553 - Janvier 2015 [journal tressé] (1)

Publié le par 1rΩm1

 

29 décembre 2014                                                                                                                

Je m’attelle à la douce tâche d’écrire mes vœux aux personnes, éloignées dans l’espace ou le temps, qui comptent.

Plutôt que par les voies électroniques, j’envoie des cartes postales achetées à divers endroits lors de voyages ces dernières années, dans des musées le plus souvent. Dans la cinquantaine ou plus de ces trophées accumulés dont la vocation est évidemment à la fois mémorielle et affective, j’en choisis dix.

Certaines ont été achetées en pensant déjà à celle ou celui à qui je les adresserais... je tente, sinon, d’imaginer la carte qui conviendrait le mieux à tel ou telle.

Je les ai choisies aussi par goût. C’est pourquoi j’en conserve le scannage avant de les mettre sous enveloppe (je recopie ici les informations fournies par leur verso).

Bref, elles me parlent et je leur parle autant que je parle à qui je m’adresse. De même, je pèse chacun des mots banals et personnalisés que j’envoie... Car il faut être encore idiot, n’est-ce pas, pour croire que des vœux auraient même un semblant de pouvoir conjuratoire ? La suite prouvera que non (aucune puissance de conjuration n'est possible !) et que oui (pour ce qui me concerne) !

 

A Khadija, j’envoie, certain que cela lui plaira,— elle avait eu des commentaires enthousiastes pour la rampe d’escalier que j’avais prise de l’ancien musée cubiste pragois — cette photographie de la villa cubiste conçue par Chochol — et qu’il m’aurait plu de voir sur place si j’en avais eu le temps.

J. Chochol, 1912-1913, Libušina Ulice 49, Prague

J. Chochol, 1912-1913, Libušina Ulice 49, Prague

Elle me répondra par une carte postale achetée quand nous étions à Berlin, sans se souvenir apparemment qu’elle m’avait offert déjà sur le moment un « magnet » de ce même tableau de Manet, dont le lilas moussu et blanc m’avait, de fait, beaucoup plu, et qui fleurit en toute discrétion depuis sur la hotte aspirante de ma cuisine...

Elle avait emporté la carte au moment de boucler ses bagages et de partir pour une cure de repos sur l’île de Sylt en Allemagne. Cela, elle me le dira le soir du 7 janvier 2015 quand nous nous retrouverons dans un café de la Place **** où se sont massées des centaines de personnes pour protester contre la tuerie survenue en fin de matinée en bas de l'immeuble et dans les locaux de Charlie Hebdo.

Elle me racontera aussi sa fatigue, celle que génère sa famille — sa mère et son immense fratrie (j’ai toujours renoncé à en compter tous les membres, d’autant que s’y ajoutent compagnons, femmes et enfants) —, celle que génère son travail. (Nous ne nous étions pas vus depuis la fin du mois d’août, aussi incroyable cela puisse paraître à l'un et à l'autre...)

 

A M., quoique habitant la même ville et puisque nous nous sommes vus tout au plus trois fois en 2014 — je garde un souvenir spécialement ému, spécialement heureux, spécialement lumineux du réveillon de Noël 2012 passé chez elle avec J.-M. et mes parents —, j’envoie, après quelques hésitations, ce cliché d’une femme marocaine vêtue et voilée de son haïk, en songeant qu’il aurait plu davantage peut-être à Alain qu’à elle.

Cacilla. Femme au haïk, Tanger, circa 1880

Cacilla. Femme au haïk, Tanger, circa 1880

Elle me répondra par une carte représentant des images numérisées de Gustav Klimt projetées sur les carrières de Baux-en-Provence. Entre-temps Khadija lui aura dit que je n’étais pas certain qu’elle n’ait aucun grief à mon égard pour qu’on se voie si peu. Mais non, dira-t-elle par SMS en m’invitant à dîner, c’est simplement qu’elle est toujours aussi négligente et toujours  aussi fichtrement mal organisée...

Nous dînerons donc ensemble, son compagnon, Khadija, elle et moi le jeudi 15 janvier, au mitan de ce mois terrible et comme pour nous en consoler.

 

A Pascal et F., j’adresse une vue des souks de Marrakech, à peine plus récente, en me disant que Pascal devrait y être réceptif.

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De fait, elle lui aura fait penser — toutes proportions gardées, me dis-je en moi-même quand je reçois le SMS — à une photographie de Salgado !

 

A Denis et Valérie, je destine cette « Princesse » de Bactriane, vue lors de l’exposition Louvre Abu Dhabi, Naissance d’un musée.

« Princesse » de Bactriane, Asie centrale, fin du IIIe millénaire av. J.-C., chlorite pour le corps et la coiffe, calcite pour le visage.

« Princesse » de Bactriane, Asie centrale, fin du IIIe millénaire av. J.-C., chlorite pour le corps et la coiffe, calcite pour le visage.

En retour, Valérie me souhaite « de nombreux périples, à la découverte de contrées toutes plus époustouflantes les unes que les autres » : c’est pour cela peut-être qu’elle m’envoie une vue de la tour du Schlossberg à Forbach (57600).

 

Pour remercier Patrice du laisser passer qu’il m’avait donné quand j’étais allé visiter l’exposition du Louvre, j’envoie cette carte de l’installation qu’avait réalisée Daniel Buren aux musée des Beaux-Arts de Nancy.

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Sans doute Patrice et Anne sont-ils trop occupés par leurs projets de quitter Paris et de recommencer une nouvelle vie — je n’aurais pas eu leur énergie, leur courage, ou, me dis-je (plus pusillanimement ?) leur inconscience —, mais je ne recevrai pas de réponse...

