587 - In memoriam J.-M. (2)
[Ce qui suit est à peine réécrit : je laisse d’ailleurs en l’état deux erreurs lexicales grossières. J’ai cependant élagué quelques notations qui peignaient un peu crûment les personnes et, de toute façon, ne présentaient pas d’intérêt en elles-mêmes...
En poursuivant ma lecture, j'ai aussi compris pourquoi j'avais glissé dans mon courrier la carte postale d'une beauté thaïe — ce qui, en ouvrant l'enveloppe, m'avait décontenancé : pourquoi avoir adressé cela à Pascal et J.-M. ?...]
Vendredi 22 juillet 1988
J’ai posté ma première lettre ce matin. Depuis, j’ai rayonné dans la ville, avec divers buts. J’ai d’abord fait réparer mes chaussures auprès d’un cordonnier, car la couture en cédait de plus en plus, et la marche (je marche très mal du pied droit) en devenait fatigante. Puis, ce fut le tour des lacets. Ainsi donc mes tennis finiront la Thaïlande, tout comme elles ont fait déjà l’Indonésie...
Ai déjeuné dans une sorte de snack touristique entouré de Thaïs charmants et très efféminés. En chemin, j’ai fait quelques « wat(s) » de la ville, mais sans m’attarder. J’ai vérifié les prix des vêtements : je ferai mes achats à la veille de partir, à Bangkok — autant ne pas se charger.
Je suis repassé au T.O.T., afin de me faire préciser quelle était l’adresse qu’on m’avait donnée. Malheureusement, les personnes avaient changé. L’on ne s’est guère intéressé à mon problème, et je crois d’ailleurs qu’il en aurait été de même si mon problème avait été différent. Je suis même passé dans une guesthouse qui existait au temps de la splendeur de Watana, mais sans résultat. Je ne sais ce qu’aurait fait quelque Sherlock Holmes à ma place, et, avec ce seul prénom, je crois bien qu’une piste soit impossible à trouver ! Enfin, bref, ce reste tout de même un jeu de piste assez amusant à suivre...
Samedi 23 — 21 h 30
Hier soir, après avoir marché longtemps dans les rues peuplées de Chiang Mai, après n’avoir pas trouvé le responsable de l’Alliance Française dont j’avais l’adresse (il était à Bangkok), après m’être cent et une fois fait accoster pour touk-touk, trekking, an so on, Chiang Mai commençait à me sortir par les yeux et les oreilles. Le premier Boeing venu, prêt à m’emporter n’importe où, de préférence « anywhere out the world » […], je l’aurais pris.
En rentrant à la guesthouse, j’ai croisé deux filles que j’avais rencontrées lors d’un voyage en train vers Nakhon Sawan. Bavarder était bienvenu. Elles partageaient d’ailleurs ma lassitude.
Nous avons passé aujourd’hui la journée ensemble. D’abord nous avons visité la résidence royale de Pu Ping Ha, où il n’y avait rien à voir. Dans la foule des touristes, nous nous sommes rendus ensuite au Wat Phra Suthep, d’où nous aurions dû bénéficier d’une « superbe vue sur Chiang Mai et ses environs » — malheureusement, les nuages étaient plus bas que nous, c’est sur une mer cotonneuse que notre œil a plongé. Bref, l’excursion (80 baths par tête) était quelque peu ratée... Cependant, le frais de la montagne, le plaisir d’avoir la tête hors de la ville ont un peu compensé cela.
En début d’après-midi, mes compagnes se sont renseignées sur les conditions d’un trekking. On part à douze, on est logé deux nuits par des tribus, on se lave une fois dans une cascade, on fait de l’éléphant et du bateau. Guide cool et sympa. Je résume et caricature très certainement. La promiscuité, les conditions de logement et d’hygiène surtout (la cascade suffit-elle pour trois journées à suer ?), les moustiques et même les éléphants, le côté « les-jolies-colonies-de-vacances » (avec Dang qui apportera sa guitare), et le voyeurisme tribal (c’est certainement intéressant de voir des Karen, mais qu’ai-je à leur dire ? — et je ne puis guère les regarder comme […] des poissons rouges dans un aquarium...) m’ont arrêté. Il semble d’ailleurs que l’on puisse faire son petit trekking individuel pour moins cher et en évitant certains avatars [sic] (à mes yeux) de la formule, et c’est plutôt pour cette solution, si je dois le faire, que je pencherai. Je me donne la journée de demain pour y réfléchir et décider.
