1421 - Et en attendant d’autres Espagnes… (3)
Et en attendant d’autres Espagnes…
(Paris - Madrid - Tolède - Madrid - Paris)
Journal extime
(10 mai - 22 mai 2022)
3
12 mai 2022
Matin et après-midi, Musée du Prado
Dès la première tentative pour prendre une photographie — un très impressionnant Ribera à l’entrée du Prado a d’emblée capté mon attention —, je me fais signifier une interdiction par un gardien.
Ribera, Ixión, Huile sur toile, 220 x 301 cm (Óleo (301 x 220 cm. o 220 x 301 cm. [según orientación].)
Dans chaque salle parcourue, un préposé veille, dont il semble que ce soit la principale fonction. Je renonce donc. Et note scrupuleusement dans mon petit carnet les références aussi précises que possible des œuvres qui me plaisent. Elles sont bientôt pléthoriques, dans mon ardeur à tout voir, et ma frustration de ne devoir rien emporter ! — J’en remplirai quatre pages de mon écriture serrée.
Claude Lorrain, Pasaje con San Onofre [Landscape with Saint Onuphrius], c. 1638, Huile sur toile, 158 x 237 cm
L’on s’attroupe devant les Ménines, tandis que je prolonge à loisir, dans la salle voisine, mon arrêt devant ce très beau, très impressionnant Christ en croix en contre-plongée et plus grand que nature — tableau dont vif était demeuré le souvenir depuis ma première visite.
El Greco, Epimeteo y Pandore, 1605, Madera tallada y pintada, 44 centímetros y 43 centímetros x 17.1 centímetros y 12.7 centímetros
Je déjeune sur place, après avoir épuisé (autant que faire se peut !) un premier niveau. Puis, après fait l'achat de quelques cartes postales, me remets le pied à l’étrier ¡
[D’après Rogier van der Weyden (1399/ 1400-1464), anciennement attribué à Hans Memmling, Adoration des Mages, entre 1460 et 1470, Huile sur toile, 60 x 55 cm]
D’après Jan van Eyck (vers 1390-1441), la Fontaine de la Grâce, vers 1445-1450, Huile sur panneau, 181 x 119 cm
Jérôme Bosch, le Jardin des délices, Triptyque, entre 1494 et 1505, Huile sur bois (chêne), 220 x 386 cm
Fra Angelico, L'Annonciation et Adam et Eve chassés du Paradis [peinte pour le couvent de San Domenico de Fiesole], v. 1425-1426, tempera et or sur bois, 190,3 x 191,5 cm
Pieter Pourbus (vers 1524/ 1524-1585), Tríptico de los santos Juanes, 1549, óleo sobre tabla, 241 x 377 cm
Titien, Venus and Musician or Venus with an Organist and a Dog, [deuxième version du Prado], c. 1555, Huile sur toile, 150,2 x 218,2 cm
Francisco de Goya, El cacharrero, le Marchand de vaisselle, 1779, Carton pour tapisserie, Huile sur toile, 259 x 220 cm
Francisco de Goya, El quitasol, le Parasol ou l’Ombrelle, 1779, Carton pour tapisserie, Huile sur toile, 104 x 152 cm
Difficile à nouveau de ne pas s’attarder devant ces cartons de tapisserie, que j’ai déjà vus, me semble-t-il, dans une exposition (sans retrouver laquelle et sans certitude que ce soit à Berlin), qui vont du pittoresque ou de l’anecdotique au plus dramatique ou social et politique.
Francisco de Goya, El Albañil herido (« Le Maçon blessé »), 1786, Carton pour tapisserie, Huile sur toile, 268 x 110 cm
Et il y a beau temps que la Laitière de Bordeaux m’accompagne (ma mère aimait beaucoup ce tableau, dont je voyais tous les jours dans la maison familiale la reproduction encadrée),
tout comme le souvenir des peintures noires de ce génie de la noirceur, duquel s’affiche le Vol des sorcières dans ma “DVD-thèque”, en souvenir de cette exposition Goya Prophet der Moderne vue avec ravissement en 2005 à l’Alter Nationalgalerie.
Le Sabbat des sorcières ou le Grand Bouc, Huile sur toile [huile sur plâtre transférée à la toile], 140 × 438 cm
Francisco de Goya, Duelo a garrotazos [Duel au gourdin ou la Rixe], 1820-1823, Huile sur toile [huile sur plâtre transférée à la toile], 125 x 261 cm
Et que dire de ce Duel au gourdin, fresque détachée de la maison même de l’artiste, dont j’avais commenté assez longuement auprès d’étudiants l’affrontement élevé à la hauteur d’une figure nucléaire du conflit armé, un hasard objectif lors du transfert sur une toile s’étant mêlé de raccourcir les jambes des protagonistes, qui se trouvaient alors comme enlisés en un vain combat suspendu dont l’issue — celle d'une destruction mutuelle ? — importe moins que l’éternité de la posture, ce qui m’avait valu les foudres d’un inspecteur mal luné de l’Education Nationale — que ce raccourci de la folie des hommes entre eux avait paru long et superfétatoire dans le développement que j’avais entrepris à partir d’une des premières phrases de De la Guerre, le traité de Clausewitz : « Le guerre n’est rien d’autre qu’un duel amplifié »… ?
— Fort heureusement, les cauchemars de Goya consolent de tout, jusques y compris nos pires cauchemars, en les englobant et dépassant tous — et ramenant tous les inspecteurs du monde à des fantoches dont chasser le souvenir importun se fait de plus en plus facile à mesure !
J’ai beaucoup de mal, ensuite, à trouver l’exposition Annibale Carracci, sors des bâtiments, certain d'avoir avisé des affiches l'indiquant quand j'étais arrivé, parlemente pour rentrer à nouveau en expliquant comment je m’y suis pris.
Francesco Albani, Apóstoles alrededor del sepulcro vacío de la Virgen, 1604-1605, Barcelona, Museu Nacional d’art de Catalunya
Je rapporterai dans la soirée à Aymeric cette impossible saisie — dont l’inventaire a bâillonné d'autres mots sur le petit carnet :
[…] J’ai passé ma première journée au Prado, depuis l’ouverture jusque 16 heures (en m’accordant une pause d’une demi-heure pour déjeuner sur le pouce). J’ai tout vu, je crois, même si je me suis permis quelques accélérations devant les œuvres qui [m’]intéressaient moins. Le problème, c’est qu’il est interdit de photographier, et qu’il m’a fallu scrupuleusement noter les références de ce qui me plaisait, à défaut de prendre des clichés. (Je ne me souvenais guère de ce que j’avais vu il y a plus de vingt ans — bientôt vingt-deux ? — hormis les Ménines et, surtout, un très impressionnant Christ en croix du même Velazquez…)
Pour l’heure, je délasse mes pieds fourbus par les piétinements en buvant un verre de vin blanc sur une terrasse proche de l’appartement que j’ai loué […].
* * *
Je mets ensuite en œuvre les courses que j’ai faites, puis regarde un documentaire sur Antonio Banderas — pour ne pas tout à fait quitter, si l'on ferme les yeux (il semble qu'il y ait de quoi) sur sa carrière américaine, la terre d’Espagne.
Je lis un peu (le dernier récit de Abdellah Taïa, qui me plaît bien).