610 - In memoriam J.-M. (5)

Publié le par 1rΩm1

 

30 juillet [1988]

Je prends le pari que l’on parvient à écrire dans un train thaïlandais entre Phitsulansk et Lopburi. Car, entre ces deux villes, le temps est long (de six heures) : « pour le tuer, parlons donc… » (Vous voyez, l’on est presque aussi confortable sur rail… que dans un train Corail !)

A Sukkotaï, des excités ont fait la fête toute la nuit. Rires et chansons ont terriblement entrecoupé mon sommeil.

Et j’ai piétiné sur place à Phitsulansk en attendant un train. J’ai tout de même déjeuné fort agréablement dans le coffee shop d’un hôtel où un très gentil petit serveur s’est fendu jusqu’aux oreilles de sourires à répétitions : peut-être aurions-nous pu entamer la conversation, s’il avait parlé anglais ; mais c’était bien aimable de sa part tout de même…

Ce pays est plein de flics et de militaires. Dans le bus, ce matin, j’étais sous le charme d’un fort beau jeune homme dont je captais le regard dans le rétroviseur du conducteur… jusqu’à ce que j’aperçoive l’uniforme. L’autocar était plein comme un œuf. J’ai fini le voyage, consolé, dans l’étau de deux jeunes garçons — quoiqu’il fît un peu chaud…

Mais ces plaisirs volés restent indigents. Le petit Thaï à ma taille, ne l’aurais-je pas vu passer ? Je vois pourtant des couples mixtes partout, dans les hôtels où je vais. Il est vrai néanmoins que ce sont des couples mixtes au plan du sexe également ! Sauf  à Chiang Raï, où j’ai vu un vieux déjà vieux pourvu d’un guide à lui. Car, à la carte du pays, il serait agréable de joindre la carte du tendre — ne serait-ce que pour apprendre, peut-être, le premier mieux…

(J’observe, en face de moi, une jeune fille et trois militaires. Variations et subtilités des jeux de séduction. La tête baissée, elle multiplie les signes de refus, comme autant de réponses aux questions qu’on lui pose. Mais cela semble surtout formel. Car, en vérité, elle parle aussi — beaucoup. Et sa réserve semble, au plan des attitudes, plus jouée que réelle…)

Il paraît que les Where are you going ? et Where do you come from ? sont les ouvertures ordinaires de la conversation entre Thaïlandais. Je note que personne ici ne m’a demandé ni si j’étais marié, ni combien j’avais d’enfants. La plupart des personnes qui parlent anglais se satisfont de questions rudimentaires, liées surtout, semble-t-il, aux contingences du commerce. Mainte fois, à la réception des hôtels, excédant les sempiternelles questions, je n’ai pu me faire comprendre : il a fallu recourir à la mimogestualité… En fait, je n’ai encore eu véritablement de conversation longue avec qui que ce soit. Je trouve évidemment cela plutôt décevant… En revanche, sans envisager l’obstacle de la langue, il arrive que certaines personnes m’adressent très naturellement la parole en thaï… Ainsi de cette vieille femme qui, dans un car, geste à l’appui ensuite, a voulu essayer mon walkman.

Des vendeurs à chaque halte, un homme-tronc qui mendie, des petits-z-enfants à qui je fais peur (que c’est laid un homme blanc !). Le spectacle est permanent. Il se fait un peu long pourtant, le voyage n’est effectué qu’au quart pour le moment. Des mendiants en béquille, un aveugle qui chante, un préposé-balai qui passe de temps à autre, faisant semblant de pousser devant lui des détritus divers… Des arrêts interminables dans des sous-sous-sous-sous-chef-lieu (pour l’orthographe de ce pluriel, je ne sais, je ne me risque pas, je n’ai pas emporté ma grammaire). Le soleil, longtemps dissimulé par d’épais nuages, est apparu : l’on sue à mourir quand le train est à l’arêt. Paysage de plaine monotone, bordé par de lointaines montagnes. (On s’arrête à Nakhon-Sawan, à peu près à mi-chemin ; j’ai déjà fait, en sens inverse, le trajet entre Nakhon-Sawan et Lopburi — ç’avait été plus court.) (Le contrôleur, cliquetant de toute sa poinçonneuse, a l’arrogance imbécile de sa fonction. Dans les bus, on vous contrôle trois fois pour une. Sur les routes, les chauffeurs de car pointent aux guérite de la police highway…) Tous ces gens alentour qui dorment ou mangent… Je m’assoupirais, moi aussi, volontiers…

 

Phimaï, 1er août 1988

Ce fut un bien long long voyage. Cependant, j’étais content de retrouver Lopburi, le petit hôtel chinois en face du King Narai’s Palace.

