518 - Parallèlement, journal extime [suite et fin] (15)
Parallèlement : Paris-Marrakech-Paris (journal extime)
5 mars – 14 mars 2014
Paris-Marrakech-Paris. En débord.
18 mars
Je caresse le projet — vague encore — d’un week-end à Paris à Pâques.
(J’ai écrit à Aymeric en ce sens.)
J’ai croisé Michel ce jour, que je n’avais pas vu depuis le 10 mai dernier. « Cela fait presque un an », m’a-t-il dit.
Etrange déconcertement de l’entendre dire ce que je pensais moi-même il y a peu. Stupide un instant, je n’ai su quoi répondre...
[En amont : /Dimanche 21 mars/ ?? / ou lundi 21 avril ? et qu’en en est-il des autres jours de ce week-end ?]
Aymeric.
Tante décédée.
Photos trop posées [??] [Mappelthorpe ?]
Pas trop aimé non plus dernier vol de Juliet
Voyage en Italie
Changemt de plans toutes les 20’’ (28’)
Déjeuner chez Judith.
2 expos du Gd-Palais
Mappelthorpe assez décevant [F. et Pascal me soutiendront le contraire]
Manie des commémorations
le bimillénaire de la ‡ d’Auguste
N en retard comme d’habitude
(A la seconde pinte, je risque d’être saoul.)
[Lundi 21 avril]
Je me trouve curieusement empêché de remettre en forme les fusées de mon journal. J’ai, cependant, passé un week-end prolongé à Paris, profitant des vacances de Judith, de N. et des enfants, pour loger chez eux. De ces quelques jours — du samedi 19 au mercredi 23 peut-être [mardi 22, en fait] —, n'est gardée que la trace de ma journée avec Aymeric, et il me faut faire des efforts de mémoire et recouper les informations dans leur plausibilité pour en interpréter avec justesse le sens.
Tout débute d’ailleurs par un lapsus évident. Nous nous sommes vus le lundi de Pâques, Aymeric et moi, j’en suis quasiment certain : j’avais noté et commenté la coïncidence de l’occasion, d’une l’année l’autre, ce dont je me souvenais parfaitement : comment l’entrée du « Dimanche 21 mars » pourrait-elle de la sorte convenir ?
Comme il est impossible également que j’aie déjeuné avec Judith ce jour-là, j’ai dû inviter Aymeric à manger chez Judith, la notation n’étant ambiguë que parce que je n’ai pas assez rapidement mis en forme les notes du petit carnet qui m’avait accompagné pendant mon séjour.
Je crois me rappeler avoir la veille ou l’avant-veille visité l’exposition Mapplethorpe-Rodin et pris quelques photographies, dont j’avais envoyé l’une plus tard à Aymeric, l’intitulant par plaisanterie « çagaze ».
(Je pourrai évidemment consulter l’album photographique de l’ordinateur, le logiciel gérant mes courriers... pour avoir confirmation ! — Cependant, je préfère puiser dans ce qu’il reste vif de la matière mémorielle, auparavant...)
* * *
Un an auparavant, le 5 mai, au moment où nous apprêtions à déjeuner, j’avais appris le décès de J.-M., ce qui explique peut-être les éclipses mêmes de ma mémoire, les actes manqués en chaîne attachés à ce jour, ou plus globalement à mon séjour... Or, Aymeric, lui, vient d’apprendre la mort de sa tante, et je m’en voudrai après-coup d’avoir apporté moins de sollicitude que lui ne l’avait fait l’année précédente — pensant, sur le moment, qu’une perte familiale ne devait pas peser autant que la disparition d’un ami proche, glissant donc un peu sur la nouvelle quand je l’apprends, alors qu’Aymeric y reviendra plus tard dans l’après-midi et dans un courriel ultérieur — et moi de ne comprendre qu’à retardement que cela le touchait plus qu’il ne l’avait dit...
Après déjeuner, Aymeric me fait bénéficier du “pass” pour deux personnes qu’il a acheté afin de voir les expositions du Grand-Palais : nous commençons par celle consacrée à Auguste (dont j’ai rendu compte déjà, en ironisant quelque peu sur la manie contemporaine de célébrer à tout va, en l’espèce les deux mille ans de la mort d’Auguste, ce à quoi, pour ma part, si je n’avais visité l’exposition, je n’aurais songé seul, en dépit de mes talents de numérologue inepte !). L’exposition, riche en informations de toutes sortes — certaines, d’ailleurs, très redondantes d’une salle à l’autre —, nous ramène aussi bien à une latinité de collège qu’aux rêveries historiques dont la mémoire en partage se nourrit autour d’épisodes rebattus. En outre, les œuvres, souvent belles, font qu’en tout état de cause nous sortons contents de ce que nous avons lu et vu.
Contournant le bâtiment, nous nous rendons ensuite à l’exposition Mapplethorpe.
Je me souviens avoir été déçu, et Aymeric, plus encore que moi. Ce doit être — si je me relis bien — parce que les photos étaient très posées, mais aussi parce qu’elles nous ont paru très datées — peut-être aussi parce que certaines ont été très divulguées, d’autres souvent imitées, les unes banalisant les autres...
