608 - À pas parallèles, Paris (7)
21 avril
Matin
Je me rends à Orsay, pour l’exposition consacrée à Bonnard. Il s’y trouve beaucoup de monde, mais — ce qui ne manque jamais de m’amuser — agglutiné surtout devant la littérature rupestre : les gens passent en effet bien plus de temps à lire les inscriptions murales inutilement copieuses et souvent redondantes qu’à regarder les toiles proprement dites !
J’achète une carte postale pour l’anniversaire de S. le lendemain.
Je visite aussi l’exposition Du Liberty au design italien, qui fait pendant à celle vue samedi à l’Orangerie. Je me montre plus sensible aux premières salles, qui concernent l'ameublement et les arts décoratifs. Voire : de moins en moins convaincu, j’accélère ma progression (accélérant ainsi aussi la chronologie) d’un lieu l’autre à mesure que je me dirige vers la sortie, vérifiant les accointances du futurisme et du fascisme, les objets me plaisant de moins en moins, tandis que je ne peux m’empêcher de songer que certaines toiles sont furieusement laides, d’ailleurs sans doute voulues comme telles…
Après-midi
Je le consacre à un lover, qui habite à Montreuil dans une HLM, et vers qui le trajet s’avère plus long que pour aller en Bourgogne l’avant-veille !
Dans son salon, la télévision est allumée sur une chaîne thématique du câble consacrée à des exploits automobiles. Il fait très chaud dans l’appartement.
Je m’assieds sur un canapé près de lui, et nous devisons après qu’il m’a servi un verre d’eau minérale gazeuse.
Ce Christophe a une jolie tête, des yeux clairs, et a l’air beaucoup plus jeune qu’il n’est en réalité (quarante-et-un ans).
C’est un célibataire endurci, qui habite avec sa mère une partie de l’année — en hiver, m’explique-t-il, ce qui lui permet de bénéficier du chauffage collectif.
L’endroit est un peu triste, à l’image de ce garçon un peu triste, un peu fruste, que je trouve attirant et vers qui j’ose bientôt un geste — peut-être une caresse à travers ou sous le tee-shirt.
Il fait encore plus chaud dans la chambre où il m’entraîne bientôt…
Après l’acte, il me demande : « Tu n’as pas de maladie ? ». Cette demande intempestive me paraît pour le moins tardive, et, tout en le rassurant, je lui en fais la réflexion ; il me dit, un peu piteux en même temps qu’à demi rassuré encore et comme pour se justifier : « Tu as le sexe un peu rouge. » J’en ai vu de plus rouges ou de plus violacés ; mais je ne souffle mot ; cette réponse et cet examen de mes organes improducteurs post operandum m’amuse de toutes les façons — ce que je tais d'ailleurs aussi car je ne voudrais pas qu’il pense que je me moque de lui…
En quittant l’appartement et en descendant l’escalier, je m’aperçois que j’ai oublié mon blouson. Je remonte donc les marches pour le reprendre. Dans l’entrée de l’immeuble, je lis une pancarte toute pédagogique avertissant que, si l’on n’aime pas les cafards, il est préférable d’éviter de laisser ses ordures n’importe où dans la cage d’escalier, ce qui me laisse un instant songeur…
Je prends le bus jusque Mairie de Montreuil, cheminant interminablement… Il est plus de 17 heures quand j’arrive à Montparnasse. Je vais prestement jusqu’à la poste de l’Avenue du Maine pour que la carte pour S. parte à temps, ce dont je ne suis pas bien certain.
Soir
Je vais dans le quartier latin voir les Tueurs de Robert Siodmak que je pensais n'avoir jamais vu — ce qui était bel et bien le cas. Ava Gardner et Burt Lancaster débutants, jeunes et beaux, ajoutent à l'ambiance poisseuse d'un film noir inspiré d'Hemingway mais qu'aurait pu "scénariser" Chandler (ou inversement ?, les écrivains américains ayant dû souvent vendre leurs services à Hollywood et adaptant les œuvres de leurs pairs…).
