624 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (7)
À pas dansés
(Paris, Bratislava, Vienne, Paris)
Journal extime (24 juillet-12 août 2015)
29 juillet
Après-midi
Après ma tentative infructueuse de la veille, je visite enfin le musée Picasso.
Je fais des photographies qui, pour sembler arbitraires, sont, pour la plupart d’entre elles, dans le prolongement de l’exposition Leiris & Co vue au Centre Pompidou-Metz.
Pablo Picasso, Corrida (1923) ; Corrida : la mort de la femme torero (1933) ; la Minotauromachie (1935) ; Petite fille sautant à la corde (1950)
Tête de taureau, 1942 (éléments originaux : selle et guidon / 35,5 x 43,5 x 19 cm) [carte postale achetée pour Pascal et F. à la sortie de l’exposition Leiris & Co, Centre Pompidou-Metz]
Certains clichés dépassent tout de même cette seule caisse de résonance.
Picasso, le Retour du baptême, d'après le Nain ; Vuillard, la Berceuse : Marie-Roussel au lit ; Corot, la Petite Jeannette.
Soir
J’ai rendez-vous avec Aymeric à 19 heures 15 dans le bar où, de mon fait, nous avons coutume de nous retrouver. J’ai regretté, à ce sujet, de ne pas avoir donné l’adresse du bar à vins découvert l’avant-veille, connu d’ailleurs d’Aymeric, qui, décidément, n’ignore rien du quartier où il travaille.
[Je retrace, dans le désordre, quelques-uns des sujets que, ce soir-là, nous avons abordés, ma mémoire pour le reste faisant défaut :]
Il lui reste deux jours encore à travailler, avant de partir avec P**** pour le lac de Constance.
Nous dînons chez Judith, puisque Francis nous a désormais laissés le champ libre…
Aymeric m’amuse quand il me dit que, outre le chatterton et le clou que je lui avais demandés, s’il l’avait su, il aurait aussi pu m’apporter du romarin, qui n’aurait pas été inutile à la cuisson du filet mignon de porc (j’ai eu, je le lui dis, beaucoup de mal à trouver le madère nécessaire à la viande que j’ai cuisinée) que j’enfourne à notre arrivée. Le rôti, qu’Aymeric trouve poliment bon, m’apparaît sec (je ne pense pas, il faut dire, à en proposer le jus de cuisson pour l’arroser !)... Quant aux légumes qui l'accompagnent, son verdict est circonspect : « Ce sont des haricots. » Il est vrai que je n’ai pas davantage songé au jus de cuisson pour les agrémenter, alors qu’ils sont cuits tout bonnement à l’eau et, comme tels, manquent un peu de saveur. Aymeric, durant le repas, ne boit qu’un verre de vin.
Entre divers bâtons rompus, je lui raconte que Pascal m’a fait tout un développement qui m’a paru incongru comme quoi il trouvait particulièrement bien que je n’ai[e] pas renoncé [sic]. J’ai supposé, par recoupements, qu’il parlait autant des voyages que j’entreprends que de mes relations avec les lovers, ces expédients amoureux que je cultive, faute sans doute de relations mieux suivies. Aymeric, à propos des derniers, me dit que lui renoncerait volontiers, qu’il était d’ailleurs en passe de le faire après sa rupture avec son précédent compagnon. Je m’étonne, comme je m’étais étonné de voir renoncer A. ou J.-M., après s’être séparé, l’une de S***, l’autre de Pascal. Aymeric parle alors de l’usure du couple, vécue même dans la relation pourtant en pointillés qu’il entretient avec P****.
(Examinant et récapitulant par la suite ses arguments, avec une distance de bon aloi, la surprise passée, je me suis avoué que j’aimerais assez avoir son détachement, en quelque sorte épicurien...)
Entre divers bâtons rompus, c’est surtout moi qui parle. C’est pourquoi peut-être je me fais l’impression de bavardages surabondants, parfois impertinents…
Peut-être, d’ailleurs, n’aurais-je pas dû finir l’inventaire de mes faits et gestes depuis début juillet par Julien…
Ai-je agacé Aymeric de mes bavardages ? — C’est possible, après tout.
