607 - À pas parallèles, Paris (6)

Publié le par 1rΩm1

 

 

À pas parallèles, Paris

(17-26 avril 2015 ; 2-6 juillet 2015)

 

Dimanche 19 avril

Matin

Dans ce train qui me mène de Paris à T***, je songe que, finalement, la soirée avec N*** m’a pacifié. Voire : faut-il penser qu’elle nous a redonné, à l’un comme à l’autre, la paix ?

 

Midi, T***

Je ne vois tout d’abord pas Pascal lorsque je sors de la gare : j’erre un instant face au bâtiment, sur le parking ; puis je l’aperçois — et le vois qui, sans me voir, me cherche des yeux.

Il est seul, flanquant sa voiture. Il arbore des lunettes, sans le cordon qui m’avait inspiré de rentrer chez un opticien à Naples : sans doute sa vision a-t-elle baissé, imposant un port plus constant de ses bésicles.

Durant le trajet, qui mène de la gare de S*** à T***, nous échangeons d'assez pauvres banalités.

Se trouvent dans la maison de Pascal et F. dix-sept personnes, une demi-douzaine d’enfants, d’autres viendront. On s’active à préparer à déjeuner. Je me rends utile... en épluchant une pomme !

 

Nous mangeons dehors, malgré le vent frais qui sévit.

 

Je suis bien content de voir V***, trop peu vue en septembre, au moment de l’anniversaire de F. Nous devisons et rattrapons un peu le temps perdu.

 

Je mesure combien les gens sont encore alcoolisés de la veille, F. notamment, dont la pupille est étrécie. Aussi suis-je content de n’avoir pas été là dès le samedi soir : que faire, en effet, dans ce genre de circonstances, sinon manger et boire boire et manger ? puis manger et boire-boire — pour ainsi dire : entre-temps !

 

Il fait beau, bien bleu sur nos têtes, en dépit du vent qui gifle un peu. Je vais jusqu’à l’église, singulière, que je n’avais jamais remarquée, n’étant venu dans ce jardin que le soir où F. et Pascal avaient tiré ce feu d’artifice pour l'anniversaire de F., celui de son oncle, et pour leur mariage quelques temps auparavant...

Le lieu est fermé. Mais j’en fais le tour, admirant le toit de petites tuiles.

J’en fais le tour photographique, également. Un cliché s’achève par un non-lieu visuel — ou je ne sais — offrant un bandeau qui sera propice à d’autres possibles inscriptions…

 

607 - À pas parallèles, Paris (6)
607 - À pas parallèles, Paris (6)
607 - À pas parallèles, Paris (6)

Les mère et frère de Pascal vivent dans ce village, les parents de F. aussi. Chacun chez soi. Je ne sais si j'aimerais cela, mais, après tout, mes parents habitent désormais ****... Il existe, cependant, une règle d'or, tacite, entre nous : celle de jamais surgir à l'improviste.

Soir

Nous allons à pied chez les gens qui nous invités à dîner, Pascal et moi, tout en nous parlant — mieux, bien mieux que le matin. Nous évoquons la Birmanie.

Entre-temps, V*** est repartie.

 

Il fallait — bien sûr ! —un drame familial à ce genre de fête... Un frère, celui chez qui nous passons la soirée, a congédié sa sœur, qui l’avait insulté, je n’ai pas su comment ni compris pour quelle raison. Désespérée, la sœur appelle tour à tour le portable des uns et des autres. L’un, (trop ?) compréhensif, finit par répondre…

Un jaloux, par ailleurs, entre en action : il appelle régulièrement son ami, qui se trouve parmi nous, pour savoir où il est. Je ne puis m’empêcher non plus de remarquer que F. et Pascal échangent quelquefois des mots peu amènes. C’est pourtant vraiment la première fois que je le remarque.

 

20 avril

Matin

Je suis levé bien avant Pascal et F. Je me fais à déjeuner, parcours le rez-de-chaussée. J’avais constaté qu’il y avait beaucoup de livres dans la chambre verte où j'ai dormi ; il s’en trouve également beaucoup à divers endroits dans la maison. L’absence d’ouvrages à Paris ne s’explique donc que par des allers-retours et l’exiguïté des lieux.

Dans la salle de bains, je ne trouve pas le moyen d’actionner la douche et me livre, le ridicule bu, à des ablutions sommaires devant le lavabo.

Quand Pascal est levé, il me fait visiter les étages. La maison est grande et belle, pleine de beaux objets, et je sais aussi que Pascal a plaisir à me la montrer, même si je fais très peu de commentaires. En vérité, et nous le savons, nous menons de lui à moi de savants pointillés.

(La veille, avant que n'éclatent les drames que j'ai brièvement mentionnés, il m'a présenté à plusieurs personnes comme « un très vieil ami1 ». F., qui n'avait, semble-t-il, pas dessoûlé, s'est montré sardonique quant à cette formulation. Je ne crois pas que j'étais visé, mais plutôt la sentimentalité dont Pascal peut faire preuve quelquefois. En fait, je la partage et en comprends assez les ressorts.)

 

Nous déjeunons tous les trois, F., Pascal et moi, dans le jardin des restes de la veille.

