557 - Janvier 2015 [journal tressé] (3)
4 janvier
Le lendemain matin, Yannick se propose — sans vergogne — de venir déjeuner.
Comme j'ai beaucoup à faire, je décline son incroyable proposition. Le soir, s’il veut.
Il accepte.
Mais, à 18 heures 30, alors même que la table est mise, il se décommande, sous prétexte de travailler très tôt le lendemain.
Je le voue aux gémonies.
[Il fera une timide réapparition deux semaines après. Je lui proposerai de m’inviter à dîner — s'il veut se faire pardonner ! Entre deux abréviations et “OK”, quelques émoticônes de circonstance, il fait (à peu près) bonne figure ; mais je suppose que je n’aurai pas de ses nouvelles de sitôt !]
5 janvier
Et c’est Fabrice qui profite des restes !
Fabrice est un assez joli garçon d’une quarantaine d’années — très beau sourire, très beaux yeux bleus d'une nuance presque pervenche —, rencontré trois ou quatre fois déjà à plusieurs années d’intervalle... J’ai pour lui un brin d’affection. Mais il a parfois manqué de répondant...
Cependant, qu’à cela ne tienne, à la faveur d'une visite de sa part sur mon "profil", quoique muette, je l’avais, en retour, invité quelques jours auparavant.
Il ne se souvenait plus de mon prénom. Je le lui redis. Et redonne adresse et numéro de portable, après qu’il a accepté une invitation à dîner pour le lundi.
Je me souvenais de ses problèmes de poids. Ce garçon a une jolie tête fine — front haut, mâchoires carrées, nez ciselé, narines délicatement ourlées —, mais, en bas du corps — hanches et cuisses —, il s’évase furieusement. Il me semble d'ailleurs qu’il a encore grossi...
C’est lui qui s’enquiert de ce qui a pu advenir depuis deux années et demie (pas tout à fait vingt-neuf mois, en fait) à la surface ridulée de mon existence.
Lui se lance dans une féroce autocritique. Il a pris plus de dix kilos. « Je me dégoûte », dit-il. Quand je lui demanderai un peu plus tard s’il fait toujours de l’équitation, il me répondra ne plus « monter » — par pitié pour les pauvres canassons !
En tout cas, il fait honneur à mon repas, complimentant ma soupe d’endives et mes poivrons, que je trouve également spécialement réussis (contrairement au soir où j’avais invité Yannick la première fois, ce qui lave l'affront que celui-ci m'a fait la veille et l'avant-veille !).
Il a apporté une bouteille de vin italien, qui nous déçoit.
Il se sert souvent — et remplit aussi mon verre avant qu’il ne soit vide (j’avais eu déjà la main lourde en lui servant un whisky au moment de l’apéritif — et m’étais excusé de la forte rasade versée dans son verre, mais celle-ci avait finalement paru lui convenir).
La conversation va son bon train. Nous évoquons nos vacances. Lui a beaucoup apprécié la Sicile, où j’aimerais aller un jour. Je raconte Séville, Prague, Florence... Il se montre intéressé, chaleureux — Fabrice a vraiment un joli sourire... —, dit qu’il aimerait partir un jour en vacances avec moi. Intérieurement, je tique un peu : son enthousiasme et sa gentillesse me paraissent excessifs, dus peut-être à la boisson... Je ne relève en tout cas pas.
Il sait que, pour accompagner le plat principal, j’avais préalablement prévu un vin espagnol, et, la bouteille finie, demande à ce que je l’ouvre. Celui-ci est meilleur, quoique sans prétention, dans ses arômes de réglisse, vanille et fumée...
Le repas fini, nous prenons la bouteille et nos verres et nous installons dans le canapé.
J’ai souvenir du plaisir que j’avais eu à caresser ses bras (c’était en été et il portait une chemisette). Quand nous nous étions revus la toute dernière fois, une ou deux semaines plus tard, c’était au cinéma pour voir je ne sais quel opus de Batman — dont je me souviens que le montage particulièrement sec et rythmé m’avait fatigué, tant et si bien que je n’y avais guère pris de plaisir : la salle de ce complexe (j’étais invité, lui bénéficiant de tarifs préférentiels via un comité d’entreprise, sans quoi j’aurais voulu aller ailleurs et sans doute désiré voir un autre film...) était pleine, et je n’avais osé toucher à nouveau ce bras nu tout près de moi sur l’accoudoir...
Je le lui raconte, tout en me rapprochant et l’embrassant. Nous nous caressons, et il hasarde sa main dans l’échancrure du pull tout en me demandant si j’ai ou non le torse poilu...
Je m’amuse de la question et rétorque qu’il doit bien le savoir... Et, abasourdi, je m’entends répondre le plus sérieusement, le plus tranquillement du monde... que non.
Je lui dis alors ma stupéfaction — qu’il ne se souvienne plus de la fois (la seule, il est vrai !) où nous avions couché ensemble (c’est l’expression qui me vient spontanément). Et moi de demeurer tout aussi interdit qu’il réponde à nouveau ne pas s’en souvenir...
Peut-être était-ce lors d’une soirée pareillement arrosée, au point que le lendemain il a perdu la mémoire de la veille ? Je lui rappelle alors — pour anamnèse — certains détails de notre soirée...
La boisson, précisément, ce qu’il m’a dit aussi de ses états d’âme du moment concernant son physique, voire cette défaillance du souvenir, même si nous continuons de nous caresser — il dit apprécier pareil moment de sensualité —, me retient d’être plus entreprenant : je ne veux pas d’un rapport médiocre.
D'ailleurs, il paraît vraiment saoul. En outre, il se fait tard. C'est pourquoi peut-être il donne bientôt le signal du départ, en promettant qu’on se verra sous peu.
Je le raccompagne jusqu’en bas de l’immeuble, ayant à descendre une poubelle. Et c’est à un étrange jeu qu’il me paraît se livrer quand, en pleine rue, il dépose, en guise d’adieu, un baiser sur mes lèvres.
Un jeu dont Fabrice sera peut-être ensuite amnésique à nouveau — puisque, depuis, je n’ai plus eu de nouvelle !
Faut-il conclure que les lovers manquent décidément de répondant en ce début janvier? ou n'est-ce qu'un découragement du moment (chez eux, chez moi) qui me fait hasarder ce diagnostic un tant soit peu cruel ?