604 - À pas parallèles, Paris (4)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas parallèles, Paris

(17-26 avril 2015 ; 2-6 juillet 2015)

 

Nuit du 17 au 18 avril 2015

 

Insomnie : repenserai à ce q Judith m’a dit des jeux vidéo ; me félicite rétrospectivement de ce q mes parents n’avaient pas la TV (J et N ne l’ont pas non plus) ; soirées chez les voisins ; leur fille, Odile, jolie tête, mais plate comme une limande, un corps plutôt ingrat ; l’aînée, célibataire, Cécile (parents amateurs de rimes), un peu brusque mais très certainement attentive, déjà voûtée ; le père, effacé, un gd échalas sec ; la mère bavarde, ses commentaires : « un vrai nez de juif » ; je m’étonnais d’où elle pouvait tirer cette science physiognomique (l’onomastique l’aidait sûrement) : des gens d’un autre âge, dont les enfants paraissaient vieux (Odile devait secrètement en souffrir) ; la bêtise de la mère — pourtant accueillante et gentille — devant la première demi-heure de Reflets dans un œil d’or (quel âge avais-je ? treize ou quatorze ans ? déjà impressionné par l’univers de Carson McCullers — en ai parlé dernièrement à T, d’où p-ê l’anamnèse)

 

Durant la nuit, je repense — est-ce cette configuration d’une famille à quatre qui a autorisé pareille anamnèse ? — à ce que m’a dit Judith de la place qu’ont pris les jeux vidéo dans l’univers de Lucien — jeux qu’elle et N., ces parents sans téléviseur, n’ont pu lui interdire : ordinateur et console ont fait leur entrée naturelle en la maison sans désormais qu’on sache les en déloger. Une fois de plus — car j’ai souvent songé à cela —, je loue rétrospectivement mes parents de n’avoir acquis la télévision que bien après le départ de leurs enfants, l’hostilité de mon père envers la machine à décerveler nous étant familière — et, comme nous n’avions pas goûté du fruit défendu, facilement acceptée.

Nous étions autorisés, cependant,  à partir d’un certain âge, à la regarder chez les voisins presque chaque soir, après avoir dîné, tout au plus une heure — si bien qu’il est de nombreux films dont je n’ai connu que les vingt premières minutes.

Ma sœur et moi étions devenus les amis d’Odile, cette adolescente comme Lucien un peu trop vite grandie, plate comme une limande, mais qui avait une jolie tête et se montrait toute douce et gentille, alors que nous aimions sans doute un peu plus la séance télévisée que nous valait notre relation avec elle qu’Odile elle-même (moi en tout cas, car ma sœur était malgré tout plus proche d’elle de par une complicité de filles, qui parfois m’excluait) — pour ne rien dire de ses parents, que nous trouvions légèrement ridicules.

Le père, très effacé, travaillait dans une banque. Très grand, très sec, s’il avait, comme on pouvait l’imaginer, des responsabilités dans sa vie professionnelle, cet échalas avait laissé sa femme devenir le potentat de la parole. Car elle était bavarde et régnait chez elle, cette femme bien mieux portante que lui qui commentait sans se lasser les actualités devant lesquelles la petite famille achevait de dîner — en un tableau invariable que nous découvrait Odile après qu’elle nous avait ouvert la porte.

Devant la « petite lucarne », comme on l’appelait alors, les commentaires  de la mère étaient assassins. Je me souviens en particulier de la détestation qu’elle avait de Juliette Gréco (qui m’était sympathique en revanche, puisque que je savais que mon grand-père paternel l’aimait bien). Les remarques fusaient, à contretemps de ce que pouvaient dire les protagonistes du petit écran, leur raison d’être et de parler n’étant le plus souvent appréhendée qu’à travers leur physique, ou, tout bonnement, — je m’en rends compte aujourd’hui — leur étiquette politique. Madame J*** n’avait pas son pareil pour railler ceux qu’elle n’aimait guère, ou pas du tout, et son exclamation favorite était « un vrai nez de juif ! ». Cela d’ailleurs ne laissait pas de m’étonner : où avait-elle acquis pareille science physiognomoniste ?

