532 - Paris - Lille - Paris : journal par (r)accroc (12)
Paris – Lille – Paris : journal par (r)accroc
(journal extime, 19 octobre – 28 octobre 2013)
Samedi 26 octobre, soir [suite]
Il est à peine plus de vingt-deux heures, mais **** se dit fatigué déjà. A nouveau à la remorque de ses enjambées, je propose de nous installer sur une terrasse, mais lui a froid. Il me dit alors vouloir expérimenter un nouveau lieu dans lequel il n’est encore jamais allé. Nous sommes bientôt les seuls clients à l’intérieur de l’endroit, debout près du comptoir. La conversation se fait de plus en plus chaotique et dispersée. Alors que sans doute je dis aimer les rencontres et vouloir encore élargir le cercle des amis (celui-ci se rétrécissant d’ailleurs à mesure des années, la difficulté étant plus grande aujourd’hui de se faire de nouveaux amis, quand, hier, une vie plus bohème permettait davantage de rencontres), il me rétorque que, pour sa part, il connaît suffisamment de gens, ses propres amis l’ayant suffisamment malmené tous ces temps derniers. Je le prends évidemment pour moi et proteste doucement avec de pauvres mots que je n’ai jamais voulu le blesser… Il le sait, me répond-il, mais enchaîne sur X ou peut-être Y, dont il attendait plus d’intelligence et de compréhension… En ce moment, il va sur des sites de rencontres, ce qui est encore le meilleur moyen, persiffle-t-il, de ne rencontrer personne… La formule me heurte, peut-être relève-t-elle de l’auto-ironie, peut-être n’ai-je rien perçu de la logique qui y a pu conduire… Il me répète être, en ce moment, dans tous les cas et sans exception, énervé… S’il est une chose que j’avais comprise, c’est bien celle-là. Et j’opine, en ajoutant qu’il l’est de fait depuis six mois.
La phrase semble porter. Il s’interrompt un instant. — Mais c’est pour me reprendre aussitôt. C’est pourquoi je lui donne quelques éléments de repère parmi tout ce qu’il a pu me dire et m’écrire. Lui-même paraît calculer. Il se radoucit : il avait compris d’abord « huit mois » — et ne disconvient pas de la chronologie des événements à laquelle j’ai référé. Que cela soit le seul point d’accord ce soir entre nous me paraît pour le moins absurde, et je m’irrite de ne pouvoir mieux pour **** que cette comptabilité.
Peut-être ne pouvions-nous mieux — de fait — que cette évaluation-là... Il me répète qu’il n’a pas envie d’aller dans les bars, que le fois précédente c’était avec moi, qu’il est fatigué et conclut : il va rentrer.
Nous nous quittons Place de l’Hôtel de Ville moins d’un quart d’heure ensuite.
Je rentre l’âme écorchée. J’additionne moi aussi : cette amitié qui paraît prendre l’eau de toutes parts, depuis quand est-elle devenue tout à coup difficile quand elle semblait naguère n’amener avec elle que légèreté, humour, fantaisie et confidences débridés ?
J’en reviens au même chiffre : six mois.
* * *
C’est peu dire que **** m’a fait de la peine. Je ne comprends pas la raison qui aurait pu le pousser à tant m’agresser… A moins que, tout simplement, cela n’ait pas relevé d’un désir conscient, mais d’un obscur et irrépressible besoin de destruction qui n’était pas dirigé contre moi mais s’exprimait comme malgré lui. Parce que, s’il n’en avait pas envie, pourquoi avait-t-il accepté de me voir ?
Incapable de raisonner davantage, je finis par céder au sommeil, mais dors d’un sommeil haché, fait de rêves pesants et malheureux.