Archives GA LXIV & LXVI
Automne 2009, journal extime et parisien (23 à 26)
Mercredi 28 [octobre]
14 h 30 – 23 heures, XVe arrondissement
Rendez-vous était pris chez B., cette fois, à 14 heures 30.
Je la saoule un peu de mes rendez-vous intenses de ces jours derniers. Elle s’amuse de me voir si enthousiaste.
Nous allons dans une salle près de Montparnasse voir le Ruban blanc de Peter Haneke. B. est plus contentée que moi encore, et nous commentons longuement les images que nous avons vues, heureux d’être pour un temps réconciliés avec le cinéma.
Je l’avais prévenue que j’en aurais sans doute assez de dîner au restaurant. Au retour, nous faisons quelques courses dans son quartier. Elle avait prévu succinctement en conséquence un repas à peu près diététique sans sauces inutiles : saumon au court-bouillon et chou-fleur. Elle se raille elle-même d’avoir d’habitude peu d’entrain à inviter les gens chez elle : « Ne le dis pas à S.! Elle sera jalouse que je t’aie fait à dîner ! » C’est — naturellement… — une plaisanterie entre nous trois — comment se doute-t-elle (ce doit être, en fait, un secret de Polichinelle !) que nous avons pu en discuter, S. et moi, de notre côté ? — et nous évoquons tout à trac notre cohabitation d’une année, ce qui n’est néanmoins pas sans à propos.
A onze heures et demie du soir, fatiguée peut-être de mon babil, elle me laisse prendre congé.
Jeudi 29
N*** a raison : parfois le malheur colle à nous comme de la glu. (Pour être précis, je le cite avec ses mots à lui : « Le bonheur est plus sexy que le malheur ».)
Ce jour-là : sans heure et sans lieu
Idée d’un journal à l’envers — pour prendre (un peu) les choses par le revers, voire pour les secouer.
Ai fait d’infimes progrès : je parlais naguère d’enfoncer un coin dans une relation morte. Avec mes interlocuteurs, j’ai plusieurs fois fait appel à une autre image : celle d’un levier. Je me demande bien quel monde il reste à soulever ! Et à quel poids se heurtera le levage !
* * *
Je redoutais cette première et unique journée seul à Paris. C’était sans compter sur un temps plus lumineux encore et plus chaud que les jours précédents. Plaisir à marcher dans les rues, à voir et à sentir sur soi le soleil. Et il faisait plus beau au même endroit qu’il y a quatre ans (mais était-ce bien il y a quatre ans ?).
Ai déjeuné dans un restaurant indien — sans N*** —, avant de retourner (j’avais oublié y être allé déjà…) au Musée Cognacq-Jay. Puis suis retourné au Musée de l’Orangerie (où j’ai fait, devant les Nymphéas, comme tout le monde : j’ai pris des photos : elles seront ratées ou passables, j’aurais mieux fait d’acheter des cartes postales, lesquelles déçoivent d’ailleurs — puisque les fresques de Monet perdent de leur charge vibratile en changeant si cruellement de format !)
En sortant, j’ai marché sur les Terrasses de Tuileries, désertes, flamboyant dans un soleil déclinant.
Je rentre, décidément enceint des rencontres faites ici. Les gens m’ont mis à l’épreuve, m’ont bousculé. Certaines de ces épreuves ont été difficiles : elles m’ont permis de me rendre compte que j’avais encore du chemin à parcourir ; d’autres m’ont fait à la fois m’éprouver et éprouver de riches émotions. Non pour moi, mais — à travers moi — ce qui pouvait se comprendre de mes interlocuteurs. Je m’en voudrais de les avoir trahis. Je rapporte quelques épreuves photographiques aussi. Ces images, prises de temps à autre, témoignent surtout d’une pensée, de pas dans des pas antérieurs — de clins d’œil et d’hommages.
Il faut encore leur rendre gorge.
* * *
Vendredi 30 octobre
Retour ici. Quoique le ciel soit clair et lumineux, il fait une température un peu trop crue pour s’installer à la terrasse des cafés.
J’ai retrouvé mon espace, immense par rapport à l’exiguïté des lieux parisiens. J’avais rangé l’appartement toute la matinée avant de partir afin de n’avoir pas à constater au retour combien ces dernières semaines j’avais laissé le désordre s’installer (ceci dit presque d’un trait).
Nous marchons vers l’hiver à l’évidence, mais cet automne a été magnifique (j’en suis si plein encore qu’il est difficile de ne pas se sentir dépossédé). Les rousseurs merveilleuses sur fond du ciel bleu sont donc des splendeurs rouillées. Ce séjour aura tout de même fait mûrir des promesses mirifiques. Et comme je l’ai écrit à N*** et compte le redire à Aymeric — Aymeric que j’espère, dans une dissymétrie inverse à celle qui paraît désormais me lier à N***, ne pas avoir trop malmené — ce séjour m’a curieusement éprouvé, mais pas nécessairement (ou plutôt : pas seulement) au sens négatif du terme. Contrairement à ce que j’avais parfois pu croire auparavant, je ne suis pas sûr d’être assez mûr encore pour entamer une nouvelle histoire avec quelqu’un. Rencontrer N*** et Aymeric et me raconter nécessairement un peu m’ont fait mesurer combien je demeurais vulnérable.
Je me méfie néanmoins des dissymétries. Elles sauraient encore quelquefois me blesser : je reste (indécrottablement) sensible et pèche souvent par excès de sentimentalité. Lorsque je donne trop et qu’il me paraît ne pas assez recevoir en retour — même si l’amitié n’est pas si comptable (cela me rappelle un « post » que j’ai finalement supprimé… et qui devait, finalement, assez bien me représenter…) —, j’ai tendance à trouver particulièrement injuste l’incurie dont je suis l’objet.
Et que de relations dissymétriques, en l’occurrence, j’ai connues ! Et je ne parle évidemment pas seulement de celles qui me concernent !…
J’espère revenir. Je veux dire : j’aspire à retrouver avec la même intensité le bonheur à m’éprouver à autrui. C’est avec tendresse que je songe à François, à ses confidences à mi-mot, ce qu’il a dit de son problème d’alcool, ce qu’il a dit mezza-voce de ses regrets. Je sais qu’il y aura d’autres moments où nous serons ainsi de plain-pied. Il n’est plus bien sûr le garçon superbe qui se prenait pour Corto Maltese — et lui ressemblant assez dans ses amours compliquées, notamment, avec les femmes —, mais il donne plus sans doute qu’il ne le croit…
Naturellement, je laisse invisibles quelques soubassements. Par pudeur, par respect pour autrui. Par la crainte que j’aurais aussi de les blesser. Il se peut que j’aie tort à ce sujet, mais je ne veux pas les livrer à la sagacité de quelque lecteur anonyme : la facilité avec laquelle N*** a reconnu JM alias L***, alors que je croyais avoir pris des précautions (il faut toutefois tenir compte du fait qu’ils se sont plusieurs fois rencontrés), m’a désarçonné.
… Je ne sais même pas si je publierai ces lignes, qui, à mesure, sont devenues de moins en moins « extimes », mais je me suis pris de passion à les écrire… Vraiment.