1313 - Journal de la mort de Marthe (4)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Journal de la mort de Marthe

(Journal extime)

Work in progress

 

4

 

21 février

Matin

Avant de déjeuner chez M.-C., nous achetons chez la fleuriste de la rue principale de S***, trois roses (¡) blanches parmi d’autres fleurs, sinon d’une identique couleur, de la même palette : amaryllis, lis, marguerites, gypsophiles

Sur un mot que M.-C. me demande d’écrire pour T., elle et moi, je ne parviens pas à composer le mot « condoléances » (que j’écris d’abord « condé… » en hésitant sur la suite), et M.-C. rectifie et prend le relais.

1313 - Journal de la mort de Marthe (4)

 

Après-midi

Sur le cercueil est disposé un très beau portrait de Marthe tenant dans une main un volume ouvert. La photographie a été prise dans son bureau devant une table et des rayonnages de livres. La profondeur de champ est telle que l’on se figure un espace très vaste. Mais il est vrai que Marthe, pour sa bibliothèque, avait dû choisir la plus grande pièce de l’appartement.

C’est sans doute la seule chose qui me plaira durant la cérémonie, laquelle lui ressemblera si peu — hormis l’extrait du Requiem de Verdi (encore cette musique cédait-elle en partie à une facilité de circonstance) —, ressemblait vraiment si peu à celle qu’elle était.

 

Lorsque nous arrivons dans l’église de X***, Paul se tient à l’entrée. Puis j’aperçois Alice, la sœur de Marthe. Nous cédons, M.-C., elle et moi, à l’émotion.

Un bouquet, parmi une douzaine de coussins, couronnes et bouquets (dont l’un, unique, est posé sur le cercueil même), porte un ruban de deuil : l’inscription désigne des élèves que Marthe a eus en 1979.

*  *  *

Des discours insipides sont tenus par des femmes tenant le rôle de diacres. L’une d’elles — ou quelque parente de Paul — lit un poème de Tagore, soluble dans ces chants d’église, dont m’horripilent les paroles de consolation et autres promesses de résurrection.

J’aperçois un collègue de Marthe, qui a été mon professeur de français durant trois années successives. Je ne suis pas sûr qu’il ait pu me reconnaître sous mon masque FFP2. Je l’espère même car je n’ai aucune envie — sans que j’en comprenne la raison — de me porter vers lui : la peur peut-être d’échanger de pauvres considérations, de devoir nous informer de ce que nous sommes devenus — il est seul, sans son épouse, peut-être morte (lui a l’âge de mon père) —, de parler de mon attaque cérébrale, du décès de ma mère…

La cérémonie dure quatre trois quarts d’heure. Je me perds dans la contemplation des vitraux. Il me semble que l’organiste est un collègue de Marthe, un professeur d’allemand depuis longtemps à la retraite… Tout a tout d’une sinistre mascarade…

*  *  *

A la sortie, j’aperçois Claude R., puis Cynthia. La plupart des gens — dont J. R. — partent peu à peu. Paul, après nous avoir dit « C’était une belle cérémonie » — ce que je n’ose démentir —, nous invite, Cynthia, M.-C. et moi, à nous joindre à sa famille et d’autres invités dans la crypte de l’Église pour une collation. En fait, la crypte est une pièce au chevet de l’église qui crie inhospitalité — alors que souffle un vent glacial à travers la porte constamment ouverte sur le cimetière qui entoure l’édifice.

Là, Paul raconte à M.-C. les derniers moments de Marthe. Ce n’est que plus tard, au cours d’un long réveil insomnieux, que je ferai la somme des trois négligences, des trois inconsciences — celle du médecin consultée la veille de sa mort, celle de Marthe elle-même et celle de Paul qui ont tardé à appeler les secours — qui se sont combinées, menant à ce dénouement auquel on ne veut pas encore à croire.

 

Paul répète à diverses reprises qu’il faut qu’on l’aide. Il se plaint de devoir s’occuper des chats de Marthe. Alice veut bien les recueillir — mais plus tard, dit-elle, chez elle à Paris, quand elle aura vendu son appartement. Paul continue sur le registre de l’impuissance et de la plainte. Dans cette crypte laide et glacée, devant ces bouteilles en plastique d’orangeade et d’eaux minérales, devant des brioches rabougries et des madeleines renfrognées ajoutant une note désespérée à ce décor dérisoire, je n’ai plus que l’envie de fuir, tandis que la porte ouverte à tout moment par les invités sur le départ laisse découvrir un rideau de pluie qui semble s’intensifier.

Enfin, nous faisons nos adieux à la famille proche, à Paul, à Alice, et regagnons en toute hâte la voiture de M.-C., elle aussi contrite que moi et pour les mêmes raisons, que nous nous confions alors avec amertume, du fait de ces adieux ratés à Marthe — et de Paul, tenu aux abois.

*  *  *

Rentrés chez M.-C., nous cherchons (et listons) toutes les démarches que Paul devra entreprendre. Nous sérions les urgences. Je téléphone à mon père, qui s’est occupé de la succession de ma mère et qui, par ses remarques, nous aide à dégrossir la situation.

Nous sommes encore tout secoués par la mort de Marthe, par sa brusquerie, par les circonstances grinçantes qui accompagnent, sans oser nous l'avouer, sa disparition…

 

 

 

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