Je devine à présent qu’elle devait se fier à l’onomastique, des bandeaux indiquant l’identité des intervenants. Aussi, dans ce que je ne comprenais pas être de l’antisémitisme aussi primaire que sa haine des communistes ou des hommes et femmes politiques de gauche, quelque Lévi ou quelque Cohen déclenchait-il la ritournelle sur tel trait prétendument sémite de la part de cette harpie en tablier (quand Monsieur J***, la cravate dénouée, avait conservé son pantalon gris, sa chemise et ses bretelles, mais chaussé des charentaises, seule véritable décontraction que devait lui autoriser sa femme). Elle était pourtant très accueillante envers les enfants de ses voisins (alors que je savais que ma mère évitait le plus possible de converser avec elle, tâchant d’écourter ses redoutables bavardages — et couper court à ses sottises).

La fille aînée, Cécile — ces J*** avaient un sens de la rime dans le choix des prénoms de leurs filles  —, beaucoup plus âgée que nous l’étions, quoique travaillant pour une compagnie d’assurances, vivait encore chez ses parents. Cette jeune femme célibataire au physique assez ingrat, qui portait d’épaisses lunettes de myope, très grande elle aussi, large d'épaules, et qui se tenait courbée, se montrait souvent brusque en gestes et paroles. Cependant — je l’ai revue plusieurs fois après que ses parents, Monsieur J*** à la retraite, avaient déménagé —, elle ne manquait ni d’attention ni de prévenance, envers sa sœur en tout premier lieu, accessoirement envers nous, ni même de pénétration, ainsi que je m’en rendrai compte beaucoup plus tard.

Je me souviens, enfin, des bêtises débitées par Madame J*** devant la première demi-heure du film de John Huston, Reflets dans un œil d’or. C’est là que j’ai pénétré pour la première fois ce qu’avait d’obtus l’esprit de cette femme confronté à l’univers de Carson McCullers — celui-ci, si je n’en saisissais pas encore tous les arcanes, semblant m’adresser ce soir-là un signe tout particulier (quel âge avais-je ? treize ou quatorze ans sans doute), impressionné déjà par les agitations troubles qui paraissaient saisir les personnages du récit, lesquels, à leur manière, je le pressentais donc, me ressemblaient.

En tout cas j’attendrai quelque temps encore pour lire le roman et voir le film en entier. (C’est peut-être une conversation récente avec T. où je lui parlais de Carson McCullers qui a fait sourdre cette anamnèse…) Et j’aurai bientôt le loisir d’aller enfin avec Nelly autant que je le voudrai (c’est-à-dire autant que je le pourrai) au cinéma…

 

604 - À pas parallèles, Paris (4)
604 - À pas parallèles, Paris (4)

 

Insomnie. Je remâche. Tellement peu de joie depuis août (point nodal). Le dénigrement de mon travail. Le peu de lovers (Andy seul).

 

C’est une insomnie durant laquelle je mâche et remâche, ce qui, à tout prendre, vaut mieux que de mauvais rêves. L’idée, toutefois, que depuis août il s’est produit si peu de joie — point nodal auquel l’esprit revient comme une phalène contre la lampe, point de tristesse à vrai dire qui étend encore son ombre sur bien des heures et bien des jours sans que j'y puisse opposer de résistance, ce qui décuple encore l’impression d’un chagrin, lequel a bien des parentés avec celui qui nous traîne dans les jambes et nous encombre après une rupture, empêchant de marcher — cette idée joue, dans la partition, telle une obsession…

Je songe aussi au peu de lovers. Andy seul a réussi à me distraire, très gentiment d’ailleurs, durant toute une après-midi [je suis incapable de m’en souvenir, mais ce devait être à la fin février] : de lui seul j’ai gardé un souvenir — ce dont le prénom s’accompagne (parce que « Andy seul », cela sonne très bien !)…

*  *  *

3 janvier juillet

[lapsus évidemment significatif : j’ai écrit 3 janvier, façon de convoquer l’hiver en pleine canicule !]

 

Matin

J’ai dormi nu, sans drap. Je m’éveille à l’aube pour constater que j’ai un vis-à-vis dans la cour intérieure de l’immeuble, qui a, fenêtre ouverte, vue plongeante sur le lit.

Je m’habille dans la fraîcheur du petit matin pour aller aux toilettes et fermer la fenêtre.

 

Plus tard, alors que je prends le petit déjeuner et lève machinalement les yeux sur les étages supérieurs de l’immeuble en face, je surprends un jeune homme nu, de dos, à l’anatomie agréable.

Décidément, il fait chaud.

Je songe que, si j’étais chez moi, je ne serais pas ainsi toutes fenêtres ouvertes, exposé à la vue des riverains. Mais, ici, cela ne me paraît pas porter à conséquence d’être vu en pantalon de pyjama (celui acheté pour Berlin) et tee-shirt.

 

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