 

J’envoie cette carte à A., dont le dessin et la calligraphie devraient lui plaire — et je pense au dessin qu’elle avait fait de ma terrasse à l’encre rehaussée de gouache...

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Je recevrai de sa part, en même temps que Khadija, une carte électronique avec une animation amusante et poétique, et négligerai d’y répondre, comptant qu'entre-temps lui est parvenu mon paysage chinois... (Je songe qu’il faudrait que je lui téléphone un de ces jours : nous ne nous sommes pas parlé depuis août...)

 

A B., dont je connais les goûts — plutôt “classiques”, dirais-je — j’adresse la reproduction d’un tableau de Van Gogh, qui fait le pont entre elle, A., Arles et moi... 

Le jardin de l’hôpital Saint-Paul (détail), Saint-Rémy-de-Provence, mai 1889 91,5 x 72

Le jardin de l’hôpital Saint-Paul (détail), Saint-Rémy-de-Provence, mai 1889 91,5 x 72

J'aimerais d'ailleurs que A. et B. ne soient plus fâchées, ou le soient moins ; mais j'ai crainte que la rancune de A. — à laquelle je n'entends rien — ne soit tenace...

 

Je recevrai... le Semeur de Van Gogh en retour ! (Elle ajoute que S. aurait dit être jalouse de n’avoir pas eu de vœux. Je pense plutôt que S. se sera gentiment moquée de B., conventionnelle et toujours désireuse qu’on pense à elle à l’occasion des vacances et des fêtes. Si tel n’est pas le cas, j’aurai donc commis un impair. De la même façon, je me reprocherai d’avoir oublié V*** dans mes destinataires, alors que, d'ordinaire, j'envoie mes vœux, mais, cette année, ai passé l'occasion de le faire...)

 

C’est également de l’exposition à Orsay Van Gogh/ Artaud. Le suicidé de la société que provient le dessin d’Artaud que je destine à M.-C., comme un clin d’œil fait à la fois à son séjour chez Pascal et F., alors qu'elle avait projeté d’aller voir l’exposition, et à son ancien compagnon, spécialiste de Van Gogh et qui connaissait bien le texte d’Artaud.

La projection du véritable corps, 18 novembre 1946, Mine graphite et craie de couleur grasse sur papier 53,5 x 75, Paris, Centre Pompidou, musée d’Art moderne

La projection du véritable corps, 18 novembre 1946, Mine graphite et craie de couleur grasse sur papier 53,5 x 75, Paris, Centre Pompidou, musée d’Art moderne

Elle accusera réception par un mail quelques temps après, en prenant acte de ce clin d'œil.

 

Judith répondra à ma carte postale de Joaquim Mir i Trinxet achetée à mon retour de Barcelone par une reproduction d’un tableau de Paul Klee, Roseraie.

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L’escalier de l’auberge Ravoux menant à la chambre de Van Gogh échoit à Aymeric, qui me répondra quelques mots spirituels par courriel le 1er.

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J’hésite à poster pour Nemo la carte postale achetée pour lui à Berlin de ce détail d’une mosaïque représentant un perroquet. Elle risque de séjourner longtemps dans sa boîte aux lettres avant qu’il ne la découvre !

Je choisis de la conserver encore par-devers moi pour l’envoyer à une autre occasion, préférant lui adresser mes vœux par mail le 31 — rebondissant alors sur son dernier message et lui souhaitant de passer un réveillon agréable chez des amis. Il me répondra quelques lignes de remerciements durant la soirée.

Detail des Papageienmosaiks aus Palast V in Pergamon

Detail des Papageienmosaiks aus Palast V in Pergamon

 

Et... je recycle, pour Julien, une image que je lui avais adressée déjà quand je me trouvais à Séville.

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...tandis que j'innove pour Duncan, au moins dans le montage, à partir de photos prises aussi pour lui place de Brouckère à Bruxelles...

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*  *  *

A d’autres connaissances, j’opte pour une simple image électronique de l’école coranique de Fez qui faisait l’affiche de l’exposition sur le Maroc médiéval au Louvre.

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Julien [W.] répondra gentiment à mes vœux en envoyant quelques photographies le représentant. J’hésiterai quelques temps avant de répondre sur le même mode, ce qui, pourtant, me semble le seul retour possible à son égard, puisque lui s’est avancé vers moi de façon beaucoup moins masquée que je n’avais pu le faire — ce que je me suis d'ailleurs reproché moi-même.

Je me rappelle alors comment, avec Nemo, la veille de nous rencontrer en octobre 2009, j'avais pris quelques “selfies” (on ne disait pas encore alors comme cela) où je me présentais sous un jour peu flatteur... Comme je le dis à Julien, tout en reprenant l'un de ses clichés et en y adjoignant d'autres : « A chacun ses contre-coquetteries » (et... en reprenant la formule, j'écris ici ses « contre-conquetteries » !)...

 

François — et je m'en étonne — me prend de court par un SMS le jour de l'an. Je lui réponds par la même voie, avec la même image.

— Et, si je n'avais quitté l'ancien site où je “postais” jusqu'alors les billets de mon journal extime, j'adresserais mes vœux à tous les correspondants et commentateurs, lecteurs parfois réguliers, en les illustrant de la même image... Je regrette de ne pouvoir le faire ; mais cela semblerait étrange — même si j'indique régulièrement des liens pour me lire... ce qu'il semble que les gens font...

 

Et c’est donc pour T. seulement que j’oserai une variation de vœux plus ironiques, l’occasion ne s’étant finalement pas présentée de fronder avec quiconque sur cette convention sociale qui sent souvent son pensum — quand, de mon côté, je l’aurai détournée à mon profit, tâchant, dans ce concert, par avance, de mêler ma voix...

 

— En pure perte naturellement.

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