613 - DE L’ÂGE (22)

Publié le par 1rΩm1

613 - DE L’ÂGE (22)

28 août 2015

[extrait (à peine remanié) d’un courriel à Aymeric :]

« Je n’aspire plus qu’à la retraite ! »

Je viens de voir, Danièle, la sœur de J.-P., qui m’a dit partager mon sentiment.

Nous avons parlé un peu de François, et envisagé de nous retrouver lui, elle et moi, son compagnon, une prochaine fois que je viendrai à Paris, car c’est toujours en coup de vent que nous nous croisons lorsqu’elle se retrouve à ****, pour voir sa mère (encore nos rencontres n'ont-elles lieu que tous les sept-huit ans…). Elle m’a parlé d’un ami commun que nous avions J.-P. et moi lorsque nous étions lycéens, qu’elle a vu il y a peu, avec qui, pour ce qui me concerne, le contact est rompu... depuis vingt-cinq ou trente ans !

Cela m’a fait une drôle d’impression d’entendre parler de cet ami, Didier, qui habite — ai-je appris — la Réunion, et dont je pensais n’avoir jamais plus de nouvelles. Et de me venir une brusque envie de renouer avec lui, comme je l’ai fait avec François… J’ai eu d'ailleurs avec lui une amitié forte comme on en a à l’adolescence, et je ne sais pas bien, des relations parfois embarrassées ou embarrassantes avec sa mère, lui, et son amie d’alors, ce qui a pu si radicalement nous éloigner… Peut-être d’ailleurs cela n’a-t-il rien à voir, puisque, en fait, je m’étais fâché avec C., la mère de Didier — en vérité, c’était plutôt elle qui s’était fâchée contre moi, elle, me raccrochant au nez alors que je l’appelais au téléphone, et moi, dans mon intransigeance d’alors, n’ayant jamais plus repris contact — pour une indiscrétion qu’elle aurait voulu me voir commettre, dans un scénario éculé d’une mère ne s’entendant pas avec sa bru

Pour ce qui est de Danièle, j’ai cherché, pendant que nous conversions, elle debout, moi assis (aux côtés de T., à la terrasse de ce café où nous avons coutume de nous retrouver), à superposer les traits de l’adolescente que j’ai bien connue et ceux de cette dame qui se tenait face à moi, qui aurait pu être — je ne sais : — une collègue, une vague connaissance telle une voisine qu’on croise dans la rue et qu’on identifie comme la femme qui habite en face, voire la mère de Danièle elle-même, certes un trop peu âgée pour être la mère de la cadette de J.-P. ? — mère d’ailleurs à laquelle j’ai trouvé qu’elle ressemblait beaucoup plus que lorsqu’elle avait seize ou dix-sept ans, voire qu’elle ressemblait plus désormais que l’aînée de J.-P., Françoise, qui avait alors déjà, jeune adulte qui préparait HEC et nous toisait un peu J.-P. et moi comme d’idéalistes rêveurs, le visage empreint de la sévérité de cette veuve qui avait élevé seule ses trois enfants, peu amène, sinon pas drôle du tout, et la fille aînée, et la mère, fondues dans un même représentation sans indulgence de ma part alors —... et, tout soudainement, dans l’éclat d’un sourire et d’un pétillement des yeux, cela s’est produit : très soudainement, les traits de cette quinquagénaire coïncidaient avec la jeune fille qu’elle avait été, mon effort mental n’ayant pas été vain et cousant sur ce visage chiffonné le teint uni, l’incarnat lisse des joues souples et pleines ; cela s’est fait, qui plus est, sans se défaire, sans qu’entre eux les traits jurent ni que le visage vieilli impose sa marque indélébile ; mieux peut-être : le visage vieux s’est soulagé, allégé du jeune, dans une continuité, une plénitude rendue possibles tout à coup, par un superposé, un précipité temporel (comme un visage dans l'eau dont la surface ridée se recompose et se fait lisse), lequel ne peut guère s'accomplir qu’avec les personnes que nous avons connues jeunes — envers qui sans doute aussi nous étions bienveillants, installés dans une relation heureuse, quand bien même la conscience de ce bien-être ne nous apparaissait pas… (Et je le donne, conscient d’une dette scripturale, pour une épiphanie sans rapport avec quelque anamnèse proustienne, ou plutôt : à rebours, la cruauté des pages du Temps retrouvé quand Marcel retrouve les têtes qu’il a connues, même si je trouve ces pages admirables, m’ayant parfois rebuté… Peut-être aussi aspirais-je à une même indulgence qu’à cette gymnastique mentale à laquelle je me suis essayé.

Bref, cette entrevue avec — ou plutôt : cet entrevu de — Danièle a aussi curieusement remué le passé.)

 

 

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