602 - In memoriam J.-M. (4)

Publié le par 1rΩm1

602 - In memoriam J.-M. (4)

 

Chiang Raï, 27 juillet 1988

Bonsoir,

A Chiang-Saen, le Mékong est rouge des eaux qu’il a charriées. Il forme longtemps la frontière naturelle entre la Thaïlande et le Laos, traverse le Cambodge puis se partage en delta souverain en Cochinchine, le Vietnam actuel… Si je vous raconte cela, ce n’est pas naturellement pour le cours de géographie, mais parce que, en le contemplant, je l’ai suivi jusque dans la mer de Chine — dans ma rêverie. Sachez aussi qu’il doit naître en Chine — je n’ai pas d’atlas, je n’ai pas pu vérifier — et qu’il borde également (cette fois, c’est une pierre dans mon propre jardin) la Birmanie… Ainsi partagerons-nous ses eaux !

A Chiang-Saen, le Mékong est rouge et opère une large boucle. Je ne suis pas allé jusqu’au Triangle d’or. Je n’ai trouvé sur place ni de bus, ni de taxi collectif, et les prix proposés par les samlos m’ont semblé bien excessifs pour voir deux bras de rivière au confluent de trois pays. Cela ne m’a pas empêché de traverser par mes songes Luang Prabang, d’approcher Vientiane et la vieille Angkor et Phnom-Penh et Saïgon…

Et peut-être la musique ce soir emmène-t-elle plus loin encore… Coiffé du casque du walkman, j’invente le Mékong et son histoire au son du second quatuor de Bartók. Ce que c’est rouge, ce que c’est beau. Les musiciens modernes ont dû beaucoup apprendre de l’Asie… Debussy avec ses Estampes… Autant qu’Artaud avec Bali… (Je donne dans la culture, ce soir !)

Je m’en irai demain. Je vais à Lampang. Peut-être ma rêverie a-t-elle tort, peut-être n’a-t-elle pas raison, mais elle entend revoir Soh, un serveur sur lequel elle se porte de temps en temps…

(Le dessin de mes veines sur les bras est un Atlas fait de sang, où le Mékong est rouge sous ses apparences de bleu. J’allais oublier de vous le dire…)

Loin de délires symbolistes — et bien que le Mékong soit tout de même rouge —, me voici, ayant dépassé Lampang, à Sukkotaï, dont j’ai parcouru les ruines à bicyclette. Le soleil était caché par de gros nuages, il était une heure raisonnable de l’après-midi, et ces efforts n’ont pas été trop meurtriers.

(Carte postale achetée sur place — au verso : Image of Budha et Maha That in Sukhothai - Province of Thiland)

(Carte postale achetée sur place — au verso : Image of Budha et Maha That in Sukhothai - Province of Thiland)

Je reprendrai la route demain, vers Phimaï, dont j’ai très envie de voir les ruines angkoriennes. Si jamais un endroit agréable se présente en chemin, j’y séjournerai. Car il me faudrait du repos, à présent. Je n’ai plus l’esprit caravanier.

J’avais des masses de choses à dire, qui se sont envolées… Nous sommes aujourd’hui le 28… Du moins je crois… En tout cas, c’est vendredi… Mais je n’en suis pas certain…

J’ai longuement observé les Thaïlandais parler. Certains points d’articulation obligent la langue à reposer mollement sur la maxillaire inférieure, la bouche ouverte, s’étalant dans toute sa largeur, tout en produisant des inflexions languissantes, musicales et abandonnées. Leurs « A[aa] », très ouverts, obligent à ce mouvement, par exemple. C’est assez irrésistible. De l’érotisme dans la langue ! (Je décris cela comme je le puis…)

Que dire encore ? La pluie, longue, du début de l’après-midi n’a pas tout à fait rafraîchi l’atmosphère. Dire qu’en France septembre est le plus joli mois de l’année et que cela sera celui de la reprise. J’ai rêvé d’amours torrides, torréfiées, cette nuit, avec un long Noir, qui m’aimait comme il faut. Rejet du petit jaune ? Avatar du grand Lindsay ? — Je ne saurais vous dire. It was nice. Anyway. Cela a atténué les pétarades des motos dans les rues de Lampang, au petit matin…

Voilà. Si jamais l’on est le 29 — ce que, à la réflexion, je crois — je te souhaite, J.-M., un bon anniversaire…

 

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