555 - Janvier 2015 [journal tressé] (2)
3 janvier
J’ai invité Yannick, lover putatif, pour la troisième fois.
Ce beau métis de vingt-sept ans est arrivé cet été à **** pour entreprendre des études. Nous correspondions depuis quelques temps déjà, avions sympathisé — et nous étions promis de nous rencontrer aussitôt qu'il serait installé.
Quand, non plus à Madagascar mais localisé à l'évidence dans le far East français, j'avais renoué le dialogue, il avait fallu tout de même un peu lui rafraîchir la mémoire : j'imagine bien que, du fait de correspondances et sollicitations multiples, il ait pu se montrer oublieux de ma personne, tant il est et se sait "beau gosse", n'ayant aucune espèce de modestie sur cette "beaugossitude" que ses fées marraines ont dû lui donner — de façon pleinement gratuite, j'espère — dès la naissance...
Le soir où l'on envisage qu'il vienne dîner chez moi la première fois, il doit confirmer sa venue. Je ronge mon frein, et, pour tromper l'attente, je vais dans un café où j'ai mes habitudes. Or, en rentrant, je le croise dans la rue — dans cette rue où habitait S., à hauteur, ou peu s'en faut, de l'immeuble où j'ai moi-même logé quelques temps, S. m'ayant prêté son appartement. Je le reconnais immédiatement, et l'aborde sans façon. Il se trouble, bredouille quelque réponse, et s'éloigne à pas pressés.
Rentré chez moi, je reprends bientôt, sur l'ordinateur, le fil de la conversation avec Yannick, sans rien dire de l'incident. Il accepte finalement de venir dîner. Entre-temps, des doutes se sont installés : ce n'était sans doute pas lui que j'avais croisé, ce qui explique (évidemment !) que mon interlocuteur quelques heures plus tôt se soit trouvé si décontenancé...
Mais, quand il surgit au détour de la cage d'escalier, c'est lui qui me reconnaît. Il m'explique bientôt ne pas avoir compris immédiatement ce que je lui voulais, qu'une voisine tout près de nous assistait à notre échange et qu'il avait coupé court pour cette raison. Bref, nous nous amusons de l'aventure. Et, par recoupements successifs, je comprendrai qu'il habite très exactement dans l'immeuble où S. était locataire, coïncidence qui confine au hasard objectif dont nos existences sont tissues.
Il s'est installé dans le canapé noir, le moins propice aux tête-à-tête. J'en prends bonne note tandis que je lui sers un apéritif.
Nous dînons à la cuisine. Le riz des poivrons à l'indienne est à peine cuit, et je me navre du résultat. J'en attribue la raison au wok, fait pour sauter les légumes et non sans doute pour servir de cuit-vapeur. Cependant, Yannick dévore de bon appétit les trois quarts du plat. Comme l'ensemble lui paraît peu pimenté, j'ouvre un bocal d'achards, qu'il mélange copieusement à la farce des poivrons. Il est content, me dit-il, de manger et des piments et du riz.
Sans être passionnante, sa conversation m'amuse. Il me raconte sa déconvenue avec un garçon qui lui proposait de venir chez lui en lui recommandant expressément de ne pas se laver. J'ose un compliment, à un moment donné, sur son physique, et il se rengorge un peu : il sait cela ; même les femmes dans la rue se retournent sur lui...
Je le laisse partir sans oser davantage. Quelque chose me heurte, sans que je puisse vraiment dire quoi.
Lui maintient le contact ensuite. Je l'invite donc un second soir.
Sans que je sache aujourd'hui sur quoi a pu rouler la conversation, je me rappelle un développement comme quoi il aura bientôt trente ans et qu'il serait temps qu'il se case, songe à se marier et avoir des enfants. Comme je m'étonne de ces projets alors qu'il n'a couché qu'une seule fois avec une fille — m'a-t-il confié — un soir où il était saoul (encore n'était-ce sans doute qu'une demi-fois, eu égard à ce qu'il m'en retrace), il me dit qu'il pourrait changer, que les mecs sont rarement à la hauteur, et que, d'ailleurs, rien ne l'empêcherait une fois en ménage d'aller voir ailleurs, puisque un tas de garçons agissent ainsi ! Je ne peux évidemment pas le démentir sur tous ces points, mais n'en continue pas moins de m'étonner...
C'est pourquoi je serai surpris d'un de ses messages un soir, alors même que nous paraissions jusqu'alors sur un registre purement amical, qu'il me sollicite sur un autre tout mode, semble-t-il. Il me demande alors si j'ai des poppers et des photos "hot". Je m'amuse beaucoup, mais rétorque qu'il aurait pu se montrer plus entreprenant les fois précédentes plutôt que se lancer tout à trac dans de semblables propositions... Cela ne semble aucunement le refroidir (si j'ose dire) : je reçois en retour des invites photographiques explicites censément irrésistibles — j'imagine —, à l'instar de la roue dont le paon fait montre, dans sa parade tout aussi joliment obscène ! Je décline pourtant : la fatigue au dedans, le froid au dehors — et toujours ce manque de conviction en moi et hors de moi — ne m'incitent ni ne m'excitent à tenter quoi que ce soit avec Yannick ce soir-là...
Quelques jours après, revenant gentiment sur l'incident pour le minimiser, il m'envoie un de ces inénarrables messages en langage texto pour me demander si c aussi [j'ai oublié l'adjectif] chez moi... Je lui réponds que non, je ne le suis pas autant (ni si bien pourvu, ni si beau) et qu'il demeure incommensurablement le phénix de ces bois (à peu près certain que l'ironie ne sera pas perçue !)...
(Je retrouve ceci, écrit à ****, à ce propos : "Car j'hiberne — et ai choisi de le faire avant la saison ! Depuis le 16 août, très exactement. J'ai bien invité à dîner deux fois Yannick, joli garçon de vingt-sept ans, né de père malgache et de mère bretonne (d'où le prénom) ; mais le cœur n'y vient pas, je manque d'allant. C'est, de fait, le même besoin de (se) récupérer qu'après une liaison amoureuse."
[puis :] "Yannick m'a écrit pour me demander si j'avais de poppers, puis des "pics hot", m'a envoyé les siennes sans que je les lui demande, a été déçu que je ne réplique pas sur le même mode, dans un badinage qui m'a amusé — mais qui me paraît quelque peu à contretemps ! ")
* * *
Quoi qu'il en soit, en ce 3 janvier, j'attends à nouveau (de nouveau ?) mon (potentiel) lover exhibitionniste — amateur de poppers (ce qui me rappelle, plus de trente ans auparavant, un lover récidiviste qui carburait à cela, sans m’avoir convaincu, pour y avoir un peu respiré, de l’intérêt de pareil emballement cardiaque et sanguin...), à manger des poivrons farcis, que j'espère bien mieux réussis que la première fois.
A 20 heures, il n’est toujours pas là.
J’envoie, rageur (rien ne m’exaspère parfois davantage que d’avoir faim !), un SMS, puis laisse un message sur son répondeur.
Il répond (par SMS) vers 20 h 30 qu’il s’est endormi devant une série qu'il regardait sur son ordinateur !
Entre-temps, j’ai mangé. Je le lui dis, et l’incident s’achève ainsi. (Le numérologue imbécile que je suis mesure néanmoins la différence avec Faiz, invité au tout début de janvier trois ans plus tôt !)