605 - À pas parallèles, Paris (5)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas parallèles, Paris

(17-26 avril 2015 ; 2-6 juillet 2015)

 

Samedi 18

Studio appartement courses écriture lenteur

Appelle N RV pris pour lundi

 

Orangerie Adolfo Wildt : de fait dernier symboliste (art mussolinien // nazi ou soviétique) contraste avec têtes féminines délicates du début ; un beau Bronzino

Collection + Nymphéas

Message téléphonique de K (ne doit pas très bien aller)

 

Samedi 18 avril

Je vais du studio à l’appartement, emportant les draps dans lesquels j’ai dormi. Judith, N. et les enfants sont partis trop tôt pour que je les croise.

Je fais quelques courses, j’écris ensuite.

En toute chose, j’opère avec lenteur, privilège que je me refuse le plus souvent, mais qu’ici, après les agitations des semaines précédentes, je m’offre — insolemment.

 

J’appelle N***, qui propose de se voir lundi soir.

 

Je vais à l’Orangerie voir l’exposition sur Adolfo Wildt, sculpteur dont j’ignore tout. L'exposition s'intitule Adolfo Wildt (1868-1931), le dernier symboliste. De fait, par degrés, de salle en salle, le spectateur va d’un symbolisme l’autre, du symbolisme finiséculaire au symbolisme mussolinien, mais il y a loin des têtes féminines délicates du début...

 

© Internet

© Internet

à la tête massive, surdimensionnée, trouée, de Mussolini...

© Internet
© Internet

© Internet

Fait le lien entre les deux (peut-être !) un masque de douleur, censément un autoportrait.

© Internet

© Internet

Dans la dernière salle est exposé un très beau Bronzino, qui me ramène mentalement à Florence...

Je ne sais trop que penser de ce que j’ai vu, entre beauté et hideur, et, avant de repartir, vais revoir certains tableaux de la collection Walter-Guillaume, puis me rincer les yeux aux Nymphéas de Monet.

 

Je découvre, en sortant, un message de Khadija. À l’écouter, j’en conclus qu’elle ne doit pas aller très bien. Il m’irrite de savoir que je n’y pourrai rien : en pareilles circonstances, elle se dérobe aux propositions de se voir…

SMS de N j’appelle : décale au soir même !

 

Alors que je vais à pied en direction de Saint-Michel, je reçois un SMS de N*** : il n’est finalement pas disponible lundi, m’écrit-il, mais ce soir ou mardi. Il est déjà presque 17 heures, et je l’appelle donc. Il me propose alors de se voir le soir même. Je suis un peu surpris de cette proposition, mais l’accepte.

 

L’attends à la M, persuadé qu’il sera en retard (SMS p me dire qu’il quittait son studio pour prendre le bus)

N’ai eu que le temps d’inscrire la date sur le pt carnet

M’explique qu’il a un « petit copain » : [Jeff] 33 ans rencontré au X la veille de la Saint-Valentin (précise-t-il)

Geek co lui, même goûts : séries, jeux vidéo, références (mais pas musique), … ne boit pas

Malade

Habite studio minuscule au 7e étage (sans ascenseur) rue des Filles du Calvaire entre Oberkampf et Bastille

Régisseur donne des cours de théâtre (n’apprécie pas trop publics scolaires)

Pas son idéal, mais se sent bien avec ce garçon, déjà une forme de routine

Parle longtemps (et souvent) de lui

Semble bien aller

 

Soir

Alors que je quitte l’appartement de Judith et N., je reçois un nouveau SMS : N*** quitte seulement son studio pour prendre le bus. Je m’installe dans le bar au pied de Montparnasse où nous avons, et avec lui et avec Aymeric, désormais nos habitudes et me prépare à devoir l’attendre quelques temps encore. Or, à peine ai-je sorti mon petit carnet et inscrit la date du jour qu’il se trouve devant moi, le bus étant bien plus rapide, en fait, que je ne l’aurais imaginé.

Je ne demande pas d’explications, mais il me les fournit lui-même : s’il n’a pas envoyé de mail, s’il paraissait indécis quant à un moment où se voir, en fait, c’est qu’il a depuis quelques temps « un petit copain », Jeff, et que, primitivement, il voulait lui consacrer son week-end. Or, Jeff ne s’est brusquement pas senti bien en cours de journée — et a préféré rentrer chez lui (il habite non loin de Bastille un studio minuscule au septième étage sans ascenseur), laissant N*** désemparé de son week-end en amoureux, mais disponible pour passer avec moi la soirée.

