597 - Journal extime avec vue (sur l'Arno) (Florence, automne 2014) (10)
Paris, 30 octobre
Je passe près de dix minutes au téléphone avec T. pour déterminer un lieu où se retrouver le soir : j’oublie toujours par quelles voies complexes il faut passer avec lui pour des choses qui me paraissent banales ou bénignes — et qui ne le sont pas pour lui…
Quel joli temps cet après-midi ! J’écris ces trois lignes sur un banc face à la Comédie-Française (où je n’ai jamais mis les pieds : je ne crois n’aimer pas beaucoup le théâtre, ni a fortiori le théâtre « classique »… et si je vais volontiers dans les musées — mais plutôt les musées des Beaux-Arts que les musées d’histoire ou de civilisation… —, je ne pense jamais à assister à des spectacles ou des concerts quand je suis à Paris — peut-être parce que je préfère réserver mes soirées aux gens, aux amis…)
Pour l’heure, j’ai rendez-vous avec Patrice pour l’exposition au Louvre sur le Maroc (Le Maroc médiéval. Un empire de l'Afrique à l'Espagne.)…
[Le carnet s’achève ainsi. Je complète donc avec l’album photographique, cette mémoire supplétive, ainsi que le peu qu’il me reste de souvenirs :]
Une fois parcourue l’exposition sur le Maroc — je suis un peu déçu, la splendeur ornementale se voit surtout in situ sur les bâtiments —, je profite des lieux pour revoir tout spécialement les sculptures et peintures de la Renaissance italienne, façon de réactualiser mes souvenirs encore frais de Florence…
Je photographie, en ratant la plupart de mes prises de vue, les deux captifs de Michel-Ange (l’Esclave mourant et l’Esclave rebelle)
des fresques de Boticelli,
retrouve avec plaisir le jeune homme au gant du Titien,
puis, dans le département réservé aux “arts nègres” (je crois bien qu’on ne dit plus ainsi…), certaine statue dédiée à Gou, la divinité du fer et de la guerre, que je salue à l’instar d’un illustre prédécesseur…
mais aussi une déposition du Christ de Ribera…
un Mercure volant de Jean de Bologne…
bref, tout ce qui, pour avoir été inquiété la veille de pertes immédiates, ravive ma mémoire la plus récente de ce que j’ai pu aimer à Florence, en trouvant évidemment un peu pauvre le Louvre après tout ce que j’ai pu voir à foison sur place.
* * *
Comme convenu le matin même, je vais pour l'attendre devant l’Opéra-Bastille, sous les Oréades de Bouguereau, qu’il m’avait amusé de lui envoyer, trouvant l'affiche un peu racoleuse — pour ne rien dire du peintre lui-même, ne sachant pas très bien comment faire le départ entre ces joliesses polissonnes dont le bourgeois devait s’émoustiller et d’autres piments « orgiaques et mélancoliques » — en fait, autrement plus raides —, entre ce talent de faiseur et — mettons — les visions d’un Delacroix retraçant la mort de Sardanapale.
Alors que je vais donc du Louvre à Bastille sur la ligne 1, le métro s’immobilise un moment. Je préviens T. d’un retard probable. Dans la rame, la foule est dense et mérite son nom de « presse ». Il fait chaud, et c’est un soulagement quand on repart. Je reçois un SMS : « Où en es-tu ? », alors que je me trouve devant l’Opéra-Bastille. J’achève à peine ma réponse — « Au bas des marches » — que j’aperçois T., désorienté, d’autant que beaucoup de gens sont assis là sur cet escalier.
Nous dînons ensuite dans ce restaurant rue de Lappe où je sais qu’il aime aller…
Nous sommes contents, comme les fois précédentes, de nous retrouver à Paris plutôt qu’à **** : la routine s’en trouve en quelque sorte transfigurée… (Elle saura nous rattraper bientôt, non pas tant sous les espèces de nos dîners hebdomadaires à jour fixe que parce que le labeur nous aura repris — et les jours de plus en plus en courts, et la certitude de glisser vers l’hiver…)
J’ignore de quoi nous avons pu parler, sinon de nos propres séjours, le sien à Paris, le mien à Florence, mais me souviens que nous étions tombés d’accord sur l’exposition Emile Bernard…
Nous prenons un dernier verre à la terrasse d’un café proche de Bastille, où nous étions allés lors de mon précédent séjour, B. et moi, trouvant les lieux plus tranquilles qu’au bas de la rue de la Roquette, et les serveurs, plus empressés et beaucoup plus enjoués.
* * *
Le lendemain, j’envoie ce SMS à T. :
Rentré à ***. Ciel couvert. 15 petits degrés. Ai remis du chauffage ! Bonne fin de séjour parisien et à bientôt.