22 avril
Je renonce à l’exposition autour de Klimt à la Pinacothèque : l’entrée en est trop chère et je crains un intitulé abusif pour un nombre restreint d’œuvres du peintre ou une collection de toiles mineures (de fait, les commentaires laissés sur le site de la Pinacothèque que je lirai le lendemain vont dans ce sens pour la plupart…).
A la place, je vais au Petit Palais voir l’exposition consacrée aux bas-fonds du baroque (les Bas-fonds du baroque, sous-titrée : la Rome du vice et de la misère), que je trouve intéressante, quoique parfois un peu anecdotique. Y est brandi, cette fois, le nom de Caravage, dont il est vrai les toiles accrochées, dans leurs clairs-obscurs, attestent souvent l’influence
— même si on peut leur préférer les peintures qui les ont inspirées (à moins que je n’obéisse à quelque parti-pris ?)
— ou le Ribera, qu’à revoir je me demande pourquoi je l’ai trouvé décevant, peut-être à cause de la trogne de l’homme, d'ailleurs traitée de façon plus imprécise que les plis du vêtement ou les mains !
Jusepe de Ribera, Mendiant, v. 1612 Huile sur toile, 106 x 76 cm © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Roma
Je m’amuse des significations obscènes et diverses que recouvre le geste de la « fica ».
Et j’en profite pour revisiter, cette fois, les collections permanentes de façon plus fouillée…
Je regrette une ou deux fois d’avoir oublié l’appareil-photo — et recours au téléphone portable, mais, toujours malhabile avec l'engin, rate mes clichés…
* * *
Je passe la soirée chez B. Elle avait par trois fois changé d’avis sur les modalités de notre rencontre, et, sur ma proposition d’apporter plat de résistance acheté chez un traiteur ou au rayon surgelé d’un magasin ainsi qu’un dessert, elle a finalement proposé une « pierrade » chez elle. Elle s’excuse plusieurs fois à ce propos, sans que mes protestations la rassurent (semble-t-il). J’ai apporté vin et dessert (ce dernier, surgelé, quoique je connaisse ses préventions : l’emballage est pratique, et je n’ai pas encore trouvé de bonne pâtisserie dans le quartier de Judith)…
Elle se montre passablement nerveuse, passablement distraite. Elle ne veut pas que je l’aide à quoi que ce soit : seule S., me dit-elle, est autorisée à le faire — puisque S. épluche dix fois plus vite qu’elle les carottes !
J’installe tout de même une petite table et deux chaises dans le jardin, où nous prenons l’apéritif, avant de dîner dans son salon-salle à manger.
Elle me parle de son voisin du dessus, qui « la drague ». Elle l’avait invité pour l’apéritif, mais il a décliné (sur le motif délicat qu’il ne voulait pas déranger de vieux amis !). Elle me dit qu’alors qu’elle entendait renoncer à séduire, elle se trouve sollicitée. Je songe à notre conversation l’avant-veille Aymeric et moi au sujet des renoncements successifs liés à l’âge — et plaisante à ce sujet.
Elle retrace aussi ces problèmes qu’elle a encore et toujours avec la copropriété de son immeuble.
Elle m’expose — et c’est également assez habituel — des contrariétés professionnelles.
Elle parle de Villejuif, de l’attentat déjoué, d’un assassinat...
Je conclus, par recoupements, que B. ne va pas très bien.
Et, lorsqu’elle aborde le chapitre de A., je me sens toujours aussi mal à l’aise de savoir qu’A. évite B., que c’est intentionnellement qu’elle ne répond ni à ses courriels ni à ses messages téléphoniques…
Après dîner, nous téléphonons à S. Ma carte postale lui est parvenue. S. paraît contente de nos attentions. Nous nous verrons dimanche. B., qui vient d’ailleurs à ****, prendra le même train que moi : je lui dis que j’aurai à faire alors — ce qui est vrai, mais j'espère qu'elle n'aura pas trouvé trop raide ma réponse, alors qu'elle pensait sans doute que nous pourrions nous retrouver… (Je ne la verrai ni sur le quai à la gare de l'Est ni à l'arrivée, regrettant de ne pouvoir faire un peu de chemin ensemble, S. habitant non loin de chez moi...)