Résumé : Marquise, marquise, toujours recommencée...
La marquise sortit à cinq heures dans la même toilette que la veille. Quelle déchéance ! Et il faut voir ses dessous de vieilles ficelles...
Sur l'agenda de la marquise, à la date du 1er septembre 2703, cinq heures, une main qui maîtrise les pleins et les déliés a déjà écrit pour elle Sortir, à l'encre violette.
Je ne sors plus, dit la marquise, d'ailleurs mes jambes refusent de me porter davantage, je n'ai plus deux cents ans. Nous nous cotisons, nous sommes prêts à lui offrir un déambulateur ou un fauteuil roulant à moteur, facile à conduire, à diriger, ce qu'on fait de mieux. Nous lui présentons des modèles chromés, profilés comme des bobsleighs. Nous lui proposons de nous relayer pour la promener et pousser son fauteuil, elle n'aurait qu'à nous dire où aller.
— Loin, très loin, mais sans moi, dégagez, morpions !
Qu'allons-nous devenir sans elle ?
— Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour !
— N'insiste pas, minable, tu perds ton temps. Je ne sors plus.
La marquise sortit sur son seuil, fit cinq fois « coucou ! » en secouant la tête, puis rentra à reculons et claqua la porte de son petit chalet.
La marquise sortit à cinq heures, les pieds devant. Il y eut un moment d'affolement. Mais, derrière son cercueil, venait sous un voile noir son arrière-petite-fille, la très jeune marquise Lotte Hoffixion. Nous prîmes place aussitôt dans le cortège. Elle a l'air plutôt délurée, la gamine. On ne va pas s'embêter.
À cinq heures, ce 16 juin 1904, quand elle sortit, la marquise eut la surprise de ne trouver personne devant sa porte. Elle put profiter en paix de cette belle fin d'après-midi sous les arbres de la promenade. Ils étaient tous à Dublin. Hélas, cela ne dura pas. Le lendemain, ils revenaient, rompus par le voyage, les reins brisés, la tête en vrac, et plus empressés que jamais.
Dès 5h01, la marquise entra dans un cinéma. C'est l'époque. Elle s'adapte.
— Qu'est-ce que toutes ces caisses devant chez vous, marquise?
— Ce sont mes livres. Prenez-les, si ça vous amuse.
Je n'en peux plus de lire toujours mon histoire, cela m'ennuie à un point ! Ma vie est déjà bien assez terne et monotone, si vous saviez, ce mari qui me trompe et que je dois tromper, ma tendresse pour le trop jeune fils de la comtesse, ces rencontres et ces ruptures incessantes, ces voyages à l'imparfait de l'indicatif, ces bagages à faire et à défaire — pour aller où ? J'entends sans trêve la scie des cigales de mon interminable enfance provençale.
La marquise prit le maquis à cinq heures.
J'ai tenté plusieurs fois de sortir de chez moi à une heure indue en marchant sur les mains, nue, avec une tête de tigre tatouée sur le rein droit, et je hurlais à pleine voix des appels à la révolution, dit la marquise. Ils n'ont rien remarqué d'anormal ! (elle ajoute en pleurant) Tranquillement, comme chaque jour, ils ont pris mon pas.
La marquise sortit ses tripes à cinq heures.
(elle crie)
Ils m'ont baisé la main !
Nous ne sommes plus au XIXe siècle, marquise !
Désormais, sortir signifie coucher ! Déshabille-toi !
La marquise sortit à cinq heures des propos incohérents, affirmant que le paon se marie à l'église et que les poupées russes à leur toilette usent un savon.
Ça devient grave.
(à suivre et à recommencer)