550 - À PAS COMPTÉS (journal extime) (14)
BRUXELLES - SÉVILLE - BRUXELLES
À PAS COMPTÉS (journal extime)
(1er – 10 mai 2014)
BRUXELLES - SÉVILLE - BRUXELLES
À PAS COMPTÉS (journal extime)
(1er – 10 mai 2014)
Nuit du 9 au 10 mai
Ensuite le petit carnet où sont consignés les événements de mon voyage s’avère muet... En fait, j’arrive à Metz suffisamment à temps — si le dernier train est, lui, déjà parti — pour attraper le bus devant la gare qui fait le trajet entre Metz et ****, en s’arrêtant chaque village ou petite ville entre Metz et P***.
© Internet
Le bus s’emplit du bruit que font, enthousiastes et alcoolisés, nombre de supporters de football, un match ayant eu lieu le soir même au stade de Metz. Il part en retard du fait de l’affluence, les uns et les autres ne sachant pas où se procurer un ticket, celui-ci n’étant pas délivré par le chauffeur mais à un guichet automatique (si ma mémoire est bonne). Ils descendront les uns après les autres aux arrêts s’égrenant entre la ville de naissance de Verlaine et la gare de P***...
Mon lit, décidément, se fait attendre...
* * *
Enfin, nous stationnons devant la gare de P***, aucun arrêt n’est plus prévu jusque ****.
Mais les dieux lares ne sont pas encore au rendez-vous : deux “rebeus” flanqués d’une fille (ou de deux ? — j’avoue ma mémoire incapable de retrouver ce détail aujourd’hui) grimpent dans le bus, mine de rien, mais se font héler par le conducteur, qui, s’il ne vend pas de billets, a tout de même pour tâche de les contrôler... Naturellement, ces jeunes gens entendent bien jouer les passagers clandestins... Des palabres infinies s’ensuivent, qui auraient pu être cocasses, s’il n’était plus de minuit et que, à l’évidence, ni les uns ni l’autre n’entendent céder un pouce de terrain — ce qui signifie très exactement pour les premiers ne pas vouloir descendre...
Durant tout ce temps qui laboure chaque minute comme une motte inentamable, les quelques passagers déjà assis sont curieusement muets et passifs. La fille, elle, lassée (tout à mettre au pluriel si elles étaient deux !) sans doute de ces tractations interminables est descendue, laissant ses cavaliers parlementer avec leur « frère » (le chauffeur étant d’origine magrébine — qu'est-ce que ça peut t' faire, mon frère, qu'on paie pas puisque tu gagnes rien sur le billet ?! —), remettant à plus tard ou à d’autres compagnons son envie sans doute, puisque nous sommes samedi soir, d’aller en boîte à ***… Toujours patient et explicatif, le chauffeur, lui, argue d’une caméra qui filme en continu, pour ne pas laisser s’asseoir ni vouloir véhiculer ses interlocuteurs, qui s’excitent à mesure... Voyant leur obstination, il les menace finalement d’appeler la police sur son portable.
L’idée vient alors (peut-être mes souvenirs inversent-ils malgré tout la chronologie) aux apprentis fraudeurs de rançonner ces passagers muets et passifs, qui aimeraient sans doute voir le bus démarrer...
Assis à l’avant du véhicule, je suis le premier qu’ils interrogent à ce propos. Entre mon agacement du retard incompressible qui paraît s’installer et celui-là même que ces resquilleurs a fait monter peu à peu, je ne sais si je fais le bon choix, mais je m’entends rétorquer qu’il ne saurait en être question (m'aurait-on donné le délai de la réflexion, sans doute en serais-je venu au même principe...). Forts de ma réponse sans doute, les quatre ou cinq autres passagers du bus refusent aussi...
Entre-temps, profitant peut-être de cet intermède, le chauffeur a fini par appeler la police. Une voiture se gare dix ou douze minutes plus tard, deux policiers en descendent, intervenant assez mollement auprès des deux enquiquineurs, qu’ils font descendre et dont ils vérifient les papiers — tout en demandant au chauffeur d’attendre. J’additionne les heures depuis le bus du matin jusqu’à cette heure avancée de la nuit en maudissant ma destinée...
Finalement, un policier revient, qui demande si le chauffeur entend porter plainte — auquel cas il faudrait faire une déposition... —, et tout s’achève par le refus du chauffeur, qui entend mener à bon port et sans plus de délai ses passagers. Les deux jeunes gens, eux, se sont évanouis dans la vaste nature...
Nous redémarrons enfin. Un des passagers remonte l’allée du car pour féliciter le chauffeur du sang-froid dont il a fait preuve durant l’épisode — ce pour quoi je ne lui donne pas tort ; il échauffe cependant (et précisément) son interlocuteur en lui exposant les risques qu’il court ainsi, de nuit et sur cette ligne, tout en mettant en cause l’incurie de ses employeurs, qu’il devrait exiger une prime ou à tout le moins davantage de reconnaissance — moulinant avec prolixité toutes sortes d'arguments ejusdem farinæ... Je suis pris à parti, mais ne risque aucun avis, songeant que ce matamore, tout à l’heure muet, aurait mieux fait d’apostropher les deux crétins qui nous ont immobilisés trois quarts d’heure plutôt que de donner, verbeuse à souhait, une leçon de syndicalisme approximatif dans l’après-coup de l’événement... Enfin, le débat s’achève et, puisque dorénavant n’a plus cours l’écriteau « ne pas parler au conducteur », je demande si celui-ci peut, étant donné qu'il passe devant, me déposer au bas de ma rue. Le chauffeur me répond très gentiment que ça ne lui est pas possible, sauf après avoir déposé les passagers au terminus : il pourrait alors, rentrant au dépôt, me laisser à l’arrêt des bus de ville non loin de chez moi. J’accepte volontiers cette proposition.
Il est plus d’une heure du matin lorsque je descends du véhicule. Au moins, quoique maudissant toujours les deux énergumènes qui ont encore allongé cette journée de voyage, n’ai-je plus à tirer ma valise que sur quelques dizaines de mètres...
Je prends donc congé très chaleureusement de mon aimable chauffeur, qui, s’il l’avait pu, m’aurait sans doute laissé au pied de mon immeuble... Nous nous souhaitons mutuellement une bonne nuit, en parfaite connaissance de cause de ce qu’elle saura réparer dans une chambre (bien plus fraîche qu'à Séville) où risquent peu de s'introduire racketteurs ou moustiques...