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12 - Autoportrait... hommage et réécriture
Je vais avoir cinquante ans – une bonne moitié d’existence… Et, même si, depuis l’acte de naître, j’ai apprivoisé l’idée de vivre, je ne voudrais pas en prendre pour un autre tout aussi long bail !...
Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J’avais – j’ai encore… — des cheveux châtains, presque noirs dans ma jeunesse, que je coupe de plus en plus court pour tenter de contrecarrer une calvitie qui paraît en prendre à ses aises le temps passant : je me console en me disant — mais pour combien de temps ? – que chauve encore je ne suis pas. Mon coiffeur, il y a peu, mentionnait, cependant, des cheveux de plus en plus blancs… Et je deviens presbyte, qui plus est, et suis obligé de chausser des lunettes pour lire, désormais ! Sans doute suis-je fort mauvais juge me concernant… Aussi les traits les plus caractéristiques de ma physionomie m’échappent-ils sans conteste… Sans ressembler tout à fait à « l’homme à la tête de choux », mes oreilles sont plus décollées que la moyenne (entre SG et Gérard Philipe ?). J’aime à croire que ma nuque est longue, assez en tout cas pour qu’il y ait place et que je « plie le cou sous tes baisers » : j’abandonne (en l’occurrence) mon modèle premier pour un(e) second(e) patron(ne)… (Ce faisant, je m’illusionne donc bien plus que mon modèle initial, expert en jeux de massacre divers et variés… Mais comment pourrais-je me montrer aussi impitoyable… me montrer… aussi impitoyablement... que lui ?) N’étant pas féru d’astrologie, j’ignore ce qui révèle en moi le verseau que je m’efforce d’être (s’il est vrai toutefois que celui-ci veut le bien de son homologue proche et humain). On m’a calculé un jour mon ascendant : « gémeaux » paraît-il – et Cassandre de se taire, impressionnée par un profil aussi peu faste… (Je ne crois heureusement plus à l’astrologie… et tâcherai, Corto !, de me tailler une ligne de vie ou de chance à ma mesure…) Je suis né, en effet, en janvier – et m’apprête (donc) à fêter mes cinquante années. Pour en revenir à mon physique : mes yeux sont bruns, qu’ourlent des cils plutôt longs. Mon teint est rose – aux dires d’une amie, que pareille pigmentation impressionne toujours… Mais je le dirais « coloré », ayant honte moi aussi d’une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. J’aimais mes mains autrefois, mais elles vieillissent autant que le visage ou la voix – et nous trahissent comme les vraies fausses amies. Sans avoir les veines saillantes qu’avait mon grand-père, et noueuses et dures, les miennes, malgré tout, saillent. Et se multiplient sur la peau des croisillons qui attestent le vieillissement de la peau (le visage, les mains, la voix vieillissent vite… davantage que le reste du corps… chez moi du moins, à ce que je crois).
J’ai beau avoir le buste long, mes jambes sont plutôt courtes par rapport à mon torse. Mes épaules sont néanmoins assez larges relativement à mes hanches, ce qui compense le défaut précédent (je n’ai rien d’un athlète pourtant*). Si je marchais jadis courbé, j’ai appris depuis à me redresser – et à détendre cette partie autrefois la plus guindée de mon individu. Mais j’ai plus de difficulté, assis, à me tenir tout aussi droit. Aussi ai-je de plus en plus souvent mal à l’épaule droite, ce qui augure mal des années à venir – même si je n’ai, pour le moment, pas trop à me plaindre de maux de dos ni d’autres douleurs qui affligent certains de mes contemporains (je veux dire certains des « gens de mon âge »)… Je n’ai aucun goût à [ou pour**] me vêtir. Pour moi, un habit en vaut un autre, à ceci près que je ne porterais jamais certaines formes ni certaines couleurs… Pour moi, l’habit idéal est couleur muraille et me rend aussi invisible que possible aux yeux d’autrui. S’il faut qu’on me remarque, au moins que cela ne soit pas pour cela : je suis timide en diable – et détesterais adopter une tenue voyante. D’ailleurs, s’il fallait être vu, à coup sûr… je serais, moi aussi… profondément inélégant. Et — qu’on soit bien d’accord ! – j’ai horreur de me voir à l’improviste dans une glace car, faute de m’y être préparé, je me trouve à chaque fois d’une laideur humiliante… — Même chose en ce qui concerne ma voix, que j’ai horreur d’entendre sans l’idée que j’y serai confronté (ce qui, heureusement, se produit plus rarement)…
J’ajoute ceci : mes moyens, loin d’être illimités, me paraissent… suffisants. Sans être un ascète, je me contente d’assez peu et tiens le juste milieu entre l’économe et le prodigue. S’il fallait oser un aveu (enfin !), je dirais que (malgré mes amants) j’ai longtemps eu – et ai encore – honte de mon corps. Trop velu, trop blanc. J’ai appris ensuite que ce par quoi l’on se déteste convient ou ravit les autres – à votre corps défendant ! J’en propose le remède àmon modèle – même s’il est trop tard pour lui assurément… Mais j’ai peur, pour ce qui me concerne et bien évidemment, de ne pas m’en consoler…
Qui donc me fera grand, blond, le buste imberbe, les yeux clairs... et les (rares) « pubescences d'or » ?!
