de Eric Chevillard, le Désordre Azerty, Les Editions de Minuit, 2014, pp. 152-154 :
Résumé : Marquise, marquise, toujours recommencée...
La marquise sortit à cinq heures son loulou de Poméranie, Pompon, qui se soulagea en levant la patte contre un prunus. Aucun détail ne nous sera épargné, dans l'intention de nous lasser sans doute : c'est mal nous connaître.
A cinq heures tapantes, la marquise sortit de chez elle. Ils la suivirent, comme d'habitude, machinalement, de plus en plus nombreux, ils marchaient derrière elle sans éprouver la fatigue. Elle semblait savoir où elle allait, elle traversa la campagne, le désert, les montagnes. La nuit était tombée. Enfin, elle parvint au bord d'une falaise surplombant la mer tumultueuse. Et sans hésiter, elle sauta. Tous suivirent, comme un seul homme, les uns se noyèrent, d'autres périrent par hydrocution, d'autres encore s'écrasèrent sur les récifs, les derniers furent dévorés par les requins.
— Oui, il y a aussi le conte, dit la marquise. Ça me change un peu des romans. C'est distrayant, de temps en temps, un petit conte.
La marquise sortit à cinq heures du matin par une porte dérobée. Un bon petit polar, enfin ! s'exclama la foule en lui emboîtant le pas.
La marquise sortit à cinq heures un minuscule pistolet de son sac et coucha raide le romancier qui la collait au train. Puis elle fit une première encoche à la crosse de nacre.
— Adieu, je pars pour un voyage au bout de la nuit..., dit la marquise.
— Excellente nouvelle ! Nous en serons ! Départ à cinq heures ?
— ... autour de ma chambre.
Sein, cœur. La marquise sortit l’un ; il fallut lui arracher l’autre.
Sortez les mains en l'air, marquise ! La maison est cernée ! Sortez ou nous donnons l'assaut ! Vous n'avez plus aucune chance ! Nous allons donner le porte-voix à votre fille, elle veut vous parler, écoutez-la ! Sortez, voyons ! Il ne vous sera fait aucun mal ! Nous sommes prêts à accepter vos conditions ! Voulez-vous une puissante voiture ? Voulez-vous un hélicoptère?
Qu'allons-nous devenir sans elle ?
— Que faites-vous dorénavant, marquise, enfermée chez vous toute la journée ? Dites-nous la vérité.
(elle prend un petit air mystérieux)
— Allons, marquise, vous faites quoi, toute seule chez vous ?
(en minaudant un peu)
— J'écris.
Qu'allons-nous devenir ?