531 - Paris - Lille - Paris : journal par (r)accroc (11)

Publié le par 1rΩm1

 

Paris – Lille – Paris : journal par (r)accroc

(journal extime, 19 octobre – 28 octobre 2013)

 

Samedi 26 octobre

Paris, soir

Je passe une soirée du dernier triste avec ****.

Il m’aura accordé tout au plus une heure et demie.

 

Je reçois tout d’abord un SMS ; il m’en prévient : il risque d’être en retard, il ne sait où se trouve la Place Sainte-Opportune.

Cependant, il arrive à l’heure. Il oublie de me saluer, et se met en marche avec brusquerie sans que nous ayons décidé même d’un endroit où nous rendre : c’est moi qui vais vers lui et l’embrasse. Quelques mètres en avant de moi, il reprend sa marche curieusement fougueuse, sans, semble-t-il, se soucier si je le suis ou non. Alors qu’il paraît parti en direction des Halles, il oblique tout à coup vers le Marais.

Je suis foncièrement décontenancé : jamais je ne l’ai vu si peu loquace. Je prends toutefois l’initiative d’un développement, lui parle de mon séjour à Lille. Cela n’a pas l’air de beaucoup l’intéresser. Il me revient alors que, la fois précédente, je lui avais parlé de quelque visite dans un musée — à quoi il avait répondu sur un ton coupant, presque de défi, que lui n’aimait guère les musées… De plus en plus embarrassé, je dis alors que nous devons changer d’heure durant la nuit, lui rappelant que nous ignorions que c’était le cas quand nous nous étions rencontrés la toute première fois, à telle date, rappelant alors une mémoire partagée que je suppose heureuse.

Il me rétorque qu’il n’a pas la mémoire des dates. J’y vois un reproche à mon endroit, dont l’esprit est encombré de chiffres, comme si j ‘avais toujours quelque équation à résoudre et entendais débrouiller ainsi la clé de l’univers. Je lui concède à remords que c’est parfois bêtement encombrant  d’avoir pareils souvenirs chiffrés.

531 - Paris - Lille - Paris : journal par (r)accroc (11)

Nous traversons le boulevard Sébastopol, passons devant ce restaurant japonais où j’ai déjeuné un jour avec C***, quittant alors les Halles pour le Marais. Les gens aux terrasses sont plus nombreux qu’en juillet.

C’est pourtant à l’intérieur d’un bar où nous sommes déjà allés que **** me remorque. Sa froideur m’impressionne. Je ne sais comment dégeler son humeur, ni que dire, ni comment.

Je me lance tout de même. C’est pourquoi j’entame un portrait de mon hôte à Lille, Cyril, en retraçant telle ou telle anecdote qui me paraît éclairer sa personnalité. **** me dit — en vérité, je m’y attendais un peu et suis allé comme en avant du reproche — que je n’aurais pas dû cacher que j’étais “homo”, que, ce faisant, j’ai faussé nos rapports. Sur le principe, je lui donne entièrement raison. Pour autant, je ne suis pas certain que cela n’aurait pas altéré les éléments de perception que pouvait avoir de moi Cédric. Sensible au charme de quelqu’un, on ne veut parfois pas laisser croire à une relation de séduction — ce à quoi concluent trop vite les garçons hétérosexuels quand ils sentent les hommages qu’on leur rend... Selon ****, Cyril serait avant tout un « exhib », un garçon narcissique — si je le suis bien... — parce que porté aux confidences, une de ces personnes toujours prolixes parce qu’elles attendent qu’on les aime et les approuve. Je trouve le portrait psychologique un peu rapide et cruel, sans que je puisse néanmoins lui opposer quelque argument. (Il me reviendra ensuite que, selon les propres termes de Cyril, Jo est « la star du quartier » : du chien au maître il n’y a peut-être qu’une laisse à parcourir, et il est probable que Cyril, en bon fils de famille, doit aimer la considération dont il jouit auprès des petits vieilles de quartier qui s’inquiètent de l’oreille mordue de Jo par un autre chien, parce que ce trop gentil toutou n’a même pas vu le danger venir et n’a même pas protesté quand l’autre chien l’a mordu. Ne s’est-il pas lui-même posé en victime de son amie, mordu au cœur qui plus est le jour de son anniversaire ? Mais tout ça demeure un raccourci cruel...)

 

Il fait chaud à l’intérieur de ce bar. Mon malaise ne fait qu’augmenter la sensation d’accablement que j’éprouve. La bouche s’empâte de ce que je peux dire, qui me paraît stupide, et ne jamais devoir recueillir l’assentiment de ****. Celui-ci me fait répéter deux de mes formulations, soit qu’il ne les a pas entendues (j’ai le défaut de parler bas et l’endroit est bruyant, peu fait pour les conversations intimes), soit que, prudent sur ce que j’avais à lui dire, j’ai eu recours à quelque circonlocution, qu’il n’a pas comprise. Le dialogue se défait de plus en plus, et je suis soulagé quand **** propose de changer d’endroit.

 

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