Ils se connaissent depuis février. Précisément, ils se sont rencontrés dans ce bar tout près de l’endroit où habite Emmanuel — c’est finalement, son vrai prénom, j’ai eu l’occasion de le vérifier dans le répertoire de mon téléphone mobile —, le lover rencontré à mon retour de Berlin.

Je le laisse me portraiturer Jeff, trente-trois ans, « geek » comme lui, partageant de mêmes préoccupations, de mêmes intérêts en matière de jeux vidéo ou de séries ­­— mais leurs goûts musicaux diffèrent, précise-t-il, occasion d’initiations réciproques.

Jeff n’est pas son idéal, m’explique-t-il aussi, pas tout à fait le garçon dont il aurait rêvé (cela nous fait sourire tous les deux). Mais il se sent bien avec lui. Tel qu’il le décrit, Jeff apparaît, de fait, comme un compagnon simple et facile. D’après N***, une sorte de routine s’est d’ailleurs déjà installée entre eux : j’entends encore les intonations, cette vibration des cordes vocales toute particulière quand N*** exprime un fait qui l’amuse ou le contente. Et c’est moi qui m’amuse d’apprendre — N*** y met aussi son talent de conteur —  que ce Jeff dont le portrait se précise à mesure serait boulimique de produits gras et sucrés — et, par conséquent, aurait un peu d’embonpoint… Et N*** de développer le contraste entre lui, plutôt sec, et son compagnon, plus large, dont il cherche à modérer les penchants gloutons. Quoi qu’il en soit, N***, dit-il, a renoncé à grossir. Il n’en est plus besoin, ajoute-t-il : il me montre, à travers le tee-shirt gris, un anneau graisseux qui me paraît bien supposé (je songe à Eric, l’homme de ménage, qui avait eu le même geste, à travers un tee-shirt noir, choisi pour le mincir, mais dont la bouée était plus évidente !)… En revanche, me dit-il, Jeff ne fume ni ne boit, chacun tempérant ainsi les addictions de l’autre.

Il voulait être comédien mais est régisseur de théâtre et paraît tirer le diable par la queue. Ainsi il donne des cours de théâtre, et ce, parfois, à son grand dam, à des publics scolaires dissipés.

N*** parle ainsi longtemps — et souvent — de Jeff.

Et je me dis que N*** a l'air d'aller bien, même s’il évoque la quarantaine qui approche...

 

Nous parlons aussi de Duncan, de la jalousie d’Antonin… Il me rapporte celle de T** vis-à-vis de JM, laquelle — et je n’ai pas de peine à le croire — était tout à fait déplacée… D’ailleurs, le jaloux ne préfère-t-il pas toujours son imagination aux faits, donnant toujours un coup de pouce à la réalité, tandis qu’en cas d’infidélité avérée il peut préférer se voiler la face (ce qui m’avait paru le cas de J.-M. envers Pascal) ?

 

Nous mangeons chez Judith, après quelques achats rapides. J’achète une bouteille de vin ainsi que quelques champignons pour ajouter à la salade de la veille. N*** me tend un billet de 5 euros alors que je m’apprête à régler.

N*** — je le savais déjà — est un invité facile. Il trouvera même bonnes les lentilles que je lui fais goûter, alors qu’il n’a pas beaucoup de goût pour ce légume, peut-être mon légume favori.

 

Il me raconte ­— fait inhabituel, qu’il commente comme tel — être allé voir, avec sa sœur et son beau-frère, l’exposition sur David Bowie à la Cité de la musique ainsi que celle sur Jeff Koons. Il me montre sur son portable une photographie qu’il a faite d’un Popeye géant.

© Internet

© Internet

Revenant à nouveau sur Jeff, N*** me dit être avec lui pris « à contre-emploi ». Je n’ai pas la curiosité  de demander en quelle façon.

 

Nous passons une bonne soirée, mais la fatigue me gagne alors qu’il n’est qu’à peine 23 heures 30.

Je propose de le raccompagner jusqu’au pied de la tour Montparnasse devant l’arrêt du 91.

