564 - À pas étourdis, journal extime (7)
À pas étourdis : Paris - Prague - Paris
(journal extime : 22 juillet - 8 août 2014)
29 juillet, soir
Nous prenons, chez eux, l’apéritif, F., Pascal et moi.
Je n’ai pu m’empêcher de dire que J.-M. aurait aujourd’hui soixante-quatre ans — tout en songeant combien peu il aura joui de sa retraite...
Nous dînons à la terrasse d’un restaurant Avenue Parmentier. Pascal profite d’un déplacement aux toilettes pour régler l’addition — et me prendre ainsi de court.
Cependant, je paierai à mon tour la course du taxi qu’ils hèlent pour aller ensuite dans un bar dans le Marais où ils paraissent avoir leurs habitudes — de nombreux clients viendront les saluer et discuter avec eux — et les deux verres que nous boirons au comptoir.
L’alcool, ingurgité trop rapidement et à trop forte dose, le bruit qui oblige dans ce type d’endroit à se parler à l’oreille la main parfois en porte-voix gâchent un peu mon plaisir à nos retrouvailles. Je prends prétexte de mon départ pour Prague le lendemain pour rentrer alors qu’il n’est pas vraiment très tard.
30 juillet
Matin
Je dors mal, sans doute de l’excès de boisson de la veille. Je suis éveillé tôt.
J’ai acheté, pour Pascal et F., qui n’ont dans leur appartement qu’un transistor d’une qualité médiocre, quelques jours auparavant, une enceinte sans fil qui peut se connecter à un téléphone ou un ordinateur portable afin de pouvoir écouter de la musique (c’est bien le seul objet — hormis, mais la place manquerait, un lave-linge ou un lave-vaisselle — qui me paraît faire défaut dans leur petit deux-pièces pourvu en tout). La connexion sans fil de l’enceinte au portable est toutefois capricieuse, et je fais l’achat d’un câble afin d’avoir une liaison plus fiable entre les deux appareils : comme j’ai de façon permanente les clés de l’appartement, je déposerai mon cadeau en rentrant, ayant décidé de l’emporter dans ma valise et profiter ainsi des enregistrements faits à partir de la discothèque de N.
J’achète également deux prises programmables, que je n’aurai pas le temps de brancher à mon retour, le bureau de poste dans lequel je comptais expédier une lettre recommandée pour résilier mon ancien “fournisseur d’accès” à Internet n’ouvrant qu’en fin de matinée. Je dois donc trouver une autre agence, faire la queue à un guichet, ce qui me retarde dans toutes les tâches matérielles qu’il me faut mener ce matin avant de boucler ma valise.
Je quitte donc l’appartement de Judith en laissant allumés, comme elle me l’a demandé, la radio et une lampe à abat-jour pour simuler une présence permanente dans les lieux...
Je m’étais fié aux temps indiqués par Mappy pour aller de Montparnasse à Roissy... et arrive exagérément en avance à l’aéroport !
Toujours cette nullité nue de moments passés à attendre, toujours ces mauvais sandwichs : je ne sais rien de plus accablant que cette répétition malheureuse dans les voyages... Et j’enrage de n’avoir profité de la demi-heure qui m’aurait permis de programmer les prises sur lesquelles sont branchées lampe et radio — grâce à laquelle j’aurais pu tout aussi bien m’acheter un déjeuner décent !
Au moins cela me laisse-t-il le temps d’appeler ma sœur afin de lui communiquer ma nouvelle adresse électronique, seul moyen de me joindre quand je serai à Prague...
Après-midi
C'est une pluie battante qui s'abat par intermittences sur Prague.
Je suis attendu par la propriétaire [?] du studio à l’aéroport. Ce dernier se trouve assez loin de la ville, et je ne regrette pas d’avoir accepté sa proposition de venir me chercher en voiture. Une conversation s’engage en anglais. Ma conductrice et l’ami qui l’accompagnent — elle surtout — parlent bien anglais. J’apprendrai, par son ami, alors que, garés dans la rue du studio, nous attendons qu’elle termine je ne sais quelle mise en place, qu’elle a vécu aux Etats-Unis et est même divorcée d’un Américain.
En regardant le plan de la ville, je me suis souvenu du lieu précis au bord de la Vltava — nous passons non loin... — où nous avions stationné plus d’une semaine avec un camping-car quelque dix-huit ans auparavant quand j’étais venu à Prague avec R. la première fois. (Lui avait connu la ville avant la chute du rideau de fer, y étant venu lors d’un voyage scolaire. Nous y étions passés une seconde fois le 1er août 2002 pour nous rendre en Pologne... Si j’ai oublié l’année de mon premier séjour à Prague, je n’ai certes pas oublié cette date mémorable, celle du jour où j’ai définitivement arrêté de fumer — et n’ai pas oublié l’état de manque et de fureur dans lequel nous nous trouvions l’un et l’autre : une chambre avait été réservée à quelques kilomètres du centre, nous avions pris un tramway pour dîner dans une gargote touristique non loin du Pont Charles, avions, dans la mauvaise humeur, franchi celui-ci en direction du château, puis, tout à nos songeries tabagiques, avions décidé d’un commun accord de rentrer alors même qu’il n’était pas bien tard. Autant je garde un souvenir ardent du plaisir que j’ai eu à séjourner à Prague la première fois, autant le plaisir de revoir cette ville que je trouverai à nouveau superbe m’en avait été gâché par le renoncement à une addiction, dont, depuis, je me suis pourtant souvent félicité...)
Enfin, ma logeuse revient, qui m’invite à visiter le grand studio, sans âme, dans lequel je vais séjourner toute une semaine. Son ami m’aide à porter ma valise, ce pour quoi je lui suis reconnaissant, car les marches sont nombreuses et raides pour grimper jusqu’à ce quatrième étage... Il règne une touffeur incommodante dans ce lieu tout en longueur, qui sera d’autant plus difficile à évacuer par la suite que les deux fenêtres en façade ne permettent pas de créer le courant d’air salubre qui viendrait à bout de tant d’humidité...
En ouvrant les placards, je constate le peu de vaisselle — et songe à Marrakech... Entre-temps, j’ai fait quelques courses — et dois me rendre à l’évidence : même si j’ai acheté de quoi, je ne pourrai me faire de café puisque je ne trouve ni filtre ni porte-filtre (deux articles que je chercherai vainement ensuite dans les magasins). Les épiceries de quartier sont tenus par des Chinois — ce qui me fait, cette fois, penser à Séville et à mes premiers achats, effectués comme ici après que la plupart des magasins ont fermé...
Je rachète sucre et café lyophilisé et dîne, presque en face du studio, dans un restaurant indien végétarien pour un prix modique : on pèse mon plateau garni de divers mets empruntés à un buffet et on me réclame moins de trois euros...
Soir
Je me trouve plutôt fatigué de ma journée de voyage.
Je me contente donc de faire un tour du quartier. La nuit est tombée plus vite qu’à l’ouest. Je rentre tôt — il est à peine plus de 21 heures 30 — et songe que j’ai déjà grimpé plus de quatre fois ces quatre étages qui malmènent autrement les jambes que les trois étages que j’ai pourtant coutume de monter jusque chez moi...
Et j’écris tout en écoutant les préludes de Debussy interprétés par Claudio Arrau — ce qui m’évoque Grégory, qui avait pour le pianiste chilien une dilection particulière.
Et c’est sans avoir décidé ce que je ferais le lendemain que je me couche, piquant bientôt du nez au-dessus d’un bouquin...