588 - Journal extime avec vue (sur l'Arno) (Florence, automne 2014) (2)
22 octobre
Je me rappelle le petit accent incrédule, hier, du cousin de Matteo me demandant si j’étais seul. (Et me revient aussi la phrase de N*** la veille comme quoi il n’est pas toujours facile de voyager seul...)
A l’aéroport, hier encore, j’ai songé que, cette fois, rien ne me ferait croire que je pourrais voir Julien !
Et pourtant. J’ai pulvérisé dans le creux de la main, entre pouce et index — mais aussi, sans l’avoir voulu, copieusement arrosé la manche gauche de ma veste en cuir — de l’eau de parfum Intense de chez Dior.
J’ai senti Julien longtemps sur moi. Jusqu’à l’oubli. (Faut-il penser : la satiété ?) (Ce n’était pas tout à fait le même parfum : ce parfum épicé était, sur lui, sauré des arômes tapageurs du fumeur. A moins que, ce 16 août, il eût trop fumé dans l’espace clos de sa petite auto ?)
Durant la nuit, je suis éveillé par un(e) moustique. Je m’exaspère — et l’insulte au féminin : seules les femelles piquent, paraît-il (paraît-elle ?) ! Je me réveille tout à fait et, la lumière allumée, je crois, en frappant dans mes mains, l’avoir tuée. Je la retrouve pourtant au matin. Elle ne m’a pas piqué pour autant ! (Faut-il croire les insultes efficaces ?)
Un couple de garçons, enlacé, traverse juste devant moi le Ponte Alle Grazie — preuve, faut-il la dire ?, qu’on a bien fait de le baptiser ainsi... — tout en s’embrassant et caressant lors de courtes stations...
Les statues — pour la plupart : leurs répliques, en fait ! — sont tout de même mieux dans les rues que dans les musées ! (Je n’ignore pas pour autant les méfaits de la pollution sur la blancheur des statues, et conviens assez bien qu’il fallait préserver David, il poverino, des pigeons et des fumées !)
Je me rends au Palais du Bargello.
Je prends d’autres photographies : celle d’un autre Bacchus, d'un saint Pierre — détail technique : il fallait bien retourner le saint sur sa croix pour enfoncer ses clous — ; celle d’une Paix d’une quinzaine de centimètres tout au plus en émail en ronde bosse et or et argent doré datant du début du XVe siècle.
Je vais ensuite voir Il Duomo. Je trouve le baptistère emballé — et le musée fermé ! Au moins la Porte du Paradis reste-t-elle accessible.
* * *
Je retourne ensuite à la gare routière. La compagnie auprès de laquelle je me suis fait délivrer un ticket n’y a pas d’officine. Je réussis toutefois à me faire imprimer la carte d’embarquement de mon vol de retour dans un service de reprographie sophistiqué — mais pas les vouchers. On me conseille de les enregistrer au format PDF, mon enregistrement en tant qu’archive Web n’ayant cours que sous logiciel de navigation Macintosh. (J’ai une pensée pour Aymeric.)
Je déjeune plus que frugalement. Le garçon m’en avait averti, mais je croyais avoir commandé cinq cannelloni — ce qui pour moi pouvait satisfaire à mes appétits gloutons — ; et ce sont cinq malheureux raviolis aux épinards et à la ricotta surnageant dans une assiette creuse qu’on me sert : s’ils sont excellents, ils ne me sustentent guère. Je commande alors un dessert, sous les espèces d’une variante raviolesque, mais sous une autre pâte plus sablée, fourrée au chocolat et nappée d’un coulis de fraises : c’est aussi très bon, mais peu roboratif, tandis que l’addition, elle, paraît gonflée et peser plus sur le portefeuille que l’estomac — et amène un léger sentiment dépressif, petit désagrément qui s’ajoute aux précédents.
Passant l’après-midi devant la vitrine d’un organisme destiné au logement d’étudiants à Florence, j’avise un très bel ordinateur familier, puisque du même modèle que le mien, et trônant bien visiblement à côté d’un monsieur assis à son bureau.
Je me paie le culot d’entrer et de demander à cet homme de m’imprimer contre rémunération les vouchers nécessaires à mon entrée au Offices et à l’Accademia. Mon interlocuteur, affable, s’exécute in petto, refusant ensuite de se faire payer — sauf (il joint le geste à la parole) à ce que je lui serre la main, ce que je fais très volontiers. Je me rappelle un instant l’amabilité des commerçants napolitains à qui j’avais eu affaire l’année précédente — et songe à Aymeric, qui n’aurait pas agi autrement. C’est plein de reconnaissance pour une humanité encore aimable que je me rends à Santa Croce.
Je trouve, en particulier, accroché en hauteur, ce Christ sauvé des eaux très beau — et j'achète une carte postale sur place.
Je rentre. Le soleil cuivre à point Florence, ses bâtiments élégants longeant l’Arno. Il fait cependant un peu frais du fait d’un vent du nord qui souffle.
Je fais quelques courses, achète de quoi faire un dîner correct : je mange une excellente tomate — en songeant à Etienne et à nos considérations maraîchères en traversant le marché d’Auvers-sur-Oise comme quoi les bonnes tomates se font rares tout en devenant moins chères —, des olives noires, une aubergine au parmesan achetée au rayon traiteur, une pomme, quelques carrés de chocolat gianduja... J’ai aussi acheté de quoi m’attaquer aux moustiques... Bref, je cède tout entier à l’extase du moment !
Je cède aussi à ce bonheur domestique. Car je n’ai aucune envie de ressortir. J’ai les pieds fourbus. J’ai plutôt envie de noircir du papier — ou de lire du papier déjà noirci. J’écris donc. Et lis ensuite.
(Les pages de ce carnet sont si fines que l’on en tourne parfois deux à la fois, en en laissant une vierge, pour une autre fois sans doute...)
Je me couche tôt. M’endors tôt. Et me réveille tôt. Mais, entre-temps, j’ai dormi plus de huit heures de sommeil...