611 - À pas parallèles, Paris (9)
Samedi 25 avril
Jour de départ et, comme tel, jour à somme nulle.
Je fais toutes choses en y mettant toute une lenteur, spécialement le ménage.
Je me suis levé tard, en outre.
Et j’écris. J’écris, tout en demandant si je fais bien en vérité de poursuivre, inexorablement, la relation de mes séjours parisiens. Ce ne sont pas seulement de possibles redites qui sont en cause. Je vois bien, d’une part, que mes lecteurs sur ce site, composé d’autres usagers que sur le site plus communautaire où j’écrivais naguère, se raréfient… D’autre part, mes relations avec les amis parisiens sont certainement moins passionnelles qu’elles ne l’étaient à leur commencement… Cependant, l’habitude est prise, et l’écriture au quotidien — je parle de la retranscription de ce que j’ai pu griffonner dans mon carnet, non d’une journal que je tiendrais véritablement, sauf lors de mes échappées — est devenue une sorte d’oxygène nécessaire.
(Le jour où je retranscris ces lignes mêmes — très exactement le 15 août 2015 —, cherchant l’article où je relatais l’achat d’un cordon pour mes lunettes à Naples, je dois me rendre à l’évidence : le serveur de GA n’existe plus, et tout renvoi est désormais impossible. Plus que mes articles — dont j’ai la sauvegarde —, ce sont les commentaires que je regretterai, d’autant que, sur ce site-ci, les lecteurs n’en laissent pratiquement jamais aucun… Tout est à reconstruire — ce à quoi je m’emploierai dès le lendemain, en un travail de fourmi qui, à tout prendre, n’est pas plus ingrat que de, brindille après brindille, mettre en phrases mes fusées…)
Quand je serai rentré, la salle d’eau sera refaite — tapisserie et peinture—, un artisan y aura œuvré en mon absence : la nouvelle chaudière, plus petite que la précédente, nécessitait cette réfection. Ainsi sera peut-être mis un terme aux désagréments en série — ceux qui, du moins, sont réparables ! — vécus au mois de janvier…
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Lundi 6 juillet
Matin
J’entreprends le ménage de l’appartement.
Alors que, l’avant-veille [?], je prenais un coton-tige dans l’armoire à pharmacie, un petit objet métallique avait roulé et, avant que je puisse esquisser un geste,
dans le siphon du lavabo… Je constate des traces de doigts sur les meubles de la cuisine… Une boîte hermétique que j’ai utilisée pour les restes des poivrons farcis est demeurée rouge du fait de la sauce tomate…Je fais l’inventaire de ces menus dégâts. Je rachèterai une autre boîte en plastique. L’aspersion de produit à vitres devrait venir à bout des empreintes digitales, qui ne sont peut-être d’ailleurs pas les miennes. Enfin, je ne parviens pas à fermer le corps de l’aspirateur qui s’est ouvert, sans j’en comprenne la raison.
Ce n’est que plus tard que j’aurai l’idée de dévisser le culot du siphon et d’y récupérer l’objet en métal en perdition, dont j’ignore la fonction, ni si même il a une utilité… Je le replace cependant à l’endroit d’où j’avais vu qu’il était tombé.
Il ne fait pas trop chaud, et ces presque deux heures de ménage ne sont pas trop épouvantes.
Je vais ensuite jusque Montparnasse. Nous sommes convenus de nous voir à midi, Judith et moi. J’ai le temps — je dispose de presque 45 minutes à mon arrivée — de faire à nouveau les soldes. J’essaie, sans vraie conviction, un blouson, un pantalon… Je m’achète une cinquième paire de chaussettes, tout en me demandant quelle manie compulsive m’amène à faire ainsi, à chaque saison, provision de chaussettes alors que je n’en manque pas, moi qui ne suis pourtant pas fétichiste ni des pieds, ni des odeurs, ainsi que j’ai appris qu’on pouvait l’être naguère (!), à mon grand étonnement, peut-être parce que (?), contrairement à R., épargné par les mauvaises odeurs de transpiration, il m’arrive de conserver les mêmes chaussettes durant deux jours, même en période de forte chaleur (ce qui n'a rien à voir, somme toute, avec quelque dilection !).
