600 - À pas parallèles, Paris (1)
À pas parallèles, Paris
(17-26 avril 2015 ; 2-6 juillet 2015)
ENVOI
Mon pied droit est jaloux de mon pied gauche. Quand l'un avance, l'autre veut le dépasser. — Et moi, comme un imbécile, je marche !
(Raymond Devos)
Pour bien faire, il y faudrait les deux relations de mes deux derniers séjours parisiens en regard. Sous la forme de deux textes en colonnes, affrontés. Deux colonnades promptes à se donner la réplique de par leur symétrie, même relative.
Je saurais faire sur mon traitement de texte habituel — malheureusement, pas ici.
Au vrai, j’ai l’habitude des textes tronqués.
Ainsi des fragments sur J.-M., sans leur pendant photographique (même si c’est seulement affaire de discrétion, en l’occurrence)…
Il faudra — à tout le moins — se contenter d’énoncés qui se succèdent, et compter sur le hasard des répons, la fertilité des engrènements, le hasard trouble des engrenages.
Et l’hommage est le même — rendu à ces cariatides vivantes, ces personnes pourvues de visages proprement émouvants, qui s’y connaissent et pourvoient en cantiques…
C’est par et dans la superposition que je me, que je les retrouve. (— Et moi, comme un bienheureux, je marche !)
A pas alternés [dont j’avais eu primitivement l’idée] n’est peut-être pas le meilleur titre pour dire cela. La citation de Raymond Devos vaut, également, tant pour la plaisanterie formidable qu’elle énonce que pour la vérité profonde qu’elle contient. Pourtant, elle ne dit pas justement les choses non plus. Des « pas alternés » pourraient référer à une alternance de pas dans une chorégraphie, mais celle-ci aurait toute chance de devenir répétitive.
— A moins d’un numéro de claquettes ? La figure en pourrait être idéale — et ramènerait à Duncan, à my American in Paris, introuvable là-bas depuis quelques temps ! (Cependant, le danseur idéal en est Fred Astaire, non pas Gene Kelly… tandis que, je l’ai dit, Duncan manque à l’appel !)
D’ailleurs, dans la mise au net de mes fragments et le développement de mes fusées, incartades, bousculades et excursus font déjà pièce à mon projet…
* * *
Jeudi 17 avril
17 avril
Levé tôt, mal dormi
Train 1 h en retard (défaut d’alimentation électrique)
Judith prévenue, dit ne pas ê prête, q ce retard l’arrange
Matin
Je suis levé tôt, après avoir mal dormi.
Le train, du fait d’un défaut d’alimentation électrique, s’arrête puis se traîne sur les voies, tant et si bien qu’il est en retard d’une heure quand il entre Gare de l’Est.
Entre-temps, j’ai prévenu Judith, qui dit ne pas être prête de toute façon — et que ce retard arrange.
SMS de Pascal
Proposent de venir dans l’Yonne, pas envie de passer tt 1 we festif même si je n’ai pas vu V*** depuis sept — m’étais reproché de n’avoir pas suffisamment parlé avec elle, plutôt qu’avec Patrice et Anne
Téléphonerai le soir, ton gentiment enthousiaste de P de savoir q je viendrai le dimanche matin — me fais là aussi le reproche de n’avoir js cette chaleur, cet enthousiasme p-ê exagéré au demeurant (ct savoir ?)
Je devais voir F. et Pascal durant le week-end. En mettant en service mon téléphone mobile, je découvre un SMS : ils ne viendront finalement pas à Paris et me proposent de passer le week-end dans l’Yonne. V*** est invitée. Je la verrais volontiers, d’autant que, au mois de septembre, alors que nous étions tous invités à fêter les cinquante ans de F. à T****, nous n’avions que peu échangé, le hasard faisant que, parmi la presque centaine de convives (plus de quatre-vingts en tout cas), Anne et Patrice se trouvaient plus souvent proches — et fort prolixes, de toute façon —, à tel point que je m’étais dit ensuite que je n’avais guère passé de temps avec elle. Et me l’étais reproché.
Je balance un moment. Je n’ai pas vraiment envie de passer tout un week-end en boissons et ripailles. Je pourrais ne venir que le dimanche à l’heure du déjeuner, dormir là, et repartir le lendemain. D’ailleurs, je pourrais également arguer avoir été pris au dépourvu, avoir déjà prévu mon samedi soir, une demi-mesure qui satisfait par ailleurs mon envie de voir Pascal et V***, ma curiosité de découvrir la maison où Pascal et F. habitent — n'ayant jamais visité les lieux, puisque, aux cinquante ans de l’un puis de l’autre, ils avaient loué un gîte pour loger et restaurer leurs invités, Pascal étant finalement trop accaparé pour me les montrer. Les descriptions que j’avais pu en avoir étaient jusqu’alors celles de J.-M., qui, lors des cinquante ans de Pascal, était demeuré (ce n’était pas la première fois) deux ou trois jours sur place : nous étions partis ensemble, et j’étais rentré à **** avec M. — qui, occupée, avait décliné l’offre de venir au moment de l’anniversaire de F. Et c’est l’absence de J.-M. qui a sans doute aimanté nos rapprochements intempestifs, Anne, Patrice et moi…
J’appelle donc en début de soirée. Le ton gentiment enthousiaste de Pascal quand j’annonce ma venue le dimanche matin me touche, et je m’adresse à nouveau des reproches : je n’ai jamais cette chaleur, cet enthousiasme, peut-être exagéré au demeurant, mon « moi social » étant assez mal dégrossi. — Je me rassure néanmoins : il y a plus de trente ans que Pascal me connaît, et il doit bien savoir cela !