 

Je suis parti les mains vides et j’éprouve un fort désarroi au moment de composer le digicode de la porte d’entrée de l’immeuble. Non seulement il me faut faire un effort désespéré de mémoire, mais, qui plus est, je devine plus que je vois chiffres et lettres. Je m'imagine déjà dehors, obligé peut-être de déranger N*** afin qu’il m’héberge. Le code me revient enfin et je n’ai plus qu’à spatialiser les chiffres sur le pavé numérique que j’ai sous mes yeux partiellement aveugles. J’entre alors, et je reproduis la même opération en bas du second corps de bâtiment où se trouve l’appartement de Judith.

A peine rentré, je reçois un SMS de N**** en guise de remerciement : « Je viens de me faire doubler par le 91 et je suis à l’observatoire, à cinq minutes à peine de chez moi. Ça valait pas le coup de prendre un ticket pour une si petite distance. Bonne nuit ! » A quoi je réponds : « Et moi j’ai fini par réussir à composer le code d’entrée du pavillon dans le noir ! Bonne nuit à toi aussi. »

Je m’interroge ensuite : pourquoi être parti ainsi sans le téléphone portable, qui m’aurait permis de retrouver le digicode et m’aurait éclairé au moment de le composer ? Je me souviens alors d’une songerie de la veille : j’aimerais que N*** un jour m’invite chez lui à dîner !

 

*  *  *

3 juillet [suite]

 

Pascal appelle pour caler une soirée quand je reviendrai. Nous arrêtons la date du 27.

 

Je fais des courses pour le repas du soir. Je constate à nouveau que les prix parisiens sont majorés de quelques centimes ou dizaines de centimes. J’achète des abricots et des cerises, des fruits plutôt qu’un dessert, puisque cela conviendra davantage à N***.

La température remonte à mesure que la journée avance.

Je vaque à toutes sortes d’activités insignifiantes, pour différer le moment de me livrer à nouveau à cette  fournaise.

 

Après-midi

Après une sieste durant laquelle je ne m’endors pas, je me décide à sortir de cette torpeur et me rends au musée Jacquemart-André, dont la façade est déballée dorénavant.

L’intitulé de l’exposition — de Giotto à Caravage : les passions de Roberto Longhi — ne tient qu’à demi ses promesses. S’il n’y a —  naturellement… — pas de fresque de Giotto, ce ne sont que quatre Caravage accrochés dans la première salle, tandis que l’essentiel de l’accrochage se compose de peintures relevant de la postérité caravagesque, sans que tout soit — naturellement ! — à la hauteur de la production du maître… Je retrouve l’Amour endormi vu au Palazzo Pitti, dont j’achète à la sortie une reproduction en carte postale pour Pascal, qui me dira ensuite découvrir le tableau.

605 - À pas parallèles, Paris (5)

Je rentre ensuite, afin de préparer le dîner.

Il fait bien trop chaud pour cuisiner, et je suis content d’avoir fini de préparer une demi-heure avant que N*** n’arrive.

Pour tromper l’attente, j’écris un SMS à Etienne, que je n’arrive pas à envoyer. Me parvient alors un SMS de N***, qui me dit qu’il s’apprête à partir — il est 19 heures, heure à laquelle je lui avais dit de venir —, qu’il sera là dans une bonne demi-heure… Or ma réponse part : il semble donc que, contrairement à la veille, les voies téléphoniques soient rétablies… Le message pour Etienne part lui aussi : contrairement à ses habitudes, il me répond aussitôt. Il est à Aix et propose qu’on se voie à la fin du mois.

Sur ces entrefaites, N*** arrive, plus tôt qu’il n’avait prévu.

Vêtu d’un bermuda et d’une chemise à carreaux, un peu transpirant, il me tend une bouteille de vin de Touraine, achetée sur la foi d’un caviste : de fait, le vin tiendra ses promesses — gouleyant et échauffant doucement nos bavardages.

 

A peine installé sur la canapé du salon, où je l'invite à s'asseoir pour l’apéritif, il relève la manche gauche de sa chemisette pour m’exhiber ce que je crois être un pansement : « je suis patché », me dit-il. Sur les instances de Jeff, il a arrêté de fumer depuis vingt jours. En contrepartie, Jeff, lui, s’est engagé à manger moins de sucré.

