1309 - Journal de mon sommeil (7)
Journal de mon sommeil
(Journal extime)
7
[Suite et fin ]
23 et 24 février 2022
Je suis assigné à résidence à l’hôpital pour une nouvelle “polysomniographie”. Je me rends jusque là en bus (T. — je m’étonne parfois de ses raideurs — n’a pas voulu m’y emmener, arguant que cela ne cadrait pas avec ses horaires. Il est vrai que je lui avais demandé s’il servait de sa voiture — qu’il bouge aussi peu que possible, le parc automobile de son quartier étant très souvent saturé — pour aller voir sa mère… Il allait bien à la médiathèque puis dans un hypermarché, mais…)
Je devrai patienter une heure avant que la chambre soit prête. Pour meubler mon temps, un premier interrogatoire est mené par une jeune médecin asiatique (une interne ?) à la diction légèrement chantante, que doublera un second par la suite (cette fois par une infirmière, mais beaucoup moins amène) presque en tous points identique.
Entre-temps, on dispose fils et électrodes, on me sangle au niveau de la taille et de la cage thoracique, on me met un boîtier à hauteur du plexus, le tout formant bretelles dans le dos et se rejoignant devant autour du cou, afin brancher cet entrelacs de sangles et de câbles destinés à espionner ma nuit…
Dans le couloir, j’ai lu une affiche déconseillant de dormir sur le dos. Est-ce pour cela que j’avais si mal dormi la première fois durant l’examen du sommeil précédent ? Je suis près de le croire et me jure bien d’écarter le boîtier importun au moment de mon prochain endormissement afin d’adopter une position ventrale sur le côté droit du lit comme à mon accoutumée.
Déballant mes affaires dans la chambre enfin prête, je constate que j’ai oublié le cordon pour le casque audio. Je ne réussis pas à établir une liaison « bluetooth » sur l’ordinateur. En outre, je me suis trompé de DVD : j’ai rapporté Rashômon (que j’avais vu dans les mêmes circonstances en juin)
en place de Ran. Je me résigne à devoir regarder un film d’action parodique prêté par T. il y a quelques temps, qui ne me fait rire que par instants.
Comme toujours à l’hôpital, le plateau-repas arrive tôt. Je mange à près tout, hormis le pain, que je réserve pour le petit-déjeuner (lequel risque, au contraire, d’arriver tard !).
J’apprends une bonne nouvelle : je pourrai m’en aller demain matin. Et il semble que l’on ne fera pas faire de siestes artificielles.
T. m’appelle en début de soirée. Il a vu Paul dans l’après-midi au café, tjours apathique après le décès de Marthe. Peut-être viendra-t-il avec nous au restaurant le lendemain. T. a oublié de lui parler des coordonnées de divers services sociaux recueillies par M.-C. que j’avais transmises sur la messagerie de Paul dans la matinée.
Je finis après le repas de regarder le film, que je pourrai rendre à T. (cela faisait plusieurs mois qu’il me l’avait prêté).
Je m’ennuie ferme à être si peu actif, mais je me sens tout de même distrait de mon chagrin.
Après avoir lu, j’appelle une aide-soignante à 22 heures 30 pour être appareillé et paré pour la nuit. Le plus désagréable consiste en de minces tuyaux que l’on m’introduit dans les narines…
* * *
Je me réveille une première fois (j’ai dû mettre un bon quart d’heure à m’endormir) : un capteur frontal s’est détaché. Les deux fois suivantes, ce sera l’aide-soignante elle-même qui surgira dans la chambre afin de remettre en place l’appareil nasal, lequel s’est délogé en raison de la position ventrale que j’ai prise…
* * *
Des rêves agités font de moi leur proie. Un chat affectueux saute à ma poitrine pour s’y lover. J’ai peur qu’il ne perde l’équilibre et tombe. Je dois faire passer des candidats à un examen. Je croise J. R. Puisque je suis démasqué — au propre comme au figuré —, je me fais reconnaître. Pour couper court, j’argue que je suis pressé. Il proteste et veut me retenir. Je fourgue quelques nouvelles insignifiantes et remets à plus tard l’occasion de se voir. (Tout cela provient des événements de ces derniers jours.)
Définitivement réveillé après 6 heures, j’appelle à 6 heures 40. On me débarrasse de mes oripeaux électroniques et l’on m’enjoint de prendre une douche. Je mettrai longtemps à me débarrasser de la pâte collante et grumeleuse dans le visage et, surtout, dans les cheveux.
Le plateau du déjeuner m’est servi gentiment par une aide-soignante (qui double ma ration de pain et de confiture) vers 7 heures 40. Je devrai patienter encore jusque presque onze heures pour que le médecin, flanqué de l’interne de la veille — j’acquiers la certitude à sa mine attentive et révérencieuse qu’il s’agit bien d’une interne —, pénètre dans ma chambre.
Le diagnostic m’est donc livré par ce Docteur G. que j’avais vu en octobre de l’année précédente. Je n’ai fait que onze apnées par heure, soit moins que la seconde nuit lors du premier examen. Par conséquent, il n’y a pas lieu de prescrire de traitement. Je demande alors s’il est utile que je me rende à la convocation pour la « spirographie » prévue en mars prochain, qu’il avait ordonnée à l’issue de l’interprétation des premiers résultats. Il l’annule séance tenante — et je suis rendu à la vie d’homme libre peu après onze heures.
* * *
Rentré chez moi, je trouve une carte de M.-Y. à propos de la mort de Marthe.
J’en aime beaucoup le texte, plein de tact, donnant de Marthe un portrait qui sonne juste et dans lequel chacun pourrait la reconnaître.
Je remettrai la carte à Paul, son destinataire indirect — dont elle n’avait pas l’adresse —, en regrettant de n’avoir pas conservé ces lignes, scannées ou photographiées.