Archives GA XLIV & LI

Publié le par 1rΩm1

 

Automne 2009, journal extime et parisien (8 à 12)

 

Dimanche 25 octobre

10 heures-15 heures : de Poissonnière à République

J’ai quitté mon hôtel minable pour m’installer dans un deux étoiles beaucoup plus confortable.

Quand je suis passé à midi Place de la République, j’ai cherché l’Holiday Inn, puisque j’avais rendez-vous avec P*** [Aymeric] sous la marquise de cet hôtel trois heures plus tard. La Place de la République est grande — et j’ai craint d’abord de l’avoir manqué. J’ai laissé erré mes yeux sur les façades du dernier pâté de maisons devant lequel je n’étais pas passé — et repéré une marquise digne de ce nom. Peut-être l’enseigne avait-elle tout simplement changé…

 

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Je suis donc entré dans le hall du Crowne Plaza en m’enquérant d’un Holiday Inn fantomatique. Mon intuition était juste. Je me suis amusé de ces rendez-vous improbables donnés par mes interlocuteurs parisiens — dans des lieux en pleine rue, qui plus est, empêchant de pouvoir se poser en cas d’éventuel retard —, mesurant combien un rien peut détraquer la belle machine qu’on a mise en place.

 

J’avais rendez-vous avec P*** à 15 heures. J’étais en avance d’au moins dix minutes. J’ai photographié nouvelle enseigne et verrière deux fois en attendant P***.

 

Au pied de la statue de la République, j’ai découvert, comme j’en faisais le tour, un panneau rendant hommage au combat d’Aung San Suu Kyi.

 

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Me sont revenus en mémoire, violemment, la Birmanie, Rangoon où j’étais le 08/08/88 — avec cette rage, ce désespoir qui sourdent à leur évocation…

 

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Dans la sorte de bande dessinée qui enserre la base de la statue, de cette commémoration théâtrale, l’abolition des privilèges m’a paru la seule digne d’être photographiée.

 

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Et il fallait bien passer le temps en attendant P***…

 

*  *  *

Précisément, P*** n’arrivait pas. Une demi-heure après l’heure supposée du rendez-vous, j’ai saisi le portable et appelé. Voix surprise. J’entendais assez mal, de mon côté, du fait de la circulation sur la place. Nous avons filé le malentendu quelques phrases encore, avant que je m’entende expliquer que nous étions désormais à l’heure d’hiver depuis la nuit dernière — ce que N*** pas plus que moi ne semblait savoir, ni d’ailleurs son portable quand il l’a consulté pour savoir si l’heure du dernier métro était ou non passée (mais il est vrai que ce n’est peut-être pas à minuit que le changement se fait — et mon portable, lui, avait conservé l’heure de la veille) ! J’étais voué, décidément, à ne pas arriver ou ne pas voir arriver à temps durant ce séjour !

 

15 heures-18 heures ; République, la Villette

P*** est donc arrivé très ponctuellement à l’heure de 15 heures. A l’inverse de N***, j’étais certain qu’il serait exact, et il ressemblait lui aussi à ce qu’il avait écrit — ou dit de lui. Notre conversation, préparée par des messages souvent longs qui ressemblaient de plus en plus à des lettres telles qu’on en écrivait naguère, s’est faite assez naturellement. Nous nous sommes rapidement concertés pour savoir quoi faire — une exposition, un musée paraissaient assez mal appropriés pour une première rencontre… — et, proposant, le temps aidant, un parc quelconque loin des voitures, j’ai eu la surprise de confondre quelques instants mon interlocuteur, qui ne savait où aller… Finalement, nous avons pris le métro pour La Villette, et, sortant sans doute au mauvais endroit, avons marché dans un périmètre plutôt ingrat, entre la Cité de la Musique et l’Avenue Jean Jaurès. L’endroit n’avait rien de vraiment vert ni de bucolique, mais cela importait peu : nous nous parlions sans trop de gêne, même si, de temps en temps, P*** paraissait embarrassé (je n’ai compris qu’après coup que P*** est peut-être encore plus timide que moi — ou tout autant, mais d’une autre façon…). Quoi qu’il en soit, même dans le métro qui nous a emmenés ou ramenés, la conversation s’est poursuivie, souvent à l’invite de P*** d’ailleurs, ce dont je lui étais reconnaissant.

 

Je serais incapable désormais de dire de quoi nous avons parlé pendant près de huit heures. Je sais que nous avons parlé de nos voix. Je lui avais envoyé le même texte et les mêmes photos qu’à N***, et le développement que j’ai pu y faire sur le vieillissement des traits du visage, des mains, de la voix a peut-être joué sur l’assertion de P*** comme quoi il trouvait ma voix étonnamment jeune, ce qu’il m’a dit dans les premières phrases qu’il m’a adressées, — puisque nous avons d’emblée plaisanté de mon coup de téléphone — et qu’il venait pour la toute première fois de m’entendre. Lui n’aime pas sa voix, qu’il trouve sourde, et il juge son articulation des mots trop lente. Moi, je n’aime pas parler fort, et mes interlocuteurs ne m’entendent pas toujours, ce dont ils s’agacent parfois. Je l’ai questionné sur son métier. (J’avais, sur ses instances, pas mal développé de points quant au mien, que j’ai appris à aimer, même si, plus jeune, j’ai parfois vraiment voulu l’abandonner…) Nous avons parlé de nos lieux de vie respectifs. Du naufrage de nos couples. P*** m’a dit qu’il attribuait à la cohabitation, à l’achat d’une maison à rénover, l’érosion du sien. J’ai expliqué que nous ne vivions pas ensemble, R. et moi, mais que nous nous voyions au quotidien. C’était une vie de couple, certes, mais nous pouvions cultiver notre part d’ombre chacun chez soi et à part soi, ce qui m’a toujours paru fondamental. J’avais dit ne pas aimer « les sommeils dans un même linge », et je maintiens n’être pas romantique à ce propos. Filant la matière, j’ai pu voir des ressemblances dans le profil psychologique de nos anciens amants, R. ayant toutefois bien plus durement « capoté » que l’ami de P***, ses séquelles, y compris sur moi, étant autrement redoutables.

