500 - Parallèlement : Paris-Marrakech-Paris (journal extime) (1)
Parallèlement : Paris-Marrakech-Paris (journal extime)
5 mars – 14 mars 2014
Paris, 5 mars
J’étrenne un nouveau carnet, plus mince que le précédent. Il m’accompagnera moins longtemps, ou je devrai faire plus court. (L’autre a fait son temps — s’il a failli naufrager dans des mains étrangères, qui l’auraient sans doute mal intercepté… Comment ne pas se rappeler une raillerie de N***, qui, sur le moment, m’avait fait de la peine ? — à ce propos !...)
Parti précipitamment pour attraper le train, j’ai — vraisemblablement — laissé sept cents euros destinés à couvrir mes frais de voyage ainsi que la caution demandée par la propriétaire de l’appartement que j’occuperai à Marrakech. Je rapporte, je ne sais pourquoi, ce superbe acte manqué à mes clavardages récents avec Faiz, que j’ai pressé de me rejoindre à Marrakech — et qui ne viendra pas. (Je m’en suis voulu de n’avoir pas compris immédiatement qu’il habitait loin, qu’une journée de voyage en bus lui serait nécessaire, qu’il n’avait pas non plus l’autonomie — ni familiale ni financière — suffisante : je l’avais rencontré alors qu’il était étudiant en France au tout début de l'année 2012 ; depuis, je le croyais rentré au Maroc pourvu d’un diplôme et d’un emploi ; s’il a obtenu l’un, l’autre s’est avéré précaire, et le voici, à vingt-six ans, dépendant d’un père auquel il ne peut dire — comme il me l’a spirituellement écrit — qu’il va rejoindre un lover rencontré en France quelques temps auparavant…)
De même, je m’interroge : n’ai-je pas invité M.-C. à dormir chez F. et Pascal à mon retour pour restreindre mes opportunités de rencontrer **** ?
(Je déteste par principe voyager avec d’importantes liquidités, ce qui est toutefois difficile à éviter dans certains pays — et, sur place, fais toujours en sorte de pas exhiber de grosses coupures qui pourraient me faire passer pour insolemment riche, ce qui, converti à l’aune des salaires indigènes, est parfois vrai…)
Suis tombé sur Erevan — quel joli prénom ! —, sur le quai du métro à la Gare de l’Est. Je ne suis pas encore très loin de ***, il est vrai. Et l’univers paraît toujours étriqué. Mais je ne serais pas autrement surpris de trouver quelque connaissance sur la Place Jemaa el-Fna…
[En amont : ces notes retrouvées, écrites avant de partir, et qui corroborent ces phrases :]
28 février
Faiz. J’avais oublié son visage.
Au cours de la conversation — en fait, un « clavardage », alors que la caméra était branchée —, je regardais un inconnu.
2 mars
Sans nouvelles de Faiz. Nous ne nous verrons pas — sans doute. En même temps, il m’aurait déplu d’assumer — ce que je n’ai jamais fait pour quiconque — financièrement son séjour.
Je mesure, à présent, ma naïveté en l’invitant à me rejoindre : le voyage lui prendrait treize heures ; il dépend entièrement de son père, malgré ses vingt-six ans, puisqu’il est sans travail, malgré ses diplômes français, et, cadet de la famille — je songe à Duncan... —, paraît dépité d’avoir une sœur ingénieure à Strasbourg et un frère, lui aussi ingénieur, à Rabat. Il est vrai que, lorsque nous avons correspondu en janvier, il se trouvait à Marrakech, où je pensais — peut-être lui-même m’avait-il amené à y songer — qu’il se rendait régulièrement…
3 mars
Faiz me confirme qu’il ne pourra venir. Il n’a pas réussi à convaincre son père de lui payer le voyage.
4 mars
Je me demande si ce retour à Marrakech presque huit années après un premier séjour ne correspond pas à quelque dessein — tout inconscient —, non pas de remettre des pas dans des pas, mais, au contraire, d’effacer des traces sur d’anciennes traces, façon de pratiquer à rebours je ne sais quelle terre brûlée.
