554 - À pas étourdis, journal extime (2)
À pas étourdis : Paris - Prague - Paris
(journal extime : 22 juillet - 8 août 2014)
À pas étourdis : Paris - Prague - Paris
(journal extime : 22 juillet - 8 août 2014)
22 juillet, Paris, soir [suite]
[Résumé : Nous nous rendons à pied [, Aymeric et moi,] jusqu’au restaurant où j’ai réservé, non loin de la Place Léon Blum...]
Là, nous sommes servis par un garçon très agréable et souriant, au charme duquel je ne suis pas insensible d'autant qu’il est plus petit que moi : faut-il penser que moins grand et plus frêle que moi suffit à m’inspirer des sentiments protecteurs ?
Nous dînons plutôt bien : même si, Aymeric et moi en convenons, le cheese-cake s’avère assez quelconque (mais nous avons en partage, à Paris ou Berlin, quelques précédents vraiment réussis !), les autres plats sont, en revanche, très bons.
Comme d’ordinaire, nous parlons de films et de livres.
Aymeric me demande si j’ai lu Lorenzaccio — il part bientôt à Florence et c’est, de fait, une bonne façon de se mettre dans l’ambiance “renaissante” (si l’on ose dire !) de la ville — et ce que j’en pense… Si je l'ai relu depuis, c'est surtout ma première lecture lorsque j'étais élève en classe de 1re qui prévaut : la prose poétique de Musset, les états d'âme de ce frère de Hamlet, comme lui vêtu de noir, qui conçoit sa rédemption dans le meurtre, le minus habens se navrant de joie devant une croisée ouverte d'avoir tué un tyran et pourtant désenchanté par avance d'un meurtre qui sera sans utilité, tout cela m'avait évidemment fortement impressionné... (Visitant quelques jours plus tard l’exposition du Petit Palais consacré au Paris 1900, je verrai, comme un avant-goût de Prague, l’affiche de Mucha pour la représentation du Théâtre de la Renaissance en 1896 avec Sarah Bernhardt — et me souvenant avoir dit que Gérard Philippe était, à ma connaissance, le premier homme à avoir interprété le héros mussétien, j’en ferai un cliché en souvenir de notre conversation…)
Même si le rapport de Florence à la Sicile n'est pas exact, je lui vante le Guépard ; il me dit que T*** le lui a déjà recommandé, qu’il connaît bien sûr le film de Visconti, mais qu’il ne s’est pas encore aventuré dans la lecture du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. J'obtiens ainsi des nouvelles de T***, que je me reproche parfois, par crainte de l’importuner, de ne plus contacter...
Nous tombons d’accord sur l’Ulysse de Joyce, dont ni l’un ni l’autre n’avons jamais dépassé plus de dix pages… Je lui vante malgré tout la nouvelle qui clôt Gens de Dublin, les Morts, dont j'aime aussi beaucoup l'adapatation de John Huston. Comment en venons-nous à évoquer D.-H. Lawrence, l’Amant de Lady Chatterley ? Sans doute à cause du dernier film de Pascale Ferran, dont je fais à nouveau l’éloge… Il ne l’a jamais lu, les amours de Constance et de son garde-chasse lui semblant hétérosexuelles en diable. Je lui dit trouver au contraire très “homo-érotiques” certaines pages de Lawrence, que j’ai beaucoup lu entre seize et vingt-deux ans, et pour lequel j’ai une tendresse particulière — et m’emploie donc à faire la publicité du roman et de ses deux autres versions, spécialement Lady Chatterley et l’homme des bois !
Nous évoquons aussi Xavier Dolan. Il n’a vu que les Amours imaginaires — quand la plupart des “gays” que je connais ont tout vu de ce réalisateur, voire vu certains films deux fois (ainsi d’Arnaud, m’a-t-il confié lors de notre dernière rencontre) —, dont il n’a que peu goûté l’argument et l’esthétique. Je défends mollement le jeune homme, puis bats quelque peu en retraite. J’ai revu les Amours imaginaires il y a peu, et l’auto-ironie du film m’a paru faiblir à certains endroits, de même que certaines séquences m’ont semblé quelquefois tenir du procédé… Mais je crois tout de même au talent et à la perfectibilité du jeune prodige, peut-être trop encensé parce que très jeune encore et pourvu d’un joli minois... Ainsi, que certains critiques aient agité le spectre de Vertigo ne m’a pas non plus rendu enclin à apprécier pleinement Tom à la ferme, Vertigo étant certainement de Hitchcock, cinéaste que j’aime beaucoup, mon film préféré — sinon même un de mes films préférés... Pour autant, quelques séquences du film de Dolan ont su me prendre, sans que le film tout entier soit, cependant, innervé d’une même tension, d’une même force...
Après dîner, nous empruntons la rue Roquette jusque Bastille, où nous nous attablons à la terrasse d’un café et poursuivons notre conversation. Aymeric a lu mon journal et m’en parle... (J’ignore aujourd’hui de quoi il pouvait alors être question — non plus que je comprends cette notation sur mon carnet : ? = MD, à moins que nous n’ayons parlé de Marguerite Duras, mais rien n’est moins certain… J’ai noté, également, m’être agacé de répondre assez souvent « ouais », manière involontaire et sans façon de donner mon assentiment à ce qu’Aymeric pouvait me dire...)
Situation inédite : quand nous nous quittons dans le métro, chacun prend la ligne 5, mais dans le sens opposé, et nous nous adressons ainsi un dernier signe d’un quai l’autre.
(J’enverrai le lendemain un message à Aymeric afin de lui envoyer et mettre à l'épreuve ma nouvelle adresse électronique, tout en le remerciant de la soirée.
Je lui ferai état de mes cauchemars de la nuit, car l’un le concernait : il me refusait son imprimatur... pour un tout autre texte que le fragment de mon journal extime à paraître qui ne lui était pas parvenu, ce dont nous nous étions (donc) aperçu la veille ! Parmi ces rêves, sans doute parce que, en allant vers Bastille, nous sommes passés tout près de la rue Popincourt, je rêvais que je voulais retrouver J.-P. chez lui, avant de réaliser tout d’un coup qu’il y avait plus de vingt ans qu’il est mort...
Il me répondra avoir bien dormi... après la très bonne soirée passée ensemble — et trouver pour le moins cocasse la conjonction des différents rêves que je lui contais par le menu.)