* * *
Jeudi 2 juillet
rails menacés de fondre (co avait dit spirituellement Aymeric) du fait de la canicule
mais train à l’heure
Je reçois en début d’après-midi un courriel de la SNCF, qui entend se prémunir des effets possibles de la canicule :
Chère cliente, cher client,
Vous avez prévu de voyager avec SNCF le 02/07/2015 sur le train 2539 au départ de **** et à destination de PARIS EST.
Nous vous informons qu'en raison des conditions climatiques exceptionnelles, la circulation de votre train risque d'être perturbée. En effet, chaque été, des épisodes de canicule peuvent avoir des conséquences sur le matériel et l'infrastructure du réseau ferré (lié à la dilatation des voies d'un point de vue technique). Par mesure de précaution, des limitations de vitesse des trains peuvent être mises en place avec pour conséquences des allongements de temps de parcours.
Je m’amuse du message, non pas tant par sa cascade de « de » que parce que, le dimanche, Aymeric, anticipant sur ma venue, m’avait envoyé ces quelques lignes spirituelles :
D'ici là souhaitons également que le système financier européen ne s'effondre pas, qu'un illuminé ne fasse pas sauter quelque site dangereux et que le canicule annoncée ne fasse pas fondre les rails de chemin de fer. La conjugaison des trois semblant toutefois peu probable.
Quand j’arrive à la gare, le train 2539 est en place — et c’est à l’heure tout aussi bien que son fuselage pénètre les quais couverts désormais bien familiers de Paris Est dont j’ai un jour photographié les toits, évitant ainsi que se reproduise le désagrément d’un retard — tel qu’en juillet l’an dernier.
Quand j’arrive dans l’appartement de F. et Pascal, je vois deux pantalons de jogging sur le lit, des serviettes sur les chaises
Ils doivent être encore à Paris, ce qui reproduit dans ses grandes lignes mon arrivée de la fois dernière chez eux
Je laisse un mot avant d’aller faire les courses.
C’est une autre sensation de déjà vu, quoique moins forte que la fois précédente en octobre avant mon départ à Florence (j’avais ce soir-là rendez-vous aussi avec Aymeric), qui me saisit quand je me retrouve dans l’appartement de F. et Pascal. : je vois, en effet, deux pantalons de jogging sur le lit de la chambre, ainsi que des serviettes sur les chaises du salon. Sans doute Pascal et F. ont-ils prolongé leur séjour à Paris, ce qui reproduit cette fois où s’étaient chevauchées nos dates, Pascal ayant oublié que je venais, et F. et lui partis à Bruxelles, si bien que je m’étais demandé qui se trouvait là et avec qui je devrais cohabiter, dormant alors dans le convertible du salon sans trouver personne encore le lendemain, et mes SMS ne leur parvenant pas puisqu’ils se trouvaient en Belgique.
Comme il faut que je me ravitaille en denrées diverses, j'envoie un SMS et laisse un mot au cas où ils rentreraient entre-temps.
A peine rentré, ils arrivent avec des bagages : ils reviennent de Milan, où ils sont allés visiter l’Exposition universelle (ce que fera bientôt Fabrice, m’a-t-il dit, la dernière fois que je l’ai vu, le 23 juin très exactement)
Ils sont pressés, veulent partir avant les bouchons sur le périphérique
Très peu de temps après que je suis revenu, j’entends une clé s’agiter dans la serrure. Je me dirige vers la porte d’entrée. F., qui paraît alors, sursaute à ma venue. Je lui adresse des paroles d’excuse un peu contrites : je n’avais pas fermé à clé, volontairement, afin d’avertir que j’avais en quelque sorte colonisé déjà l’appartement. La silhouette de Pascal se profile dans l’escalier, souriant et, lui, beaucoup plus détendu, écartant mon embarras moins d’avoir un instant effaré F. que de m’être trouvé là en tiers inattendu. Ils ont d'ailleurs reçu mon SMS à leur arrivée à l'aéroport, et F. ne s'est laissé surprendre que parce qu'il ne s'attendait pas à me trouver là.
Ils me disent rentrer de Milan, où ils sont allés visiter l’Exposition universelle — ce que feront bientôt Fabrice ou S*** et J*** : faut-il penser que c’est là une destination particulièrement courue ? je ne suis pas certain, après avoir vu un reportage télévisé sur le sujet, que cela m’intéresserait au plus haut point…
Je leur pose d’autant moins la question qu’ils me disent être pressés de rentrer chez eux dans l’Yonne avant que des bouchons se forment sur le périphérique…
Nous convenons tout de même — c’est Pascal qui le propose — de dîner ensemble en juillet quand je serai installé chez Judith.
Ils emportent serviettes et pantalons et la cage d’escalier les avale bientôt, souvenir étrange, à peine palpable, tel celui d’une conversation de bord de trottoir…