560 - À pas étourdis, journal extime (5)
À pas étourdis : Paris - Prague - Paris
(journal extime : 22 juillet - 8 août 2014)
Samedi 26 juillet
C’est une date anniversaire et j’ai une pensée pour Duncan. Un an (hors une rencontre fortuite sur le champ de foire à ****, alors que je rentrais chez moi après avoir passé la soirée avec T.) s’est écoulé depuis que nous nous sommes (vraiment) vus. J’en conçois un petit pincement au cœur. I miss him.
Après-midi
Je visite l’exposition sur la première guerre mondiale au Musée des lettres et manuscrits.
J’aime bien ce musée, où j’entre au moins pour la quatrième fois. Comme d’ordinaire, l’exposition est pédagogique et intéressante. Elle fait peut-être un peu trop la part belle à cet abbé photographe [dont, sur le moment, je n’ai pas retenu le nom, mais qui s’appelle Loys Roux ; après quelques recherches, j'apprendrai que ces clichés sont, en fait, dus à deux frères (Loys et Joseph), dont l’un est mort avant la fin du conflit]. Je prends moi-même quelques photographies des vitrines : une photographie dudit Loys Roux assorti d'une citation de Stefan Zweig ("Tant qu'il ne sont pas fin prêts, les despotes qui préparent la guerre n'ont que le mot de paix à la bouche", tout en songeant que c'étaient là le monde — et la barbarie — d'hier) ; la reproduction d'une affiche de propagande que complète un extrait de le Matin en date du 14 juillet 1915 : "les cadavres boches sentent plus mauvais que ceux des Français" ! ; je rate à mon grand dam une photographie originale où l'on voit Louise Coligny-Châtillon, la Lou chantée dans "Si je mourais là-bas" par le poète qui feignait de croire en la joliesse de la guerre, en compagnie d'autres jeunes femmes tout aussi élégantes qu'elle devant des voitures de luxe — et quelques encarts dont les textes m'intéressent. Et j’achète deux cartes postales des deux frères abbés.
Soir
Cette fois, j’ai invité Patrice et Anne.
Anne se montre très prolixe — et plus rigide, dirais-je, qu’elle ne le croit.
Je suis surpris de ce qu’ils semblent découvrir l’appartement : je croyais que Pascal, F. et eux se voyaient plus souvent.
Tous deux font des commentaires sur les lieux... Alors que j’ai disposé de quoi prendre l’apéritif sur une petite table face à un canapé et à un fauteuil, Anne s’installe dans le canapé sur lequel je me suis interdit de m’asseoir, afin de n’avoir pas à disposer à nouveau le jeté de tissu qui le couvre et me paraît artistiquement disposé... Elle dira quelques instants plus tard, sourcil froncé, qu’on a l’air d’être dans une salle d’attente et se pose en tailleur sur le tapis. Elle s’emploie alors à inventorier les alcools sur les étagères basses tout près d’elle...
J’aime pourtant bien Anne, mais suis partagé entre agacement et amusement de cette inquisition qu’elle n’oserait évidemment pas en présence même des habitants des lieux ! Cependant, ses bavardages, au cours de la soirée, ont l’avantage de nous soulager, Patrice — même si je le sais presque aussi bavard que son frère — et moi, d’avoir à chercher des sujets de conversation.
Ils me disent être allés en novembre s’occuper du caveau familial à L***. Patrice viendra début septembre s’acquitter du même devoir et séjournera chez moi à ce moment-là.
Il est donc beaucoup question d’histoires de famille... Je prends la défense des sœurs de J.-M., accusées d’incurie : je me sens investi d’un esprit de conciliation que je dois aux uns et aux autres, même si j’ai naturellement plus d’atomes crochus avec Patrice et Anne... Il me semble alors devoir cet arbitrage à J.-M. — assez absurdement : il arrivait à J.-M. d’être plutôt sévère sur le compte de ses sœurs... Quelles mannes me faut-il apaiser ? je ne crois pas que J.-M. en ait besoin — ni non plus qu’il fût vraiment nécessaire de nous voir, Anne, Patrice et moi, de façon si rapprochée... La soirée, cependant, passe assez agréablement.
Ils sont invités pour les cinquante ans de F. Et, même si Patrice ne vient pas à **** comme il l’a projeté, nous nous reverrons donc en septembre.
27 juillet, après-midi
Je me rends au Musée Cognacq-Jay, vite parcouru. Décidément, si j’en aime la littérature, je ne goûte guère ni la peinture ni l’ameublement de ce XVIIIe siècle dont Nerval et Barbey d’Aurevilly avaient la nostalgie. Et, même si j’en pénètre bien les attendus, j’ai de plus en plus de mal à croire à la phrase de Pascal Quignard : « Qui n'a pas vécu au XVIIIe siècle ne sait pas ce qu'est la douceur de vivre. »
Je visite ensuite, j’en ai le temps, l’exposition Paris 1900, la ville spectacle au Petit Palais.
Beaucoup de choses sont exposées que j’ai déjà vues ailleurs. Bien sûr la Loïe Fuller effectue sa danse papillon au sortir de la première salle.
La deuxième salle, après ce corridor où sont projetées en boucle les circonvolutions de l’artiste, m’intéresse davantage que les autres. Je m’abîme dans de très beaux objets — en particulier, des bijoux — et regrette d’avoir oublié l’appareil photo. Quant à la projection du Voyage dans la lune de Méliès, je me rappelle avoir vu le film, non sans intérêt, à Beaubourg-Metz... Je ne boude certes pas mon plaisir, mais, dans la répétition, je choisis mes propres stations, tant et si bien je parcours ensuite à nouveau, non sans effectuer quelques grandes enjambées, les collections permanentes du musée, organisant ainsi mes propres stases. Logique avec moi-même, ce sont les salles consacrées au XVIIIe siècle dans lesquelles je m’attarde le moins, tandis qu’au sous-sol je revois « la salle à manger de Guimard, les vases de Lalique et de Gallé qui auraient pu figurer dans Paris 1900 », dont je sais où ils se trouvent et lèvent en moi quelque accointance ! De toute façon et nécessairement, je reviendrai hanter les lieux quelque jour...
Soir
(J’ai déjà raconté ma soirée avec Bruno...)
Je déménage ensuite chez Judith après avoir effectué un grand ménage chez Pascal et F.
Je songe à ce film de Rohmer qui cite “Cadet Roussel” et attribue la folie à celui qui possède deux maisons. Deux logis parisiens, tout de même, quel luxe !
Arrivant dans la cour de ce second corps de bâtiment, alors que Judith m’avait dit qu’il n’y aurait personne dans le pavillon, je suis surpris de voir de la lumière et songe alors à un oubli. Ma surprise augmente d’entendre distinctement la radio dans la cage d’escalier. Judith, tout à sa crainte d’un cambriolage, a laissé ces leurres d’une présence, en me recommandant — je trouve un mot sur la table du salon — d’en faire autant quand j’irai à Prague...
J’aime bien l’appartement de Judith. Il n’est pas trop en désordre, mais, quand j'en partirai, un plus grand ménage encore s’imposera que chez Pascal et F...