L’alignement de photos “people” en forme de jeu de l’oye agace, même si jouer aux who’s who peut être amusant… Je ne me rappelais plus que les pochettes de disque de Patti Smith étaient l’œuvre du photographe, celle de Horses jouant superbement de noirs, gris et blancs — et avec l’androgynie de la Pythie rockeuse...
Là aussi des pans de mémoire reviennent, aussi erratiques et précieux que des débris de banquise… François aimait Lou Reed. J.-L. avait plus de fascination pour Patti Smith... Ce rock qui s’autorisait de la poésie me parlait à moi autrement que celui de Bill Haley ou d’Elvis Presley... Aujourd’hui encore, des émotions affleurent encore à entendre incidemment les morceaux de l’une ou de l’autre, telle la chanson We three, auquel j’apportais quelques résonances autobiographiques, dans le va-et-vient que je compliquais à loisir (refusant sans doute encore, sauf à demi-mot et pour moi seul, d’admettre lequel imposerait une préférence sexuelle définitive) entre S. et J.-L. :
You say you want me.
I want another.
Say you dream of me.
Dream of your brother.
Oh, the stars shine so suspiciously
for we three. […]
You say you want me.
I want another, baby.
You say you wish for me.
Wish for your brother.
Oh, the dice roll so deceptively
for we three. […]
Every night on sep'rate stars, before we go to sleep,
We pray so breathlessly.
Baby, please... don't take my hope away from me !
* * *
Quant au bunker des photos pornographiques interdites au moins de dix-huit ans devant lequel il faut faire la queue, il faut croire que ni Aymeric ni moi n’y retrouvons nos fantasmes puisque, l’effet de serre chaude agissant, nous allons plus rapidement encore que devant les photos de fleurs en très gros plans ou face aux corps dénudés, afin de fuir cette touffeur au plus vite.
* * *
Nous nous posons ensuite dans un café, laissant à nos pieds un peu de répit mérité. Nous commentons, sans nous étendre — ni lui ni moi n’entendons discourir à ce propos —, les lieux parcourus.
(Ce n’est que plus tard qu’Aymeric me livrera son sentiment : « L'expo Auguste, très conventionnelle, est tout de même très bien.
Je suis plus circonspect pour Mappelthorpe. »)
Comme moi, il a moins aimé le dernier volume du journal de Juliet que les précédents. Aymeric est cependant beaucoup mieux avancé que moi dans sa lecture du Journal — puisque il en a lu les sept volumes. Il m’explique combien d’un volume à l’autre l’évolution de l’écrivain est palpable — et fascinante, sa mue. De fait, si l’homme, sorti de sa chrysalide, connaît désormais l’apaisement, on ne peut que se réjouir d’un trajet de vie si bien orienté. Des pulsions suicidaires du début, de l’univers gris et plombé des commencements aux lueurs dansantes d’une sérénité qui paraît pénétrer son intérieur, la cartographie est indéniable.
Entre autres sujets abordés, il me dit que l’émission 28 minutes d’Arte lui est pénible du fait de changements continuels de plans toutes les vingt secondes, au point qu'il a renoncé à la suivre. (Je lui en parlerai plus tard, mais je n'ai pas la présence d'esprit de lui dire que je connais l'antidote absolu à ce type de frénésie inutile, que je supporte assez mal, pour ma part, dans le cinéma américain contemporain...)
Il me dit aussi qu’il sera en Italie cet été...
Ai-je pris une seconde pinte en la compagnie d’Aymeric — ou est-ce plus tard ? Je ne sais. Il semble que non, si, évaluant le risque d’être soûl, la notation signifie que j’y ai renoncé...
La dernière fusée suppose que j’ai dû voir N*** le soir. Mais — et je m’en étonne — je n’ai rien retrouvé à ce sujet, ni dans mes notes, ni dans ma mémoire...
* * *
C’est sans doute avec lui que la question d’une autre bière a dû — donc — se poser... Voici en tout cas ce que j’ai écrit, à mon retour, le mardi 22, à Aymeric :
Suis rentré tout à l'heure de mon séjour parisien... Merci encore pour les deux expos et la journée passée ensemble hier.
(N*** hier n'avait que vingt minutes de retard ! Je lui ai donc dit qu'il était en avance. Ça l'a amusé...)
Mon séjour s'est achevé par une journée plutôt nulle et non advenue... L'exposition du Musée de la poste est toute petite : l'espace loué auprès de la mairie n'est pas plus grand que mon appartement... Il était un peu tard pour se transporter jusqu'au musée des Lettres et manuscrits. Peut-être n'avais-je pas vraiment envie de voir cette exposition... mais j'ai commencé [le Feu,] le roman de Barbusse dans le train... et cela m'a laissé le temps de briquer la cuisine et la salle de bains chez Judith et N. !
A bientôt. Si ce n'est durant un long week-end à venir, ce sera fin juillet (sans doute).
Amitiés.
PS Photo de l'exposition Rodin/ Mapplethorpe : j'aime bien l'air de contentement du jeune homme d'être ainsi enrubanné dans la gaze et [si] proche [si proche] de son compagnon...