620 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (3)

Publié le par 1rΩm1

 

À  pas  dansés  

(Paris, Bratislava, Vienne, Paris)

Journal extime (24 juillet-12 août 2015)

 

25 juillet

 

Francis, à l’usage, s’avère un fieffé bavard. Or, peu de ce qu’il me dit m’intéresse.

C’est pourquoi je joue à cache-cache. Par une coïncidence assez heureuse, je suis levé beaucoup plus tôt que lui, que je n’entends s’agiter dans la cuisine, alors que je suis dans la salle de bains, qu'après quelques heures. Je le trouve ensuite déjà parti. Et au moment où il revient, je finis de déjeuner.

C’est là une discordance des temps parfaite.

Mais j’ai plus de mal par la suite, lorsque nous nous trouvons plus longuement ensemble dans l’appartement, à me dépêtrer de sa conversation. La signification du recul que j’effectue à mesure vers ma chambre semble totalement lui échapper… sauf à en atteindre les portes !

Au détour de sa conversation, j’apprends qu’il est peintre.

C’est lui l’auteur des très jolies photos de Laure jouant de la contrebasse et d’une autre jeune fille aux allures de chlorotique telle qu’aimait en peindre Burne-Jones.

C'est là comme une discordance de personnes...

Au moins puis-je arguer d’activité à mener. Je vais à pied jusqu’à l’exposition “L’art pour l’art” au Musée Singer-Polignac.

620 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (3)

Celui-ci se trouve dans les locaux de Sainte-Anne. Y sont accrochées en fait les œuvres de patients internés. D’une signature à l’autre, dessins et peintures peuvent être très différents ; mais, si la plupart me laisse dubitatif, il s’y trouve quelques jolis dessins.

Je dirige mes pas ensuite vers le quartier latin.

Je passe alors devant la Santé, vidée de ses occupants, de ses prestigieux locataires

620 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (3)
620 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (3)

(j’avais évidemment songé auparavant à Artaud quand je me trouvais à l’hôpital Saint-Anne), fictifs tel Arsène Lupin, ou, pour un bref séjour, Guillaume Apollinaire, et ma pensée va à N*** à qui j’avais parlé de cette prison célèbre dont il ne connaissait pas le nom : en vérité, je suis très près du studio qu’il habite, et je m’étais alors étonné qu’il n’en sût rien — précisément.

J’achète un roman paru récemment que je trouve d’occasion chez Gibert, des chaussettes — décidément ! — à Monoprix, de la marque saluée par Etienne dans le commentaire d’un billet déjà ancien, pour un prix dérisoire…. Ce dernier n’a toujours pas répondu à mon SMS. Décidément (aussi !).

 

La température était fraîche ce matin, printanière, cet après-midi, autrement plus agréable en tous cas que les jours précédents.

Et je trouve jolis les garçons.

 

Soir

Je retrouve Patrice chez lui, avant d’aller au restaurant. Nous parlons assez longuement d’Anne, qui s’est installée à L**** et a ouvert une boutique de cordonnerie. Ses débuts sont assez difficiles, semble-t-il.

Patrice est en vacances, depuis le jour même. Il la rejoindra le lendemain. La mère d’Anne est tombée — je songe à celle d’Aymeric, ou, tout autant, à celle de T… —, a été hospitalisée, et, désormais sénile, sans autonomie, souffrant de la maladie d’Alzheimer, il n’était plus envisageable de la laisser seule chez elle (ce qui est aussi le sort de la mère de T., qui a quitté sa maison, si celle d’Aymeric conserve encore une relative autonomie) : comme elle a donc été placée en maison de retraite, les vacances de Patrice commenceront par la corvée particulière de vider son ancien appartement. Cet avant-goût de « fin de vie » a donné lieu à des frictions entre Anne et ses sœurs, spécialement sa sœur aînée peu disposée à entendre qu’Anne, venant d’ouvrir son commerce, était peu disponible, alors même que ladite sœur aînée est désormais à la retraite et aurait assez le loisir de s’occuper de certaines tâches. S’il n’y a pas de telles tensions — loin s’en faut, et j’en suis bien heureux — entre ma sœur et moi, ce que Patrice me raconte me rappelle une récente réunion entre mon père, ma sœur et moi, où mon père nous a exposé les dispositions qu’il avait prises au cas où il viendrait à disparaître ou être en incapacité d’assumer ma mère (elle-même sans autonomie, même relative).

Comme pour chasser l’amoncellement de nuées noires sur le territoire d’une vieillesse impotente, nous parlons de Emma, sa fille cadette, ce beau brin de jeune fille plein d’énergie et de finesse, de joliesse et de jeunesse, qu’aimait tant son oncle — et que j’ai vue quelques fois, me ralliant sans mal à l’avis de J.-M., tombant sous le charme moi aussi. Emma s’épanouit pleinement dans l’emploi qu’elle occupe, et, ayant gagné peu à peu la confiance de son patron, a désormais la responsabilité d’une des deux boulangeries que celui-ci possède.

 

Nous errons quelque peu avant de trouver le restaurant-bistrot où j’ai réservé. Nous découvrons là une carte où la cuisine africaine tient la première place. Je commande des « pastels », en me disant alors que le patron, qui se tient derrière son comptoir, est vraisemblablement d’origine sénégalaise. Les « pastels » qu’on me sert sont, en effet, l’occasion d’une anamnèse : j’ai surtout plaisir à retrouver, près de quarante ans après, la sauce tomate relevée et délicieuse qui accompagne ces beignets de poisson — que cuisinait Madeleine quand elle habitait chez nous et dont elle avait appris la recette à ma mère — recette désormais perdue, comme bien d’autres après la maladie de ma mère.

 

Nous poursuivons la conversation entamée à l’apéritif. Au moment où Patrice songeait à démissionner, on lui a accordé une promotion. De toute façon, il ne peut quitter son poste sans être assuré d’en retrouver un autre qui, s’il sera sans doute moins bien rémunéré, le rapprochera d’Anne. Il a postulé à Bordeaux, moins loin de Paris que L***, et demeure en attente d’une réponse.

 

Après le restaurant, il propose d’aller dans un bar dont il est familier. C’est un tout petit bar de quartier, peuplé d’habitués. Chacun s’apostrophe par son prénom. Le patron est chaleureux.

S’ils sont autrement plus agréables que les bâtons rompus de Francis, je ne peux m’empêcher de me dire que Patrice se montre spécialement prolixe — qu’il tient mieux l’alcool que moi, par ailleurs, alors que je m’enfonce dans une relative torpeur.

Je me décide à m’en aller.

Je rate le bus 96 d’une poignée de secondes. L’occasion m’est donnée ensuite de pester sur la longueur du trajet, et je me jure de ne plus contacter Patrice que lorsque je serai chez Pascal et F., Judith habitant décidément trop loin, et lui ne songeant pas à trouver un moyen terme entre nos deux géographies parisiennes !

*  *  *

Pas une seule fois le prénom de J.-M. n’a été prononcé, en dépit du fait que son anniversaire aurait été dans quatre jours. Mais son ombre, son orbe étaient proches — naturellement.

 

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