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*J’aime à croire, néanmoins, comme l’écrivent certains sur le site, que, sans être musclé, j’ai tout de même encore le torse « dessiné ». Joli mot, qui sent bon sa peinture ou son crayon !
**[ajout du 08/05/2022 ¡ ]
de : OLIFAN
au moins en deux mots qui veulent ne pas trop réduire et laisser de l'imprévu,,, adorable probablement
pour peu qu'on ait éteint la lumière, il doit apparaître
pour peu qu'on ait éteint la lumière du jour courant, au profit d'une pénombre propice qui fait la confiance, doivent se révéler ses braises et la force de son magnétisme,,,
11 - Le modèle
Je viens d'avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J'ai des cheveux châtains coupés court afin d'éviter qu'ils ondulent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l'on en croit les astrologues) des personnes nées sous le signe du Taureau ; un front développé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette ampleur du front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe du Bélier ; et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes : le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé ; mon teint est coloré ; j'ai honte d'une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées ; mes deux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d'assez faible ou d'assez fuyant dans mon caractère.
Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j'ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut du corps incliné en avant ; j'ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté ; ma poitrine n'est pas très large et je n'ai guère de muscles. J'aime à me vêtir avec le maximum d'élégance ; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure et de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juge d'ordinaire profondément inélégant ; j'ai horreur de me voir à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante.
Michel LEIRIS, l'Âge d'homme, Gallimard, 1939.
Un bien bel exercice de détestation de soi. Je ne saurais parvenir à la cheville – à l’évidence ! – de mon modèle.
Dans cette détestation à outrance, Leiris avait naturellement l’espoir d’une catharsis… Il l’écrit lui-même dans son Journal : « Je voudrais que mes amis se rendent bien compte que L’Âge d’homme est une liquidation. Si j’ai fait mon portrait avec tant de minutie, en me montrant si vil, ce n’est pas par complaisance mais avec sévérité et comme un moyen de rompre. Ce que m’a dit Picasso, de mon portrait physique du début : “Votre pire (ou meilleur) ennemi n’aurait pas fait mieux !” » (Journal, 7 janvier 1936, Gallimard, “NRF”, p. 298).
(Emboîtant son pas, je n’ai eu, m’accablant d’un peu de laideur et de vilénie, (bien sûr) aucun sentiment de délivrance. Il est vrai que ce n’est pas le but que je poursuivais : j’obéissais, en fait – et par exception —, à mon modèle comme le seul en qui je pouvais avoir confiance… plus encore même que Montaigne — dont Rousseau disait qu’il s’était « peint ressemblant mais de profil » (mais… bon… Rousseau aurait pu et aurait dû s’appliquer à lui-même l’épigramme !)… Aussi — faut-il le préciser ? — cet autoportrait n’est pas toujours à prendre à la lettre : il existe des contre-coquetteries… qui, pour autant, ne constituent pas des contrefaçons !)