Dans l’après-coup, je repasse les derniers moments de nos échanges : il est déjà tard, il est à bicyclette, et déjà sur sa selle…
Alors qu’il me dit qu’il m’enverra quelque nouvelle de son séjour au bord du lac de Constance, que je réponds je ne sais quoi qui se veut spirituel, il s’en va d’un brusque coup de pédale.
(J’ajoute que, ayant pas mal bu de la bouteille que j’avais ouverte et dont lui n’a bu qu’un verre, j’étais un peu gris et un peu triste en fin de soirée. Aussi ne suis-je pas certain de n’avoir pas dit de sottises. Cette crainte perdure bien au-delà du lendemain : je serai surpris de n’avoir ni SMS ni mail, ainsi que fait généralement Aymeric après que nous avons passé ensemble la soirée.
Je m’en inquiéterai assez pour le lui écrire un mois plus tard :
Je me demande parfois, et la question revient sourdement, si je n’ai pas commis quelque impair le dernier soir où nous nous sommes vus… L’absence de toute nouvelle depuis m’étonne un peu. Et puis ce coup de pédale que tu as eu au moment où tu es parti… J’espère cependant que tout ça n’est jamais qu’un tour de mon imagination !
— et recevrai cette réponse :
Bonsoir Romain,
Merci pour ton message, je suis très content d'avoir de tes nouvelles.
Je vais avant tout dissiper tes craintes : je ne suis fort heureusement froissé en rien et si je n'ai pas donné de nouvelles depuis un mois c'est uniquement dû à la torpeur dans laquelle je suis depuis quelques temps et dont je ne pense pas être sorti malgré la coupure des congés.
Dans mon esprit je pensais t'avoir envoyé un message après notre dernier repas rue F***. J'ai recherché et n'ai rien retrouvé et en suis comme toi, étonné. J'envoie en général toujours un petit mot, si indigent soit-il. D'autant que j'apprécie ces repas qui se déroulent hors de la sphère des restaurants (qui sont, comme tu sais, si difficiles à choisir et en général un peu décevants, à quelques exceptions près). J'avais été très intéressé par ta façon de cuire le rôti de porc en cocotte (ce que je ne fais jamais – je parle du mode de cuisson – je pratique plutôt la cuisson au four encore que je mange depuis quelques mois si peu de viande que c'est en général hors de la maison et que je n'ai pas cuisiné de viande depuis fort longtemps) et en ai fort apprécié le résultat et me suis dit qu'il faudrait que j'essaie.
Quant à mon départ "sur les chapeaux de roue" au terme de la soirée, cela n'est dû qu'à la propulsion électrique de mon vélo qui produit une forte accélération au premier coup de pédale ! ce qui a pu te donner l'impression de "faire du sur place" en me voyant m'éloigner rapidement. C'est d'ailleurs une chose qui m'amuse toujours lorsque je suis à côté d'un voiture à un feu tricolore : lors du passage au vert je prends, sur les premiers mètres, l'avantage sur la voiture le temps qu'elle passe en deuxième, ce qui surprend souvent, et froisse parfois certains acharnés de l'accélérateur.
Je te laisse donc régler tes comptes avec ton "imagination" qui te joue en effet de méchants tours.
— laquelle m'édifie, si besoin était, sur mes façons et “tours” de céder à l'inquiétude...)
* * *
[Je travaille ici comme un peintre — du moins, je l’imagine… Par petites touches (des petits rajouts de-ci de-là, des presque rien, que j’accroche à une phrase, à un paragraphe laissé en l’air, dans la diagonale que mon œil poursuit d’une relecture à une autre, sans ordre ni méthode). Cela me fait plaisir. J’aimerais tant savoir peindre — il faut dire. Mais j’aimerais mieux encore savoir composer.)]
* * *
Aujourd’hui J.-M. aurait soixante-cinq ans.
Nuit du 29 au 30 juillet
Je dors mal. Peut-être aussi à cause du départ le matin même.