584 - À pas étourdis, journal extime (16)
6 août
Je fais une dernière incursion en vieille ville — et visite Notre-Dame des Neiges.
J’ai le regret, ensuite, que ne soit plus ouvert le musée cubiste, dont, à rebours de l'exubérance baroque du lieu précédent, je photographie, assez défraîchie mais intacte dans la pureté de ses lignes et de ses angles, la rampe d’escalier…
(Je ne verrai pas non plus la maison cubiste de Libušina — j'ignorais jusqu'alors qu'existaient des réalisations d'architecture “cubiste” — mais compte bien de toute façon revenir un jour…)
* * *
J’achète un billet pour la visite guidée de la maison municipale. A l’heure du déjeuner, non loin de là, je trouve un restaurant avenant, où, de fait, je mange bien, pour un coût modique. Des travaux dans l’immeuble à côté, par leurs nuisances sonores, viennent seuls gâcher le plaisir.
J’explore encore le quartier, en attendant la visite. Si j’ai vu une noce quelques jours plus tôt se faire photographier au Château, je m’amuse de ce que l’Hôtel Paris se propose d’organiser des mariages inoubliables (We will be happy to provide for Your Wedding !).
Tandis que l’interprète du Lorenzo de Musset se rappelle à mon souvenir…
* * *
Lors de la visite de la maison municipale, tout — ou presque — me plaît… — depuis la salle Smetana et ses mille deux cent places
en passant par le salon de thé dit « Pâtisserie »,
le salon de la Moravie slovaque et ses panneaux en érable blanc,
— voire la salle Palacký
ou la salle du Maire, entièrement décorée par Alfons Mucha (quoique, ici ou là, le nationalisme s’y exacerbe)…
Ravi de ce que j’ai vu, j’emporte le descriptif fourni à l’entrée — j’ai demandé si je le pouvais à la guide, qui est demeurée évasive mais ne me l'a pas repris, et, comme ce sont de simples pages A4 sans illustration, tirées par une imprimante de mauvaise qualité, je n’ai eu que peu de scrupule à le faire — et visite ensuite la boutique de l’endroit.
Je tombe en arrêt devant la réplique d’une carafe à décanter en verre bleuté qui me plaît beaucoup. Le prix en est raisonnable, et je songe que je pourrais non seulement me l’offrir mais en faire le cadeau à Valérie, qui a pour habitude d’arroser mes plantes en mon absence. Je me livre alors à une arithmétique compliquée : j’ai fait tomber le toaster du studio, qui fonctionne encore mais dont le plastique a sauté près de la poignée, il me faut encore payer mon transport jusqu’à l’aéroport commandité auprès de Z*** (je ne pouvais pas moins que faire appel à nouveau à ses services après qu’elle s’est si bien occupée de me procurer une place au concert de la veille), je dois raisonnablement convertir une trentaine d’euros encore si je veux faire ce double achat…
Je ressors et change cette somme.
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Comme la veille, je bois une bière au sous-sol, dans ce Bar américain « qui, au moment de sa création (1912), était vraisemblablement le seul lieu de ce genre dans tout la monarchie austro-hongroise et où une femme pouvait se rendre sans être accompagnée d'un homme ».
Je songe que, comme la maison municipale a été rénovée de 1994 à 1996 et que je ne me souviens d’aucun chantier quand nous étions à Prague, R. et moi, je me dis que ce devait être en 1993…
Ressorti des lieux, je m'étonne encore de ce que, vue l'extérieur, elle puisse sembler ne comporter que deux étages « alors qu'elle en compte sept en réalité, dont deux sont consacrés aux locaux techniques »...
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Arpentant pour l'ultime occasion la vieille ville, je passe par des rues inconnues encore. J’aurais donc pu prolonger mon séjour sans ennui… Je suis bien certain, en tout cas, d’en avoir bien plus vu que la toute première fois… Il faut, cependant, que j’en excepte les promenades nocturnes, car, souvent fourbu de mes journées, je n’ai guère parcouru le pavé, pourtant diablement romantique, des rues étroites et tortueuses de Prague à la nuit tombée… Je me rappelle être allé jadis dans le périmètre du Château et d’avoir ployé sous le charme des réverbères, d’ombres fantasmagoriques qui semblaient vouloir saisir un passé qui se serait laissé bien aisément étreindre par quelque congruence romantique ou romanesque, ayant lu le Golem de Gustav Meyrinck et — bien entendu —, si j'ai pu bouder le musée qui lui est consacré, Kafka !
Faut-il dire que j’ai toutefois remarqué la laideur d’un mobilier urbain envahissant dans les rues de Prague, que redoublent souvent des vitrines criardes dans des coloris qui n’auraient pas déplu à de vieilles Américaines caricaturales des années soixante friandes de produits Avon, qui balafrent les belles façades baroques — alors que certainement une législation plus sourcilleuse, à l'instar de celle des architectes de monuments de France ou je ne sais quelle instance, interdirait pareil excès, pareille hideur ?
Quoi qu’il en soit, je fais mes adieux à la vieille ville
— et rachète sur mes derniers deniers tchèques le toaster (exactement le même que celui du studio, photographié le matin afin de me souvenir du prix) que j’ai fait tomber.
dont je reproduis mon texte au verso :
Prague, le 4.8.93
Ce n’est plus seulement la ville de F. K., c’est aussi une ville livrée aux touristes... mais une bien jolie ville tout de même !
Au cimetière juif, R. voulait voler les pièces laissées sur les tombes... Il projette d’en escalader les murs la nuit... Je rentrerai seul peut-être...
Dans tous les cas... à bientôt !
Bises,
Romain
A quoi R. a spirituellement ajouté :
« C’est faux… Romain va rentrer en France encore plus alcoolique qu’il n’en était parti. Forcément, la bière est à 3 F 60 les 50 cl ! Enfin, il argumente en disant que c’est moins cher que l’eau minérale.
A bientôt,
R. »
M’amusent, en outre, les évidentes parentés entre des impressions d’hier et un « temps retrouvé », jusque dans certaines considérations et formulations (mon plaisir de boire de la bière — et Prague « livrée aux touristes » !)…