Pascal, ensuite, m’emmène à la gare.

 

Sur le quai de la gare d'Austerlitz à Paris, je verrai le jaloux de la veille et son ami, le premier assez peu aimable à mon endroit, tant et si bien que je ne ferai guère non plus d’efforts pour relancer la conversation…

 

-=-=-=-=-=-

1 (Je ne me souviens pas exactement de la répartie qui m’est venue. Mais elle jouait sur ces adjectifs qui prennent un tout autre sens selon qu’on les place avant ou après le substantif qu’ils qualifient. Ainsi de « vieux ».

En vérité, je n’étais pas très loin du sentiment qui saisit le narrateur du Temps retrouvé et qui présidait sans doute dans l’esprit même de Pascal en me présentant, la situation elle-même n’étant pas très éloignée :

Alors […] je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne. Celles-ci me furent, du reste, proclamées coup sur coup par des paroles qui à quelques minutes d'intervalle vinrent me frapper comme les trompettes du Jugement. La première fut prononcée par la duchesse de Guermantes ; je venais de la voir, passant entre une double haie de curieux qui, sans se rendre compte des merveilleux artifices de toilette et d'esthétique qui agissaient sur eux, émus devant cette tête rousse, ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelle noire, et étranglé de joyaux, le regardaient, dans la sinuosité héréditaire de ses lignes, comme ils eussent fait de quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s'incarnait le Génie protecteur de la famille Guermantes. « Ah ! me dit-elle, quelle joie de vous voir, vous mon plus vieil ami. » Et, dans mon amour-propre de jeune homme de Combray qui ne m'étais jamais compté à aucun moment comme pouvant être un de ses amis, participant vraiment à la vraie vie mystérieuse qu'on menait chez les Guermantes, un de ses amis au même titre que M. de Bréauté, que M. de Forestelle, que Swann, que tous ceux qui étaient morts, j'aurais pu en être flatté, j'en étais surtout malheureux. « Son plus vieil ami ! me dis-je, elle exagère ; peut-être un des plus vieux, mais suis-je donc... » À ce moment un neveu du prince s'approcha de moi : « Vous qui êtes un vieux Parisien », me dit-il. Un instant après on me remit un mot. J'avais rencontré en arrivant un jeune Létourville, dont je ne savais plus très bien la parenté avec la duchesse mais qui me connaissait un peu. Il venait de sortir de Saint-Cyr, et, me disant que ce serait pour moi un gentil camarade comme avait été Saint-Loup, qui pourrait m'initier aux choses de l'armée, avec les changements qu'elle avait subis, je lui avais dit que je le retrouverais tout à l'heure et que nous prendrions rendez-vous pour dîner ensemble, ce dont il m'avait beaucoup remercié. Mais j'étais resté trop longtemps à rêver dans la bibliothèque et le petit mot qu'il avait laissé pour moi était pour me dire qu'il n'avait pu m'attendre et me laisser son adresse. La lettre de ce camarade rêvé finissait ainsi : « Avec tout le respect de votre petit ami, Létourville. » « Petit ami ! » C'est ainsi qu'autrefois j'écrivais aux gens qui avaient trente ans de plus que moi, à Legrandin par exemple. Quoi ! ce sous-lieutenant, que je me figurais mon camarade comme Saint-Loup, se disait mon petit ami. Mais alors il n'y avait donc pas que les méthodes militaires qui avaient changé depuis lors, et pour M. de Létourville j'étais donc, non un camarade, mais un vieux monsieur ; et de M. de Létourville, dans la compagnie duquel je me figurais, moi, tel que je m'apparaissais à moi-même, un bon camarade, en étais-je donc séparé par l'écartement d'un invisible compas auquel je n'avais pas songé et qui me situait si loin du jeune sous-lieutenant qu'il semblait que, pour celui qui se disait mon « petit ami », j'étais un vieux monsieur ?

— non bien sûr qu’il y eût autant de cruauté ni d’ironie situationnelle entre nous, en dépit de ce que semblait insinuer F., d’autant que je suis certain de l’affection de Pascal, à laquelle ajoute encore la disparition de J.-M. Il y entrait néanmoins peut-être un peu de comédie mondaine. Il y entrait plus encore de cette volonté de se mentir à soi sur le temps qui a passé, ce dernier esquissant par compensation la fidélité à soi, la pérennité des amitiés, quand tout a pu pourtant se transformer — c’est-à-dire s’aliéner ou se travestir dans cette page de Proust…

Aussi ne suis-je pas loin de penser que, plutôt que d’y voir une exagération partiellement insincère, la formulette était vouée à procurer quelque rassurement ! Un « vieil ami », cependant, je voudrais pouvoir l’être — pour Pascal et quelques autres personnes —, sans qu’il y ait jamais lieu de suspecter aucune forfanterie, aucune hyperbole entre eux et moi, même si, toute réflexion faite, je n’aurais pas envers Pascal employé cette expression, du moins pas pour le présenter à quiconque… Mais ma nullité sociale n’est plus à dire, et je me la reprocherais plus facilement que ne me viendrait l’idée de fustiger chez autrui le bénéfice que lui apporte avant tout telle ou telle façon de dire, n’ayant pas, je crois, la raideur des moralistes traquant sans relâche les détours de l’amour-propre…)

 

*  *  *

[d'une teneur et d'une tonalité (cette fois) tout autres :]

4 juillet

Matin

Il fait trop chaud pour repasser. C’est pourquoi j’achète une chemisette bien soldée.

