.
Je me décide à faire une seconde exposition et choisis de parcourir celle consacrée à Sarah Bernhardt à l’occasion du centenaire de la mort de l’artiste au Petit Palais (j’avais regardé quelques mois auparavant un documentaire qui lui était consacré, et Judith m’avait recommandée de m’y rendre)
Eugène Disdéri (1819-1889), Sarah Bernhardt assise, en sept poses, 1866, Épreuve sur papier albuminé à partir d'un négatif sur verre au collodion, Paris, Musée d'Orsay
W. & D. Downey (studio actif à Londres des années 1860 aux années 1910), Sarah Bernhardt, 1902, Portraits-cartes, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Arts du spectacle
Paul François Berthoud (1870-1939), La Comédienne. Portrait présumé de Sarah Bernhardt, Vers 1902, Terre cuite recouverte de cire, Collection Patrick Horcade
— exposition dont certains aspects m’amusent beaucoup, en particulier cette déclinaison de chauves-souris échappées des univers du romantisme noir ou de celui du Spleen LXXVIII de Baudelaire, Sarah Bernhardt étant la grande amie de Robert de Montesquiou.
Robert de Montesquiou (1855-1921), les Chauve-souris. Clairs obscurs, Paris, Georges Richard, reliure de Charles Meunier (1865-1948), 1892, Collection particulière
A gauche : Eugénie Jubin, dite Eugénie O'Kin (1880-1948), Peigne chauve-souris. A droite : Lalouette (?-?), Paire de bougeoirs, S.d., Bronze argenté, Collection Christophe de Mirambert
Otto Wegener, dit Otto (1849-1924), Sarah Bernhardt au chapeau chauve-souris, 1899, ou 1900, Portraits-cartes, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Arts du spectacle
J’y reconnais tout un univers de formes et références qui m’observent de leurs regards familiers, peuplé de courtisanes — la comédienne n’ayant rien à envier à Liane de Pougy (l’une et l’autre d’ailleurs bisexuelles), sinon peut-être en beauté —,
de dandys, d’« énervés », de décadents, de créatures transgenres (dirait-on aujourd’hui) ou scandaleuses, ou de simples “gays”, de personnages équivoques dans tous les cas, tandis que prolifèrent d’autres hybridations, fructifications minérales, végétales ou animales — puisque, dès lors qu’il n’agit pas de chauves-souris (donc), de singes, ou de quelque bestiaire horrifique ou bénin, il s’agit d’algues — toutes formes et références appelant aux lèvres, outre Baudelaire et Montesquiou,
Louis Welden Hawkins (1849-1910), Portrait de Robert de Montesquiou en Zanetto, dans Le Passant de François Coppée, Vers 1879, Huile sur toile, Collection particulière
les noms de Huysmans, Wilde,
Proust, Lorrain (bien plus, à l’évidence, que ceux de François Coppée, Victorien Sardou, ou même Jean Richepin ou Edmond Rostand)…
Sarah Bernhardt, qui a entamé une carrière de sculptrice par des sculptures à mon sens plutôt mignardes, sinon mièvres dans une joliesse, un pathos ou un académisme trop accusés,
Sarah Bernhardt (1844-1923), Victorien Sardou, 1900, Bronze, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Sarah Bernhardt (1844-1923), Mains enlacées de Sarah Bernhardt et Louise Abbéma, Vers 1875, Bronze, Londres, Daniel Katz Gallery
Sarah Bernhardt (1844-1923), Portrait funéraire de Jacques Damala, Vers 1889, Marbre, New York, The Metropolitan Museum of Art
acquiert une vision plus affirmée et développe, dans les dernières années de ses créations, un véritable regard qui l’égale à d’autres grandes figures de la Belle-Epoque, photographes (Nadar), affichistes (Mucha), joailliers (Lalique), chorégraphes (Loïe Fuller),
Sarah Bernhardt (1844-1923), Une Algue, 1900, Bronze à patine mordorée Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Sarah Bernhardt (1844-1923), Une Algue, 1900, Bronze à patine de deux couleurs, Collection particulière
ou autres plasticiens puisant à la source vive de sa personne autant que la fécondant dans ce qui semble constituer une œuvre consubstantielle tant à sa vie qu’à son personnage, sinon ses rôles au théâtre
Joseph-Albert Ponsin (1842-1899), Sarah Bernhardt dans Le Passant de François Coppée, Vers 1875, Verre et métal, Paris, Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Paul Nadar (1856-1939), Sarah Bernhardt dans Hernani de Victor Hugo, Entre 1924 et 1939, d'après une prise de vue vers 1877, Épreuve argentique, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie
Léandre, “La Rampe”. Sarah Bernhardt en Hamlet, Revue des Théâtres, 1899, Paris, collections Comédie-Française
Paul Nadar (1856-1939), Sarah Bernhardt dans Pierrot assassin, 1883, Épreuve argentique d'après un négatif sur verre au gélatino-bromure d'argent, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie
Manuel Orazi (1860-1934) et Auguste François-Marie Gorguet (1862-1927), Théodora. Théâtre de la Porte Saint-Martin, drame en cinq actes et huit tableaux, 1894, Affiche, lithographie en couleurs Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie
Alfons Mucha (1860-1939, Médée, Lithographie, 2,11 m x 0,78, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
— singulière, haute en couleurs et volontiers outrancière, accompagnant quelques décennies de création et d’histoire artistique.
Anonyme, Porte-monnaie en ivoire ayant appartenu à Sarah Bernhardt, S. d, Ivoire, soie et argent, Couilly-Pont-aux-Dames, Musee des Artistes MNA Taylor ; Anonyme, Collet porté par Sarah Bernhardt, Entre 1898 et 1900 ; Fourrure d'agneau de Mongolie. fourrure d'hermine, satin de soie, Paris. Palais Galliera, nusée de la Mode de la Ville de Paris Anonyme ; Eventail plié, Vers 1905, Feuille en taffetas de soie crème, paillettes argent., plumes blanches, monture et rivure en nacre, béhere en métal argent, ruban crème, Paris, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
Manufacture de Meissen, Cordon de sonnette du palier de l'appartement de Sarah Bernhardt boulevard Pereire, S. d., Porcelaine, Collection Christophe de Mirambet
René Lalique (1860-1945), Buste de Sarah Bernhardt, 1896, Bronze, ivoire, émail, métal, pierres vertes, Wingen-sur-Moder, Musée Lalique
Si les poses et mimiques de l’actrice peuvent parfois prêter à sourire, si l’on est en droit de juger assez épouvantable sa déclamation (comme le fait entendre un document sonore), il faut se dire que tics et modes, après tout, ne résistent guère aux modes, dictions et afféteries qui les balaient, celles qui sont nôtres aujourd’hui renvoyant très sûrement d’une génération l’autre les partis pris de dramaturgie au rayon des bibelots et accessoires usagés…
Dans une des dernières salles, les images des funérailles faites à l’artiste impressionnent, d’autant qu’elles ont été tournées à l’époque du cinéma muet en un léger accéléré qui confère dignité, componction à cette désolation en noir et blanc affichée par la foule recueillie et massée dans Paris.
Louise Abbéma (1853-1927) ou Georges Clairin (1843-1919), Sarah Bernhardt et ses admirateurs, Vers 1900, Encre et crayon sur papier Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Arts du spectacle
Soir
J’envoie un message à Duncan. Un rendez-vous, très vague encore, se dessine dans l’après-midi de samedi en fonction des disponibilités du jeune homme…
Puis je regarde les cinquante premières minutes de Matador, que je confonds un moment avec la Loi du désir.