L’après-midi, nous avons pris un bus et sommes allés au Wat Phra That Haripoonchaï de Lampoon. C’était beaucoup plus agréable, beaucoup plus calme (et beaucoup plus économique — 12 baths l’aller-retour !) que notre expédition de la matinée.
De retour à Chiang Mai, nous avons visité quelques magasins d’artisanat... Je me suis acheté une chemise que je trouve originale et amusante pour l’équivalent de soixante francs (impossible de marchander, d’ailleurs, mais c’est le prix des chemises dans les centres commerciaux — et même un peu moins —, de toute façon).
J’ai vu, également, chez un artiste pédé [en diable], une veste en lin
, qui, malheureusement, était trop grande pour moi. Il semble toutefois qu’il puisse m’en tailler une sur mesure. Le prix annoncé était, lui aussi, assez coquet ; j’ai pu rebattre de 200 baths, portant le tout à 350 F... Il semble que le marchandage soit dur chez ces artisans. Enfin, elle me plaît beaucoup, et je vais peut-être l’acheter.Ces visites futiles dans les magasins et mes achats — réel et virtuel — ont contribué eux aussi à une thérapeutique. Je vais beaucoup mieux, ce soir. Je dois ajouter, cependant, — mais ce n’est pas encore ma conclusion définitive — que la Thaïlande sait moins bien me « violer » que l’Indonésie (peut-être aussi parce que c’étaient les effets d’un premier « grand » voyage), que les gens y sont moins frustres [sic] que les Javanais, c’est-à-dire aussi moins authentiques et moins sincères, plus habitués à se jeter en pâture aux touristes, et donc plus intéressés. Ces phrases sont néanmoins écrites à Chiang Mai, où le touriste prolifère, pétaradant de son motocycle avec en croupe une Thaïlandaise comprise peut-être dans le forfait (je ne me suis pas renseigné ! ; la moto, ici, et ailleurs d’ailleurs, ne me paraissant m’être réservée — et quant au reste...)
Je pense à vous bien souvent, en buvant de la Singah beer. Votre monstre à écailles et yeux exorbités [une statuette à l'effigie de Garuda] me revient alors en mémoire... Je ne crois pas que je rapporterai de bouddha, car cela semble bien trop compliqué (passer par un bureau pour pouvoir exporter une image du Siddharta à Bangkok, recevoir une autorisation...) Le reste de l’artisanat ne m’attire guère — du moins de ce que j’en ai vu dans les prétendus magasins d’antiquités — et celui-ci est beaucoup moins diversifié qu’à Java...
Je joins à mon envoi une superbe carte postale d’une superbe Thaïlandaise, qui m’a été donnée par une vendeuse de timbres prétendument de collection (majorés de 50% pour cette raison, mais il paraît — ?! — qu’ils sont difficiles à obtenir dans les bureaux de poste) ; j’en ai acheté trois, un pour Lindsay, qui donne depuis quelque temps dans la philatélie, […] et un pour Pascal […].
J’ajoute, enfin, bien que cette lettre arrivera trop tard, que je souhaite à J.-M. un très agréable trente-huitième anniversaire, et que je regrette de n’avoir pu lui offrir, de manu, les disques, bien que, pour la circonstance, les « manu » de Pascal valent bien les miennes […].
Vous voyez, en quelques jours, j’ai beaucoup plus écrit que précédemment. C’est que je m’habitue au climat. Vous ne partirez peut-être pas en Chine sans recevoir une troisième lettre... Je vous envie, dans cette perspective particulière que vous croiserez là-bas beaucoup moins de touristes. A propos, je me suis fait dire beaucoup de bien du Népal. A méditer ?
J'ai sans doute été bien trop prolixe aujourd’hui — et vous laisse.
Je vous embrasse,
Romain
PS : Je vous laisse vierge la Thaïlandaise. Vous pourrez l’envoyer à qui vous déplaira. Ne faites pas comme M., qui n’aime pas Jeanne Moreau et à qui j’avais envoyé l’affiche de Jules et Jim, et qui me l’avait retournée...
PS (24-07) : J’ai trouvé pour le Watana’s guesthouse une piste toute fraîche... que je n’ai plus qu’à suivre, en espérant que ce n’est pas une fausse piste. Je vous raconterai dans ma prochaine lettre.