— A défaut de perversion, je suis décidément tout empreint de vie matérielle, ce matin !
Il est midi trois quand je sonne chez Judith. Pourtant familier des lieux, je me suis, dans un premier temps, trompé d’étage et, constatant mon erreur au moment précisément de sonner — la porte palière ne m’est pas familière —, suis redescendu du second au premier. Judith m’ouvre et m’invite à la suivre dans la cuisine : elle est en retard, le plat qu’elle enfourne — des courgettes à l’huile d’olive, à la menthe, à la vanille et au citron — devant cuire 25 minutes encore.
Elle me parle de Francis, cet ami qui cohabitera — à moins qu’il ne loge dans le studio de N.— avec moi du 24 au 30. (J’ai imprimé mon billet aller à la gare Montparnasse afin de pouvoir lui donner l’heure exacte de mon arrivée). Elle me dit qu’il est « homo » lui aussi, qu’il jette sa gourme dans les saunas — tout en s’étonnant de ne pas y trouver l’âme sœur (elle me livre une anecdote à ce sujet, amusée mais bienveillante). Le portrait en raccourci qu’elle me fait de ce Francis m’est moins sympathique a priori qu’à elle, mais je m’abstiens de tout commentaire. Je n’ai ni la curiosité de demander ni de son âge, ni de sa profession, ni des quelconques renseignements d’usage, par crainte peut-être d’en apprendre qui dissone davantage encore…
Nous parlons aussi un peu de leur prochain séjour chez moi. Je m’enquiers de leurs habitudes au petit déjeuner. Je note sur mon carnet : « lait demi-écrémé bio ; [une marque de corn-flakes] ».
Laure vient, plus filiforme que la fois précédente, manger une part de melon, taiseuse et presque hostile. Elle ne veut rien d’autre et retourne bientôt dans sa chambre.
Judith commente : Laure tend à l’anorexie ; elle ne sait comment intervenir ; elle en parlera à leur médecin. Elle ne s’étend pas davantage, mais je songe qu’il ne sera peut-être pas évident de composer avec cette adolescente qui paraît en pleine période de refus durant quatre jours — et qu’il faudra traîner sans doute dans les musées.
N. rentre, guère plus loquace. Il a travaillé toute la matinée, se dit crevé. Je note à part moi que Judith ne réchauffe pas pour lui les courgettes désormais froides ; il pourrait d’ailleurs s’en occuper lui-même.
Alors que nous nous apprêtons à sortir Judith et moi, que Judith a troqué une short pour une jupe en jean, il me prend à témoin : n’est-ce pas qu’elle est laide, cette jupe ? Je vois qu’il réclame ainsi de ma part quelque complicité masculine, et, comme d’autres fois, je n’entre pas tout à fait dans le jeu. Bien sûr, il ne veut pas nous accompagner à l’exposition sur Le Corbusier que Judith tient à voir…
* * *
Bleu roi. C’est la couleur de la chemisette que je me suis achetée. Cela me vient alors que j’écris ces lignes-ci dans le train du retour, la femme sur la banquette de l’autre côté de l’allée qui me fait face arborant une robe d’un coloris tout proche. Ni cobalt, ni outremer, ni bleu de Prusse, ni je ne sais… mais bleu roi.
Soir
Il fait 32° dans l’appartement quand j’arrive.
Alors que cela ne m’arrive jamais lorsque je suis seul, je dîne sur la terrasse.
Pour profiter d’une relative fraîcheur qui peu à peu survient, ce que je n’ai pas fait quand je me trouvais à Paris, je vais prendre un verre en terrasse à la nuit tombée.
En arrivant à la gare, j’ai aperçu Dimitri, débarqué du même train que moi… et me dis que, décidément, tous les fantômes ont soin de ressurgir en ce moment. (Il ne manque à l’appel que Romain !)
... Et j’aperçois Baptiste à la terrasse de ce café, tandis que Léon croise au loin.