585 - À pas étourdis, journal extime (17)
6 août [suite]
Le conducteur dépêché par Z***, absente de Prague, m’assène des discours xénophobes. Il dit être allé dernièrement à Paris… et n’y avoir vu aucun Parisien ! Prague, elle, livrée aux touristes durant les mois d’été, entraîne la désertion de bon nombre de ses habitants… Il en a spécialement après tous les immigrés de l’Est… Selon lui, entre autres considérations de la même farine, les Français meurent moins de maladies cardiovasculaires — il assure avoir lu des études à ce propos — que les autres peuples du fait de leur consommation de vin rouge ! (Mon serveur de la veille était-il pareillement xénophobe pour m'avoir si aimablement invité à prendre la porte ? Cela expliquerait son peu d'aménité...)
Je suis soulagé quand il téléphone (ce qu’il fait à plusieurs reprises) — et, plus encore, d’arriver à l’aéroport.
Je me trouve aussi au regret d’apprendre que ce joli garçon qui flirte avec la quarantaine, a de si belles jambes — il porte un bermuda et arbore des lunettes de soleil dans sa grosse voiture… —, s’avère le Jan qui m’a réservé une place de concert, ce dont, avant qu’il se lance dans ses bâtons rompus, je l’avais chaudement remercié…
Je m’aperçois très soudainement que je n’ai eu de conversation suivie avec quiconque depuis d’une semaine... Et il a fallu que ce soit en cette compagnie que je renoue avec mes contemporains !
Et, si j’aime parfois à dételer de la langue de mes compatriotes, je n’ai pas réussi pour autant à mettre mon moi en orbite, ni même non plus à ce qu’il s’élève quelque peu au-dessus de la Vltava... Mais il est vrai que Prague est une ville qui tient à tous la dragée très haute, et que ses atours, superbement austères, invitent, sinon à se taire, du moins à l’humilité !
* * *
A l’enregistrement des bagages, les tapis roulants à côté des jeunes femmes aux guichets ne fonctionnent pas. Les queues s’allongent, du fait de bagages trop lourds qu’elles doivent traîner tant bien que mal…
Dans l’espace même dédié à l’embarquement, force est de constater à nouveau le prix exorbitant de médiocres sandwichs : la conversion se fait ici à raison de 23 couronnes pour un euro, au lieu des 28 couronnes qu’on pouvait aisément obtenir au centre de Prague.
Le vin tchèque que j’ai mis sur mon plateau — dans une bouteille de 0,187 litre ! — est heureusement très bon… faisant mentir à nouveau l’opinion à l’emporte-pièce entendue de la bouche d’un touriste quelques jours auparavant…
Les Tchèques, ce peuple musicien — tant pis pour cet autre cliché : il n’est pas dénué de fondements, comme pour les Hongrois… —, aiment le jazz… Ce que je bois et ce que les haut-parleurs diffusent font oublier la mauvaise mie du mauvais pain du mauvais sandwich…
Paris, 7 août
Je rencontre Fabrizio, un Italien d’une quarantaine d’années, avec qui je passe une heure agréable à faire l’amour l’après-midi, tout comme si — mais sans cache-sexe et avec sans doute moins de talent dans le marivaudage, sans qu’il importe d’ailleurs pour l’un et l’autre, ni que cela engage notre avenir — nous nous trouvions dans un film de Rohmer…
8 août
J’ai perdu mes lunettes de soleil à verres progressifs dans le métro [épisode que je n’ai pas retracé dans mon petit carnet et dont je serais désormais incapable de retrouver les circonstances] avant de partir à Prague. Je me rends aux objets trouvés.
Le service se trouve dans un bâtiment tout près de chez Fabrizio. Si je m’étais enquis auparavant de l’adresse, j’aurais pu m’y rendre la veille et gagner ainsi un temps considérable !
Pourquoi les gens pauvres — me demandé-je sur place — au vu des personnes qui attendent qu’on les appelle au guichet — sont-ils ceux qui perdent leurs biens ? ou serait-ce que les riches se moquent bien de récupérer ce qu’ils ont perdu ? Sans doute pour faire obstacle à quelques prédateurs au petit pied qui pourraient s’accaparer le bien d’autrui, il est stipulé que les objets perdus qui ont été retrouvés sont restitués à leur propriétaire contre une somme de 11 €…
En attendant mon tour, après quelques autres messages, j’envoie un SMS à Fabrizio. Il m’avait dit faire le ménage et finit par me répondre qu’il n’a pas le temps, joignant à son SMS une photo déshabillée. Je m’en amuse — et le remercie de ce lot de consolation !
On n’a pas trouvé mes lunettes et je ressors contrarié de cette perte : ces lunettes à verre solaire m’avaient bien rendu service quand — je ne sais ce qui se passe en moi pour commettre tant d’actes manqués et oublier ou perdre les uns après les autres mes bésicles... — j’avais perdu mes lunettes de vue à Marrakech...
Je prends l’autobus jusqu’Oberkampf et dépose les enceintes bluetooth chez F*** et Pascal.
Chez Judith, j’ai réussi à programmer les prises électroniques pour lampe et radio. De toute façon, les voisins semblent rentrés : je me dis qu’ils apprécieront de ne pas entendre France Culture nuit et jour bourdonner dans l’escalier…
* * *
Et je repars. La valise est pleine à craquer — ou pour tout dire : à craquer davantage !
La prochaine fois, pour Florence, je prendrai la plus petite !