Pourtant. En recherchant l’album photographique de 2006, en regardant, sans m’y attarder d’ailleurs, certaines images que je trouvais très belles — et qui me semblent l’être en effet —
Evidemment pas sûr que ce séjour soit une bonne idée…
* * *
Album parallèle : PARIS-MARRAKECH-PARIS (2006) (1)
Je suis à Marrakech du 3 au 9 mai 2006 avec R.
J’emporte avec moi un appareil photo numérique acheté à bas prix : l’idée de ne pas devoir « développer » les clichés pris pour savoir s’ils sont ou non réussis, celle de ne les conserver qu’au cas où ils le seraient, ont présidé à cet achat.
Je romprai donc avec une habitude : ne prendre aucune photographie durant mes vacances afin de ne pas ressembler aux autres touristes bombardant de leur objectif les monuments — quand ils ne les salissent pas d’un des membres de leur famille, et ce, pour attester leur présence un jour devant quelque Koutoubia qu’ils n’auront qu’à peine regardée.
J’ai déjà pris quelques clichés dans mon appartement — de R., de M., de C. et L. — de façades d’immeubles et de maisons à *** (déjà alors !) — afin de me familiariser avec cet objet technique, qui, pour n’avoir pas la noblesse des appareils « argentiques », n’en est pas moins fascinant...
L’album photographique de l’ordinateur constitue aujourd’hui ma mémoire externe de ces moments qui paraissent dater d’une tout autre époque. Consultable à loisir, je m’y réfèrerai pour cet « album parallèle » d'autant plus extime que j'ai beaucoup oublié entre-temps.
Je sais que je suis content d’aller avec R. ailleurs que dans une capitale européenne (de fait : nous les aurons bientôt toutes épuisées !). Nous avons approché l’Asie lors d’un séjour à Istanbul. R. a apprécié, malgré la chaleur d’août, de séjourner sur les rives du Bosphore. Je caresse l’illusion que je l’emmènerai peut-être quelque jour en Asie du Sud-Est.
Quoi qu’il en soit, c’est lui qui a l’idée d’un séjour à Marrakech. C’est lui qui réserve l’hôtel, un peu excentré mais agréable, dans lequel nous résiderons.
Le 2 mai 2006, mémoire photographique estampillée et vérifiée, nous sommes à Paris. Je prends, du Pont-Neuf (Carax), une photo de l’« éperon viride » du Square du Vert-Galant (Leiris)…
Je photographie également, sans savoir que j’aurai près d’elle rendez-vous un jour d’avril 2010 (?) avec C*** et redécouvrant alors l’endroit, la verrière qui recouvre la bouche de métro place Sainte-Opportune, l’une des issues de la station Châtelet…
* * *
Cette autre mémoire externe que constitue le scannage de certains textes lus m’apprend que mon souvenir du chapitre “Perséphone” de Biffures, s’il n’est pas exact, est tout de même approchant :
Des divers sites qui m’inspirent (j’entends par-là : dont le spectacle m’alimente, m’infuse un air capable de me vivifier) entre ceux qui font l’agrément de mon nouveau quartier(1), il en est un que je n’ai pas encore visité : c’est le square du Vert-Galant. Il occupe, par-delà le Pont-Neuf, toute la pointe de la Cité, partie la plus fluviale de l’île et dont le triangle s’amincit au ras de l’eau, porteur d’une masse d’arbres touffus abritant les bancs où viennent s'asseoir les promeneurs. Eperon de nature viride s’enfonçant entre les flots souillés de déchets urbains, comme pour en accélérer la marche ou en débrider la plaie. Enclave d’éden, qui semble jouir — par rapport aux pâtés de maisons anciennes ou modernes s’élevant à proximité — d’un privilège d’exterritorialité propice à la fonction alimentaire des nourrices comme aux conciliabules des amants.
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Le 3 mai, nous avons basculé — non pas Place Sainte-Opportune (aimable lapsus !), mais — Place Jemaa el-Fna…