Nous parlons assez longuement du handicap de ma mère — et lui s’attarde sur la mort de son père. Il me dit que c’est à cause de son père qu’il a conçu de la détestation pour les fumeurs. Je lui raconte que j’ai longtemps été un très gros fumeur. P*** prétend alors avoir lu sur les traits de mon visage ce trait-là de mon passé. Je lui demande des précisions ; mais il se dit incapable de me les donner. Je pense alors que — si ce n’est la voix… — l’ont peut-être renseigné deux sillons profonds qui balafrent mon visage, curieusement dissymétriques. L’un épouse une oblique, tandis que l’autre, plus droit, dévale, et, curieusement interrompu dans son parcours, accuse une ligne brisée, comme le sont parfois les lignes du creux de la main. (Je songe à Corto Maltese, qui s’entaille de son rasoir pour se donner une vraie ligne de chance — d’amour ou de vie, je ne sais plus…)

 

Nous avons aussi bien sûr, quoi qu’il en soit, cherché à approfondir nos goûts, principalement en musique ou littérature. Il n’aime pas le free jazz — et ne connaissait pas Coltrane. Je lui avais fait découvrir Louis-René des Forêts, et il m’a parlé de Guibert (que je n’ai plus lu depuis un certain nombre d’années). Sur des films vus récemment, nous sommes tombés d’accord.

Pour autant notre conversation n'était pas celle d'intellectuels, et nous avons surtout parlé de nous.

 

18 heures-23 heures ; le Marais

Après la Villette, c’est au Marais à nouveau que nous nous sommes transportés. Après avoir un peu divagué dans les rues, nous sommes entrés “Au rendez-vous des amis”, enseigne qu’a commentée P*** comme un heureux augure. Pour ma part, j’ai songé au tableau de Max Ernst, photographié l’an dernier au musée d’art moderne de Cologne — et repensé combien alors je regardais les tableaux accrochés comme si R. les regardait aussi par-derrière mon épaule (d’où les photos que je faisais parfois, comme par mauvaise conscience de les regarder seul), ce qui avait passablement entaché mon court séjour en Allemagne.

 

L’heure du dîner survenant, le restaurant polonais de la Rue du Roi de Sicile étant fermé (nous étions dimanche), nous avons erré et choisi de dîner à l’aventure dans le même périmètre. Là encore, j’étais surpris de constater que mes interlocuteurs parisiens n’aient pas eu dans leur carnet d’adresses un endroit où m’emmener. Comme la veille, le dîner a donc été médiocre, et, si elle a parfois faibli, la conversation s’est poursuivie dans un dernier bar jusque vers vingt-trois heures.

 

Cette conversation, je dois dire, m’a curieusement éprouvé, mais pas nécessairement (ou plutôt : pas seulement) au sens négatif du terme. Contrairement à ce que j’avais parfois pu croire, j’ai dû m’avouer n’être pas sûr d’être assez mûr encore pour entamer une nouvelle histoire avec quelqu’un. Cette première rencontre avec P*** (et, dans une moindre mesure, celle avec N*** la veille) m’a fait mesurer combien je demeurais vulnérable. Pourtant, nous avons passé des moments agréables ensemble et eu une conversation véritablement nourrie, facilitée sans doute par les échanges que nous avions eus préalablement.

En dépit de cette belle rencontre, nous nous sommes donc quittés, P*** et moi, sans que je propose d’autre rendez-vous. J’ai eu le sentiment que, de mon côté, j’avais eu un peu en sourdine et comme partition la chanson de Barbara “Attendez que ma joie revienne”... A moins que P*** et moi on ne se plaise pas tout à fait ?

(Du coup, je repense au vertige ressenti en entendant par hasard cette chanson de Barbara chantée par un anonyme sur YouTube. Sur une image fixe d’un poste radio, on entendait une voix qui, si je ne savais que c’était impossible, m’a paru, quand je l’ai entendue, être la mienne…

Car rien ne nous est plus étranger et ne peut nous échapper que nos voix.)

 

[publié le 05/01/2010 à 08:22 sur le site GayAttitude]

 

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de : OLIFAN

comment ne pas penser à Rohmer, au 7ème Art, dans ces cafés, restau., il y avait des "silhouettes", personnages d'arrière plan, flous mais certains, avec leurs certitudes de décors ; une silhouette qui t'a vu, qui a senti ton incertitude, d'autant plus, par contraste,,, vivre avec bonne volonté, art du soin, du doute, 8ème art? et c'est agréable à lire,

 

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