542 - À PAS COMPTÉS, journal extime (6)

Publié le par 1rΩm1

 

BRUXELLES - SÉVILLE - BRUXELLES

À PAS COMPTÉS (journal extime)

(1er - 10 mai 2014)
 

Samedi 3 mai, Séville, soir [suite]

Le quartier, dont j’entreprends le tour par désœuvrement, est calme, mais j’imagine de pouvoir demander aux éventuels passants la possibilité d’appeler sur leur portable contre un euro symbolique le propriétaire pour l’avertir de mon arrivée précoce. Je fais d’abord chou blanc avec un couple de jeunes gens, qui doivent penser que la pièce que je fais miroiter est fausse et me désignent une cabine téléphonique en contrebas. Une jeune femme remonte la rue avec une poussette, que j’entreprends à son tour. Son anglais sonne familier à mes oreilles, et, quand elle s’adresse au petit garçon dans la poussette en français, je comprends alors pourquoi je la comprenais si aisément. Nous prenons donc langue d’autant plus facilement. Elle a son appartement non loin, me dit-elle, en spécifiant que beaucoup de Français habitent le quartier, dont elle me fait l’éloge. Je lui demande si elle peut appeler elle-même le propriétaire, puisqu’elle pourra s’adresser à lui en espagnol. Rendez-vous est aussitôt pris, lui arrivera dans quelques instants, et elle me raccompagne très gentiment jusqu’au passage des Amours, tout en devisant de choses et d’autres, me recommandant notamment la cuisine méditerranéenne d’une amie française qui tient un restaurant dans une rue toute proche, s’étonnant du prix de la location du studio, une autre de ses amies pratiquant des tarifs qui n’en excèdent pas la moitié, et, à ma demande, m’expliquant où faire quelques courses sommaires — auprès d’épiciers chinois, qui, dit-elle, sont comme les commerçants arabes en France, ouverts sept jours sur sept jusqu’à des heures avancées de la nuit.

José, mon logeur, est bientôt là. Il m’invite à entrer dans un studio situé au rez-de-chaussée de l’immeuble dont il est propriétaire, m’explique-t-il, même si en ce moment il ne loge pas sur place. L’endroit est sombre dans l’encaissement de la ruelle, mais décoré avec goût : « Vous êtes venu pour la féria ? », me demande-t-il. La féria ? serait-ce l’ouverture de la saison taurine, ou quelque chose du genre ? Je le détrompe, tout en lui demandant de quoi il s’agit. Ma question le décontenance un instant, car qui ne connaît pas la féria sévillane ? je dois être quelque abruti débarqué de Charleroi… Toute l’Espagne s’est donné rendez-vous ici pour l’ouverture, dès lundi, de cet événement si formidable dont j’ignore tout... Ainsi se trouve élucidée la raison pour laquelle la location du studio m’avait paru si élevée : hôtels et pensions de famille sont pris d’assaut, et, non, je ne pourrai pas prolonger mon séjour d’une nuit supplémentaire — je m’étais laissé la latitude de dormir la dernière nuit à Faro peut-être, mais ce que j’ai vu de l’endroit me laisse sceptique sur l’intérêt d’y passer une matinée avant de reprendre l’avion —, quelqu’un ayant déjà réservé l’appartement... José doute d’ailleurs que je trouve à Séville même un endroit où loger !

La nuit commence à peine à tomber quand je quitte le studio pour faire quelques emplettes de première nécessité. Débouchant à l’autre extrémité du passaje des Amores, je prends à main gauche, puis longe à droite un marché couvert et, entrant dans la première épicerie ouverte, tombe sur ma sympathique interlocutrice de tout à l’heure occupée à se pourvoir de quelque course oubliée. Nous bavardons encore. Je lui rapporte que, selon mon logeur, du fait de la féria — je la vois grimacer à cette évocation... —, je ne trouverai nulle part où passer ma dernière nuit à Séville : peut-elle me donner les coordonnées de son amie ? Elle me griffonne un numéro sur un papier, et nous nous quittons enchantés l’un de l’autre. (Je regretterai de ne plus la croiser ensuite.)

 

Ouvrant le réfrigérateur, pour y mettre au frais quelques aliments, je m’étonne d’y trouver un sachet contenant des fruits qui me sont inconnus : José les aurait-il oubliés, ou serait-il repassé entre-temps dans le studio ? Il me semblait qu’avait été ouvert le réfrigérateur et qu’il était vide... Je rêve un instant à ce mystère, tout en espérant n’être pas tombé sur un propriétaire intrusif... (Je verrai le lendemain matin, alors que je quitte le studio, une voiture s’arrêter à ma hauteur, et, auprès de la passagère qui me regarde avec un peu de curiosité, le conducteur me faire force signes. José en descend alors, qui s’excuse platement d’avoir déposé des fruits la veille et explique vouloir les récupérer. Je lui ouvre donc. Il prélève une dizaine de ces fruits oranges qui ressemblent à des abricots, tout en m’en recommandant la saveur. Il s’avère néanmoins incapable, à ma demande, de me les nommer en anglais. Tandis que je lui retrace brièvement l’opportunité que j’aurais peut-être de me loger à Séville pour le dernier soir et lui confirme le rendez-vous pris la veille pour lui rendre les clés, il me souhaite un bon séjour et promet de ne plus me déranger... D’ailleurs, il sera absent jusqu’au jour dit. Je le regarde partir, quinquagénaire enthousiaste, bellâtre espagnol sportif, avec sa compagne dans la ruelle interdite aux voitures...)

 

Je ressors ensuite — la nuit est tombée, et, même s’il est tôt pour l’heure espagnole telle que je la connais, il est bien tard pour mon estomac exigeant qui soupire après le dîner —, me mets en quête d’un endroit où quelques tapas pourraient me sustenter. Je suis bientôt l’un des premiers dîneurs perché sur un tabouret, comblé par ces bouchées dînatoires dont je ne suis pas toujours fanatiques, et ce, d’autant mieux que le verre de rioja tinto que j’ai commandé chante à mon palais.

542 - À PAS COMPTÉS, journal extime (6)

Je songe que, décidément, conformément à la légende que je me suis forgée, je dois avoir quelque ancêtre espagnol, et — si ce n’est pas la saison — me souhaite un felix nadal !

Explorant le quartier, je trouve magnifique le mail tout proche qui s’étale à ma vue depuis les colonnes d’Hercule en me promettant d’y revenir bientôt, la fatigue me commandant d’aller me coucher, lassé par ce long jour de voyage...

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