549 - À PAS COMPTÉS (journal extime) (13)
BRUXELLES - SÉVILLE - BRUXELLES
À PAS COMPTÉS (journal extime)
(1er – 10 mai 2014)
BRUXELLES - SÉVILLE - BRUXELLES
À PAS COMPTÉS (journal extime)
(1er – 10 mai 2014)
9 mai
Je passe une fort mauvaise nuit.
Il faut dire que je me sens assez curieusement gêné d’investir cette chambre, de même d’ailleurs que le reste de l’appartement, car confronté à l’intimité d’une inconnue — quand les studios que je loue d’ordinaire n’expriment rien ou que très peu de leur logeur. Dormir chez des amis ne procure pas non plus la même impression : les lieux, dans ce qu’ils trahissent de leur personnalité, forcent ou confirment notre sympathie, puisque, précisément, des amis vivent là. Or, pour agréable ou intéressante que cette jeune femme me fût apparue, je n’avais eu de contact que très superficiel, et rien qui me détermine à approfondir, précisément... Or, toutes sortes de détails semblent vouloir me la raconter sans que j’aie demandé à connaître son histoire — et ces détails de dire confusément à son sujet des illusions et des regrets, et de retracer aussi des tics et des manies : je joue le voyeur involontaire de quelques secrets sans épaisseur ni conséquence, que, de mon côté, en ses lieu et place, je n’aurais pas voulu livrer à un étranger...
Quoi qu’il en soit et par ailleurs, ce lit plutôt mou à même le sol, dans la chaleur de l'endroit, me paraît d’un autre âge, d’une autre bohème, étudiante ou artiste, que les miens au moment où je souhaiterais par dessus tout jouir d'un confort mérité (?) ! Or, tandis que je cherche le sommeil, me parviennent, à travers la fenêtre ouverte, les échos de la féria où je n’ai pas voulu aller, tel le rappel ironique d’une impolitesse qui ne se fait pas, d’une incuriosité grossière en une terre qui s’était montrée accueillante sans que j’aie vraiment su comment l’honorer !
Et puis j’entends aussi ce nourrisson insupportable qui pleure, à plusieurs reprises, peut-être à cause de la chaleur, peut-être à cause de la féria — peut-être parce que les nourrissons pleurent...
Cela ne s'avère pas très efficace puisque l’animal, paraissant se moquer éperdument des dispositions prises à son encontre, vient “zinzinner*” régulièrement à mon oreille... cependant que, du fait de la chaleur, je me tourne et retourne sur ce matelas dont j’ai repoussé les draps, tout en songeant que, décidément, je n’aime pas dormir nu sans que me recouvre un drap ou bien une couette (c’est à Duncan que je songe, consolation piètre car je n’ai pas le cœur avec cet âne de moustique à fantasmer sur son compte — j’entends le corps nu de Duncan, pas celui, décharné, du moustique —, Duncan, qui m’avait dit, lui, ne pouvoir dormir sans tee-shirt ni boxer la seule fois où il a passé la nuit chez moi...).
Je finis par me rhabiller.
* Cherchant — comme tout le monde — sur Internet le verbe idoine pour ce zzzzzzz zzzzsignificatif, j’échouerai, sauf à comprendre, par récurrences, qu’il s'agit en l'occurrence du chant d'appel sexuel des femelles — bruit, sans signification chez les autres espèces [!], comme signal déclencheur de comportement — à lui trouver le verbe en question !... Je conçois en tout cas que ce bruit, sans substantif ni verbe spécifique, soit, tout à rebours, pour certains l’expression d’une « hyperacousie sévère et douloureuse » — car en effet et puisque dans tous les cas, que n’aurais-je donné, sur l’instant, pour avoir un bazooka et tirer sur la frêle et zinzinante moustique femelle !
* * *
Je finis, bref, et je ne sais dans quelle position, par m’endormir, oreilles rabattues sans doute, mais après que le premier bus pour Faro est parti, alors même que j’avais envisagé, tant qu’à demeurer éveillé, partir au plus tôt afin de gagner, sinon la guerre contre l'indiscret envahisseur, du moins le Portugal.
Or, j’aurais dû sans doute, puisque le bus aura plus d’une demi-heure de retard sur l’horaire prévu.
De la gare routière, je tire ma valise jusqu’à la gare ferroviaire, la sachant toute proche désormais, renonçant à un bus de ville, qui serait trop lent, et prenant donc un taxi jusque l'aérogare.
* * *
Journée que j’aurais aimée nulle et non avenue et que j’ai passée à voyager.
* * *
A Charleroi, y atterrissant quelques temps plus tard, à deux minutes près, j’aurais pu attraper le bus ! Sur les horaires que je consulte, il semble que j’arriverai trop tard à Metz pour le dernier train qui me ramènerait chez moi... Je devrai donc me trouver un hôtel sur place, et lourde est ma déconvenue.
J’avale alors (plus que je ne mange) le second sandwich sans saveur de la journée, après celui de l’aéroport de Faro, triste et tout aussi insipide. Que de pain pour un jour sans pain !
Il est vingt heures et je n’ai plus qu’une hâte : me déposer dans mon lit...