© Internet

© Internet

Fait nouveau de mon voyage : comme à Bali, près d’un chedi abandonné, non loin de la gare, j’ai vu des singes…

Le soir, j’ai dîné dans un endroit quelque peu “chic”, avec orchestre et chanteuse, et j’ai mangé de très bon spaghettis bolognaise !

Puis j’ai obliqué vers l’est. Rien à dire de Korat, sinon que, si j’avais su, j’aurais d’emblée poussé jusqu’ici. A mesure que l’on s’éloigne des villes les plus touristiques, trouver quelqu’un parlant anglais relève de la gageure… Je l’ai durement éprouvé dans cette grande ville de béton. J’ai dormi dans un hôtel chinois assez agréable, que rien ne signalait, sinon idéogrammes (chinois, précisément). Sur une place non loin de là, un orchestre jouait en plein air. Terriblement remuant. Non plus que le public d’ailleurs ! Je me suis assis sur un banc.  M’a rejoint une jeune fille, pour me faire de frénétiques propositions. C’est tout juste si elle ne m’a pas arraché le bras pour me traîner avec elle. Elle était, pour tout dire, à contretemps de l’orchestre — et il a fallu des trésors de diplomatie…

Si tous les jours ressemblaient à aujourd’hui, la Thaïlande serait un bien aimable pays. D’abord Phimaï est une toute petite ville ouverte de tous côtés sur une « campagne » — c’est pourtant bien une campagne, mais au paysage très exotique ! — agréable. J’ai fort bien déjeuné et dîné dans un restaurant où l’on m’a présenté un menu en anglais — et fait brûler à mes pieds, ce soir, une spirale anti-moustiques… qui s’est avérée totalement inefficace… —, le tout accompagné de bien des égards, sans qu’on m’ait jamais poussé à la consommation (hier, à Korat, j’ai failli piquer une colère noire parce que, sans que je l’aie demandé, on m’avait apporté une seconde bouteille d’eau minérale..). Par ailleurs, les ruines khmers sont très impressionnantes et belles — et désertes. (NB – Au musée, j’ai vu une représentation sexuée de Singa [Shinga].) Enfin, un jeune homme m’a abordé, qui m’a conduit jusqu’au banian tree de la ville, un arbre gigantesque qui offre à lui seul, du fait de ses racines aériennes qui replongent dans le sol, toute une forêt. Il parlait très peu anglais, mais, enfin, nous sommes parvenus à tenir une conversation et avons passé le reste de l’après-midi ensemble. Il m’a même invité dans sa famille pour boire de l’eau…

Je suis fatigué. J’ai beaucoup marché, quoique la ville soit toute petite. Les autochtones sont soit de grands paresseux, soit prennent les touristes pour des fainéants : à qui leur demande « Est-ce loin ? », ils répondent : « Oh oui ! » ; demandez des précisions et l’on vous dira : « C’est à cinq ou six minutes à pied » !

J’aurais d’autres anecdotes, mais j’aurais peur de ne pas bien les présenter… Et puis cela nécessiterait d’être mieux “digéré”… D’ailleurs, la lettre est pesée et timbrée : je ne peux y ajouter d’autres feuilles…

Well, la kon. Comme eux disent. J’ai trop fermé mon « o » tout à l’heure et prononcé la koun. Hilarité de mon interlocutrice. Il paraît que cela veut dire « je vous aime ». Et moi d’être bien embêté.

Recevez d’affectueuses pensées,

Romain

 

Phimai [photographies achetées sur place]
Phimai [photographies achetées sur place]

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