J’ai vu qu’une de semelles de mes mocassins gris est prête à se déchirer. Je recule devant l’achat de chaussures un peu trop chères à mon goût.

J’achète, en revanche, quelques paires de chaussettes, dont l’une, quoique un peu grande, sera assortie à la couleur de la chemisette que je viens d’acheter.

Beaucoup de gens insoucieux des autres, qui marchent en aveugles comme aimantés par les marchandises et vous bousculent, sans prononcer la moindre parole d’excuse, dans ce grand magasin. Si je m’y attarde alors que je n’ai objectivement besoin de rien, c’est en raison de la climatisation…

 

Après-midi

Comme, durant la nuit, j’ai mal dormi du fait de la chaleur, j’ai fait une sieste. Dormi lourdement et longuement. Dans mon assoupissement, j’ai régurgité une remontée acide, qui m’a réveillé très désagréablement. Il faisait toujours aussi chaud.

 

En allant à la cinémathèque, — effet de la température peut-être, qui tend à ramollir les cerveaux —, comme le matin, dans ma distraction, j’ai laissé passer la station de métro, et j’ai dû descendre à la suivante pour rebrousser chemin.

607 - À pas parallèles, Paris (6)
607 - À pas parallèles, Paris (6)

 

Je vois avec plaisir Falstaff d’Orson Welles. La climatisation dans la salle est telle qu’il y fait presque froid. Si la canicule s’installe, je vais faire comme en juillet 2013 sans doute, la double programmation du moment des films dans lesquels joue Ingrid Bergman — même si je lui préfère la noirceur de Bette Davis — et ceux d’Orson Welles n’étant pas pour me déplaire.

 

Rentré dans l’appartement, je constate qu’il y fait plus chaud que dehors. J’écris toutes fenêtres ouvertes, alors qu’hier l’effet en était moins probant.

 

Soir

La touffeur se fait insupportable.

Julien m’a répondu. Mais le différé est tel qu’à ce rythme je doute de pouvoir lui faire accepter l’idée de le voir quand j’irai à **** !

Duncan, quant à lui, joue les mutiques, ce qui, si cela m'agace beaucoup, ne m’étonne guère…

 

Tout ceci est d’une nullité tellement assourdissante que j’aimerais avoir passé le mur du son… Me revient en mémoire ce que me disait N*** la veille même — qu’il parvenait très bien à se passer de voir des gens…

Et, pour confirmer ses paroles, je me livre à toutes sorte de chassés-croisés qui ne mènent nulle part.

Même Bruno s’y met !

 

Nuit du 4 au 5

Par une telle chaleur, on n’est plus rien qu’un organisme hébété.

 

Dimanche 5 juillet

Je consacre ma matinée à écrire. Puis travaille quelque temps. La température est enfin plus supportable.

607 - À pas parallèles, Paris (6)

L’après-midi, je vais revoir les Enchaînés, le type même du film dont on se rappelle avec une très grande netteté certains plans. Les effets appuyés en appellent à la complicité, consentante et amusée, du spectateur, qui, pas plus que le réalisateur, n’a cure de la vraisemblance...

Entre deux séances — j’enchaîne avec Indiscret de Stanley Donen, avec les mêmes Cary Grant et Ingrid Bergman —, il a plu.

 

En étrennant la chemisette bleue achetée la veille, je regrette de ne pas avoir acheté la même à N***. Pourquoi, pour un cadeau, ne pas penser à un vêtement — plutôt que laisser sa mère l’habiller, comme il m’a dit qu’elle faisait souvent ?

Mais en aimerait-il la couleur ? Mais acheter des vêtements, n’est-ce pas assimilable à quelque privauté ?

 

Soir

J’ai une assez longue conversation avec Julien, que j’informe de ma venue à ****. Il laisse entendre que nous nous verrons, même s’il travaille le lendemain.

Je ne serais toutefois pas surpris s’il reculait au dernier instant. Je lui ai expliqué que j’avais loué le studio où je serai afin de respecter son vœu de discrétion.

C’est moi qui mets fin à la conversation, remettant la suite non pas au jour dit mais à un moment ultérieur, lorsque l’idée de me voir se sera bien implantée chez lui. J’espère n’être pas naïf — même si je sais combien deux principes directement contraires peuvent s’affronter en lui, j’ai, par deux fois, écarté toutes les objections qu’il m’opposait, au nom du plaisir qu’il pourrait se donner (mettant aussi à profit son étonnante jalousie…) et ainsi pu triompher de ses incroyables résistances (si j'ai forcé sa nature à ce propos, je n'ai pas moins en l'espèce violé la mienne...).

 

J'ai, également, une conversation avec Julien X, qui ne semble guère se rappeler notre rencontre...

 

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