1311 - Journal de la mort de Marthe (2)
Journal de la mort de Marthe
(Journal extime)
Work in progress
2
18 février 2022
Akseli Gallen-Kallela [Axel Gallén, dit] (1865-1931), La Mort et la Fleur, 1896, gravure sur bois, Musée Gallen-Kallela, Espoo
Je ressasse au cœur de la nuit les éléments d’une conversation que j’avais eue avec M.-C., certainement l’avant-veille, à propos des difficultés à se mouvoir que paraissait éprouver Marthe, testée pourtant négative jeudi dans une pharmacie, après les huit jours d’isolement de rigueur (c’est — si je ne me trompe — le samedi 28 janvier que Paul avait été cloué au lit par ce qui avait tout d’une forte grippe et au milieu de la semaine suivante que Marthe s’est rendue compte qu’elle était à son tour positive). M.-C. m’avait parlé de complications que, dans de mêmes circonstances, avait connues sa fille, tandis que je m’étendais sur celles subies par A., ma propre nièce, mise knock-out par l’opiniâtreté du virus, réputé pourtant moins virulent que le variant qui l’avait précédé. M.-C. m’avait alors inquiété en me parlant d’oxymètre, de vérifications nécessaires avant des instants irrémédiables. Or, Marthe est certainement morte d’insuffisance respiratoire [peut-être d’une embolie pulmonaire, apprendrai-je par la suite].
Comment ne pas penser aux difficultés que j’éprouve devant un certain temps (deux mois ?) à respirer de toutes mes bronches, à la rhinite, à la toux du matin, à l’encombrement qui me semble continûment à l’œuvre, attaquant la soufflerie de mes poumons… Ces difficultés — est-ce le produit de mon imagination ? — se sont aggravées depuis une semaine, après la troisième dose du prétendu « vaccin » (que l’on peut prétendre de plus en plus « prétendu », au vu et su de la flambée de cas dont nous avons eu vent parmi des proches ces temps derniers…). Et M.-C. — à qui je n’ai pas voulu confier encore avoir reçu cette injection ¡ — de déclarer que les doses répétées fragilisent l’organisme…
Je rumine donc et rumine au cœur de la nuit. Et conclus à l’urgence de me procurer un oxymètre le lendemain matin. Pour échapper à cette obsession, je lis. Las, le roman de Jonathan Coe – la Vie très privée de Mister Sim — que je lis est malheureusement assez paranoïde dans son ressort, et la fiction nourrit alors mes pensées inquiètes, chevillant des pensées sombres au devenir du protagoniste principal du récit.
Je finis par me rendormir. Quand je m’éveille, je remâche cette fois un mot dont je tâche de restituer toutes les syllabes. Travail laborieux, qui, au prix d’efforts infinis, aboutit à sérendipité, dont me soulagerait de retrouver la signification exacte, tandis que je m’échine à recomposer correctement ses syllabes… Joli trompe-l’œil ou songe-creux ou pichenette ironique quand, ayant retrouvé le mot au moyen d’un dictionnaire, je ré-apprends ce que le mot veut dire : sa signification n’ouvre littéralement sur rien ¡
Lors des premières utilisations, l’oxymètre dont je fais l’acquisition ensuite se montre capricieux et sibyllin dans l’affichage de ses résultats, des chiffres oscillant entre 92 et 98, le défilé des chiffres ne cessant pas de se modifier. Le mode d’emploi livré avec l’appareil étant vraiment succinct, je ne comprends pas de suite la mauvaise interprétation à laquelle je me livre. Je me rassérène pourtant : si le taux d’oxygénation peut monter jusque 98, autant s’en remettre à cette fourchette haute — et s’estimer hors de danger !
— Bref, tant d’angoisse me distrait de mon chagrin, même si je perçois confusément que l’origine est, en fait, la réception, tout égotiste (égoïste ? égocentrée ?), de la nouvelle castrophale de la veille…
* * *
Paul m’a demandé de prévenir les personnes susceptibles d’avoir connu Marthe. Il est débordé par les tâches à accomplir autant que la douleur le transperce. Le carnet d’adresses téléphonique de Marthe est inaccessible, le déblocage de la carte SIM se faisant par reconnaissance faciale… Je préviens donc une ancienne élève dont le nom m’est revenu fort à propos — je l’ai connue lorsque nous étions adolescents —, laquelle se charge de transmettre à d’autres la nouvelle.
Je me suis coordonné avec T. Il n’a pas réussi à prévenir le lycée où Marthe a fait toute sa carrière et me laisse un message.
Après déjeuner, j’appelle ma sœur pour avoir des nouvelles de ma nièce, et parler d’oxymétrie. L’émotion — enfin… — me gagne, la désarçonnant. Elle m’appelle même « chéri » alors, dans une confusion involontaire — supposé-je — avec une de ses filles.
J’appelle M.-C. Nous convenons d’aller à la cérémonie — religieuse !, ce qu’a demandé à Paul Alice, sa sœur, alors que Marthe était athée… — lundi.
Je laisse un message sur le répondeur de Claude, écris un courriel à Neil.
Alors que j’ai fui dans un café et écris ces lignes, Claude me rappelle. J’en profite pour régler son séjour chez Pascal et F. — je lui ai proposé de courir les musées et expositions tout en l’accompagnant, puisque des problèmes auditifs provoquent chez lui des vertiges
Enfin, je préviens l’orthophoniste que je ne viendrai pas à la séance prévue lundi — non plus que ne viendra sa patiente le lendemain, puisque je savais que Marthe avait rendez-vous chez elle juste avant moi…