La conversation roule d’abord sur l’arrêt du tabac, puis assez longuement sur les régimes du fait de N*** lui-même, qui, à ce sujet, a toutes sortes de théories dont la cohérence m’échappe un peu. Ainsi je ne suis pas sûr d’avoir bien compris ce que le pinot noir avait d’antioxydant et en quoi consistait une autre vertu, oubliée depuis, de ce cépage… Au moins, N***, me dis-je à part moi, ne se plaint-il pas d’être trop maigre, et est-il plus occupé de son sevrage que d’un quelconque gavage qui lui ferait gagner une ou deux livres… Je serai d’ailleurs surpris de ce qu’il aura mangé : des quantités de pain, de riz et de poivrons (je trouve trop peu cuit le riz qui en constitue la farce, mais ça ne semble pas être son avis) disparaissent promptement de son assiette à mesure que je le ressers…

 

Comme au téléphone il m’avait dit être pleinement disponible, j’avais craint qu’il fût à nouveau célibataire. En fait, l'explication m'est bientôt donnée : Jeff a été employé au festival d’Avignon. Il ne rentrera qu’après mon prochain passage — et j’escompte alors une même disponibilité de N*** à ce moment-là, non que je ne voudrais rencontrer Jeff (au contraire, j’aimerais voir confirmée l’impression agréable de l’évocation que fait N*** de lui) mais parce que je sens N*** moins sur la défensive qu’il ne l’était auparavant, me prêtant naguère des intentions de séduction mises pourtant depuis longtemps au rebut, même s'll peut produire encore sur moi beaucoup d'effet, la pulsion se colorant alors de l'affection que je lui porte, comme pour Duncan, mais selon d'autres manifestations…

 

Pour lui, le perroquet figurant sur la carte postale que je lui avais envoyée pour son quarantième anniversaire est une perruche. (J’ai donc raté mon effet.) Selon N***, tous les oiseaux parlent, et même les chats et les chiens. Je ne sais si cela est vrai, mais cette vision du monde animal s’accorde si bien avec le propre monde de N*** que je la lui accorde volontiers également, m’amusant d’une vision si frontalement anticartésienne.

 

Le repas terminé, nous sortons prendre un verre. Il fait encore très chaud, beaucoup plus chaud que la veille. Nous marchons jusque Bastille, puis, N*** trouvant un peu factice l’animation (il ne m’en dit rien, mais il m’en a déjà parlé) du bas de la rue de la Roquette, poursuivons jusque Saint-Paul.

Il fait chaud, et il ouvre plus largement sa chemisette. Le cordon que j’avais aperçu en me demandant ce que ça pouvait être révèle un médaillon Ying et Yang. Mon regard coule et coule sur ce torse, finement toisonné (car il peut produire encore, etc.).

 

Assis à cet endroit, je m’aperçois que j’ai reçu un SMS de Duncan, qui me demande — comme si je ne les lui avais pas données ! — les dates de mes séjours parisiens. Je lui réponds aussitôt, mais il est peut-être couché déjà car le téléphone reste muet.

 

(Au moment où nous nous apprêtions à dîner, j’avais également reçu un appel de Judith. Elle pensait loger un ami dans la période où j’ai dit le matin à Pascal et F. que je ne n’occuperais pas leur appartement, du 24 au 30, et que eux vont par conséquent occuper. Je la sens dépitée. Vais-je devoir composer avec un cooccupant ?)

 

A cette terrasse, nous devisons encore, de la chaleur notamment, qui encalmine nos cerveaux.

Il reçoit un SMS de Jeff. J’admire avec quelle vélocité il lui répond. N***, comme je lui en fais la remarque, me dit qu’il a juste accusé réception s’enquérant si Jeff ne faisait pas trop d’entorses à sa promesse de manger moins de sucré. La réponse lui parvient bientôt : malgré la chaleur en Avignon, Jeff ne s’est autorisé qu’une simple boule de glace en quelques jours !

 

Comme la fois dernière, même s’il n’est pas très tard, c’est conjointement que nous décidons de rentrer. Nous nous reverrons bientôt de toute façon, et rendez-vous est pris pour fin juillet.

N*** hèle le serveur et paie mon verre.

 

Nous nous quittons place de la Bastille.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article