609 - À pas parallèles, Paris (8)
23 avril
Journée de farniente. D’ailleurs, des experts viennent visiter la copropriété, et je dois montrer des taches d’humidité dans l’appartement de Judith. Je reste donc là toute la matinée.
Des messieurs à l’air affairé piétinent en fin de matinée dans la cour, ainsi que le voisin obséquieux. Ils visitent la chambre de Lucien à une rapidité censée me convaincre qu’eux-mêmes ne sont pas très convaincus du fait qu’il y aurait une cheminée mal protégée ou dont l’étanchéité serait à revoir… Leur moue dubitative n’a d’égale que mon indifférence en tant que Judith m’a délégué une parole qu’il me semble avoir correctement transmise, le voisin pouvant d’ailleurs ensuite en témoigner ! Et je la sais suffisamment opiniâtre pour pouvoir contrer cette incurie-là.
Après-midi
J'effectue tous mes déplacements en bus, prenant à nouveau tout mon temps.
Je me suis fait indiquer par Khadija une librairie spécialisée dans les livres d’occasion. Le choix de livres reste relativement restreint, mais j’achète tout de même le livre d’Edouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule, dont certains passages m’avaient impressionné à première lecture et dont j’avais noté les pages. (J’ai renoncé pourtant à en publier ici certains extraits choisis : de toute façon, le livre n’a pas attendu pour se vendre que je lui consente quelque publicité — laquelle aurait été d’autant moins efficace d’ailleurs que les lecteurs de ce “blog” se sont considérablement raréfiés ces quatre derniers mois !)
De là, je vais à pied jusqu’à la Place des Vosges. J’aurais bien aimé revoir la maison de Victor Hugo, mais celle-ci est fermée. Je visite non loin, sous les arcades de la place, une galerie d’art où sont mis en vente des dessins — obscènes, pour la plupart, d’hommes le phallus en érection — et des assiettes peintes par Cocteau. Lorsque, par curiosité, je jette un œil sur les prix de vente, je m’effare : ils sont tout bonnement impressionnants.
[Dessins qui ne sont naturellement pas ceux que j’ai vus — ceux que je reproduits étant d’ailleurs plus érotiques qu’obscènes, si la distinction a un sens.]
Je renonce à l’exposition du musée Carnavalet (Napoléon et Paris), pour laquelle je n’ai pas la gratuité, contrairement au souvenir que j’en avais.
A la place, je vais voir les deux expositions de l’Hôtel de ville — l’une consacrée à Paris photographié par des reporters liés à l’agence Magnum, l’autre à des artistes inspirés par le VéLib…
J’erre ensuite dans les rayons du BHV hommes, sans raison véritable.
Car je flâne dans tous les cas.
Soir
A la terrasse d’un café Place de la Sorbonne, j’attends Valérie, que je n’ai pas vue depuis janvier — ce soir où nous avions eu une conversation avec Denis et elle et que pointait un désaccord…
Je m’installe et envoie un SMS comme quoi je suis bien arrivé…
Elle est, en fait, installée sur la terrasse voisine depuis une dizaine de minutes, elle vient de m’envoyer un SMS quand elle me découvre — alors que je ne l’avais moi-même pas aperçue…
Nous buvons un verre de petit Chablis, agréablement chauffés par le soleil qui décroît.
Nous parlons des livres qu’elle m’a prêtés, dont Denis réclame l’un : je lui demande si j’abuse en gardant parfois les livres plus longtemps que d’une rencontre l’autre (en songeant, par ailleurs, que c’est de son fait si nous nous voyons si peu…), et si elle veut que je le lui rende. Comme elle me dit que non avec un sourire entendu, je conclus à un désir mimétique de Denis — ce à quoi d'ailleurs elle opine.
Didier vient de perdre son père et traverse un moment difficile. La mère lui a cédé des habits de son mari. Denis les porte. Valérie me dit trouver cela malsain. Je me rappelle alors que j’aurais bien aimé que M. me transmît des habits d’Alain. C’était évidemment bien différent... Alain avait du goût ; il s’habillait de façon originale, et nous avions la même taille et à peu près la même corpulence… J’aurais ainsi porté, emporté quelque chose de lui d’aussi ténu et capiteux qu’un parfum, ayant la vigueur de l’affection que je lui portais, dont j’étais vide à présent qu'il venait de mourir — quelque chose qui aurait eu la vigueur de l’élan qui m’aurait tout aussi volontiers porté vers ce corps que je trouvais désirable, de cette vie considérable pour toujours refluée, alors même qu’il était la vie, la séduction en mouvement, tout assumée, et le rire et la joie…
(La conversation roule parfois sur des sujets que ce journal « extime » empêche de retracer. Elle nous dévoilerait, Valérie et moi, moi sans doute plus qu’elle, d’une façon qui attendra des précisions encore...)
Le service dans ce restaurant italien où nous dînons est lent, mais les plats sont copieux et bons.
Vendredi 24
Matin
J’ai réservé, avant de partir, une place pour l’exposition Vélasquez au Grand Palais — ce qui, comme pour Odilon Redon, mais dans une moindre mesure, n’apparaissait pas comme nécessaire, puisque je n’attendrai pas si longtemps avant de pouvoir rentrer. Valérie, quelques jours plus tôt, l’a visitée en nocturne et dit avoir été déçue. Il ne s’y trouve pas trop de monde, ce dont je me réjouis. Le parcours à quoi invitent les salles me paraît bien conçu, et je suis plutôt content, même si je regrette l’absence de la Reddition de Réda et — par dessus tout — de la Crucifixion qui m’avait tant impressionné quand je l’avais vue au musée du Prado…
J’avais oublié que le Portrait du pape Innocent X était à l’origine de la réécriture hurlante et sardonique (?) de Francis Bacon…
Jacob recevant la tunique de Joseph, 1630, huile sur toile, 213,5 x 284 cm, Saint-Laurent de l'Escurial, Real Moneasterio © Internet
Pour ma part, je suis comblé par ce que je vois.
Après-midi
Je me rends au musée Bourdelle, tout proche.
J’achète des timbres à la boutique du musée de la Poste, transférée avenue duMaine, le musée étant, lui, toujours fermé.
Je visite aussi (pour la seconde fois) l’Eglise Saint-Sulpice — dont je n’avais gardé aucun souvenir… Les fresques de Delacroix sont abîmées, mais impressionnantes encore. La Lutte de Jacob avec l’ange m’est connue depuis longtemps, l’ayant vue lorsque j’étais adolescent dans une revue d’art — et ce, bien avant que je ne la découvre à l'automne 2005 avec R.
Bref, je ne quitte guère le quartier en cette veille de départ…