625 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (8)
30 juillet
Je suis à la lettre les instructions de Judith. Ainsi j’arrose copieusement les plantes (moins, cependant, qu’elle ne le fera à son retour !). Le voisin obséquieux, qui a le don de m’agacer prodigieusement, avait ironisé en me rapportant l’inquiétude qu’elle avait manifestée auprès de lui qu’on puisse se servir des étais qui soutiennent le balcon principal qui s’effrite et menace de s’écrouler pour gagner sportivement mais possiblement une fenêtre par où pénétrer : je lui avais répondu que je comprenais la crainte de Judith (il suffirait, comme elle le dira plus tard, qu’un personne fasse à une autre la courte échelle pour se hisser jusqu’au balcon — et, après avoir brisé une vitre, entrer). Je ferme donc les volets comme elle me l’a demandé.
Dans le bus qui mène de Paris à Beauvais, je bois sans honte le reste du vin de la veille — il n’en reste pas tant que cela ! — en même temps que je mange du plus lentement que je peux un sandwich confectionné avec les restes du réfrigérateur. La nullité de ces transhumances du bétail humain du non-lieu de leur vie ordinaire au lieu mirifique de leur villégiature réclame à tout le moins cette gymnastique de lenteur et de circonspection, voire de rumination nietzschéenne…
Comme pour me confirmer dans mes dires, je subis la conversation insipide du jeune homme assis à mon côté, qui règle au téléphone un problème informatique, l’air le plus sérieux du monde, avec un ami (que sa voix toise, cependant, et écrase de ses connaissances de geek aguerri). Son sabir s’appuie sur une concaténation de sigles et d’acronymes, qui se veulent ésotériques, sinon magiques, comme si par leur opération le monde allait en être changé — sauvé peut-être ! J’ai du mal à me retenir de rire quand il est question de Montaigne : « Montaigne ! comme Marion Montaigne ! » (Ce jeune homme rirait peut-être, lui, d’apprendre que je ne sais pas de qui il s’agit ! [une incursion rapide sur la toile plus tard me la donnera comme auteure de bandes dessinées].)
Durant le voyage en avion, je fais le vide. Je me sens bien.
(C’est pour le moins inhabituel.)
Je fais ce constat : peu de gens voyagent seuls. Je repère une dame à l’embarquement, puis une jeune fille ainsi qu’un jeune homme à la chaîne des bagages après l’atterrissage...
* * *
Soir, Bratislava
Depuis l’aéroport, j’ai pris le bus, puis un tramway, non sans demander mon chemin, et ce, sans vraiment parvenir à me repérer. Heureusement, les indications qu’une jeune fille m’avait fournies étaient justes.
J’erre encore avant de trouver l’appartement-hôtel situé en vieille ville, tout près de la porte Michalská, où j’ai réservé une nuit.
Le studio est confortable, agréablement agencé et meublé, très propre.
Après une incursion rapide dans le centre historique
et quelques courses pour le petit déjeuner du lendemain, je bois une bière brune sur la place de l’Opéra.
Au soleil, sur cette terrasse, entouré de Slovaques dont la conversation m’échappe tout à fait, je me sens toujours éprouver ce sentiment d’une vacuité heureuse… (Je serai bien à la retraite, me dis-je parfois — à condition de savoir, toutefois, se laisser aller pareillement et travailler — donc — contre son tempérament !)
Je dîne dans un restaurant prétendument traditionnel. La truite fumée que je commande en entrée est servie avec de la mâche, agrémentée d’une chantilly au raifort dans laquelle sont incorporés des morceaux de pomme : ce n’est pas si mauvais. Et le risotto — au parmesan, aux épinards, poulet, roquette et tomates cerise — est même très bon.
Je me promène ensuite encore quelque peu.
Bratislava, le soir, est très animée. Les façades baroques sont assez bien mises en valeur par les illuminations.
Le vin rouge slovaque — de Moravie ? — aux arômes de menthe et de thym qu’on me sert dans ce bar à vins tout près de l’hôtel a quelque chose de la garrigue (même si d’ailleurs, ce soir, sentant la fatigue me gagner, je ne suis pas si certain de savoir ce que le terme de « garrigue » recouvre) ; il est lui aussi très bon…