580 - À pas étourdis, journal extime (14)
Publié le par 1rΩm1
À pas étourdis : Paris - Prague - Paris
(journal extime : 22 juillet - 8 août 2014)
Lundi 4 août [suite]
Soir
J’étais passé la veille devant le conservatoire de Prague où j’avais vu une affiche pour un concert gratuit, que j’avais photographiée en demandant ensuite à Z***, ma logeuse, s’il lui était possible de me réserver une place en téléphonant
— voire de nous réserver des places pour son ami Jack, elle et moi.
Elle m’avait répondu qu’elle n’était pas sur Prague, mais demanderait à un ami de s’occuper de cela… Je n’avais pas encore eu de nouvelles en début d’après-midi, et ce n’est qu’en rentrant que je trouve un courriel dudit ami, m’avertissant que le concert est à 19 heures 30 et qu’une place à mon nom m’attend à l’entrée (Hi Romain, Your seat is booked and your ticket is prepared in the envelope with your name at reception of the building of the Prague Conservatory Concerte Hall in Prague).
Je ressors donc précipitamment muni d’une adresse, persuadé que le concert a lieu dans la rue même où j’ai photographié l’affiche. L’idée me vient toutefois de vérifier auprès d’un pragois dans le tramway. Un trentenaire accort m’indique en anglais où je dois me rendre sur le plan que je lui montre. C’est de l’autre côté de la Vltava, en fait, dans la salle, me semble-t-il, où nous avions assisté jadis R. et moi à un concert magnifique pour un prix dérisoire (l’équivalent d'une quinzaine de francs d’alors) — sans rapport aucun avec les standards proposés aux touristes pour lesquels je m’étais renseigné au hasard de mes pérégrinations, et qui, de Quatre saisons en Canon de Pachelbel ou autre Petite musique de nuit mozartienne, m’avait dissuadé de m’aventurer à prendre une place à des tarifs prohibitifs de toute façon. Je remercie chaleureusement mon interlocuteur, ravi de devoir trébucher ainsi sur quelque pavé proustien…
Sur place, je dois me rendre cependant à l’évidence : le bâtiment est inaccessible, tout étant bouclé. Je suis prêt à renoncer d’autant que la faim me tenaille quand, puisque mon pragois à la si jolie figure avait l’air sûr de son fait, il me vient l’idée d’explorer le quartier. Je contourne donc le bâtiment et, dans la rue perpendiculaire la plus proche, aperçois des gens en train de visiblement faire la queue. Je suis bientôt, après avoir descendu quelques escaliers qui mènent en contrebas, dans un hall assez peu grand. Là se pressent des personnes en grande toilette, ce qui m’amuse et m’embarrasse puisque je suis vêtu d’un simple polo et d’un jean, ne m’attendant guère à tant de falbalas : je dois d'ailleurs être le seul touriste égaré et je suis ce flux endimanché jusqu’à une salle d’assez petite dimension où s’agite toute une pépinière bigarrée mais indéniablement mise sur son trente-et-un. Des huiles de toutes sortes — des ambassadeurs de différents pays, des universitaires, des musicologues, des directeurs de conservatoires et d'académies, l’arrière-petit-fils [?] de Dvořák (nommé, en tout cas, Antonín Dvořák III dans la dynastie !), entre autres sommités… — peuplent l’endroit.
Une heure durant, interminable pour qui a faim, se succéderont des discours des uns et des autres : des prix sont remis aux vainqueurs, qui viennent chercher leur(s) trophée(s) — certains, dont un Israélien et un Italien (si ma mémoire est bonne) ayant raflé plusieurs fois la mise — avec bonhommie ou maladresse ou timidité, dans des applaudissements auxquels je me joins avec une mollesse qu’expliquent l’inanition et l’ignorance totale de ces génies en herbe (car certains sont très jeunes assurément)…
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Enfin le concert a lieu. Il consiste en l’exécution des œuvres des vainqueurs de l’année précédente… Autant dire que j’en ignore tout, ce qui est le meilleur contrepoison à mon agacement des morceaux rebattus proposés aux touristes : je suis donc déjà tout aux anges (musiciens) que cette salle abrite, en oubliant à mesure et ma fringale et ma tenue par trop décontractée…
Le premier et le second morceau, s’ils sont peu surprenants, n’en présentent pas moins des joliesses qui sonnent agréablement à l’oreille. Le troisième est beaucoup plus original. Le quatrième intègre l’accordéon à l’orchestre, non sans quelques effets appuyés — et sera très applaudi… Le cinquième, qui joue plaisamment de contrastes, s’achève — comme les autres œuvres — en decrescendo… Il y a là peut-être un cahier des charges dont je ne sais rien : sans doute des contraintes concernant la composition ont-elles été imposées, car, hors l’instrument vedette de telle ou telle exécution, la structure de l’orchestre demeure globalement identique.
(Je ne saurais en dire beaucoup plus aujourd’hui — sauf à piller éhontément la brochure que j'ai emportée avec moi et qui détaille le nom des morceaux et des compositeurs ; mais je préfère m'en tenir aux notes, à peine réécrites, de mon petit carnet, que complète cette "fusée” livrée toute nue :
Tjs ce plaisir exceptionnel à entendre 1 orchestre Relief & amplitude
— car que dire, sinon que, sous l’effet de la musique, j'ai remercié cette bonne vieille Erato de ces libations auriculaires auxquelles je m'étais convié, en attendant d'autres agapes plus roboratives et matérielles...
Précisément,) nous sommes invités ensuite à rejoindre, du moins qui le veut, les membres du jury et les lauréats dans un restaurant tout proche.
Je suis un moment le flux ; mais, m’apercevant que le quartier est bouclé par des policiers — j'ignore ce qui a pu occasionner pareil déploiement — et contournant le barrage, me dirigeant vers le restaurant de la veille, comme je m'aperçois qu'une partie de l'assistance et des musiciens s'y trouve attablée, renonce à entrer, pensant que l'on tarderait à me servir.
J'erre alors longuement à l'aventure, talonné par mon estomac, avant de me dire que je dînerai finalement avec les moyens du bord dans le studio, comblé de toutes les façons par ma soirée...