622 - À pas dansés (Paris-Bratislava-Vienne-Paris) (5)

Publié le par 1rΩm1

 

27 juillet

J’occupe ma matinée à des futilités (je finis par acheter une chemise en lin, après quelques hésitations, concernant notamment le repassage du vêtement, le lin se froissant beaucoup) — et à des conversations idiotes l’après-midi.

Francis m’a demandé de l’aider pour ses bagages quand il partira le lendemain. Il semble peu doué pour les choses matérielles.
Il a mangé le reste — la moitié au moins, et sans rien en laisser ! — de ma plaquette de chocolat. Je suis furieux contre lui.

Je m’exhorte à sortir. (Mais je me retrouve à souffrir dans mes nouvelles chaussures. Ce n’est pas mon jour. Qui plus est, j’ai mal à la gencive. J’achète une pommade que je sais efficace dans une pharmacie.) Je vais au musée de Cluny voir l’exposition sur les sculptures souabes, dont c’est le dernier jour.

© Internet

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(Evidemment, autre aiguillon ironique, Duncan n’a pas répondu au mail que je lui ai adressé hier.)

 

Soir

Je passe une soirée dense et chaleureuse avec Pascal, F. et Shun. (J’ai cru d’abord à un prénom américain et entendu Shun comme Sean, même si j’avais noté que la prononciation en différait quelque peu, mais en attribuant à Pascal, peu doué pour les langues — c’était un objet récurrent de plaisanterie de la part de J.-M. que son accent anglais —, une  façon erronée de prononcer… c’est en voyant plus tard le nom sur la sonnette que j’ai réalisé mon erreur…)

 

J’ai oublié le détail de ce que nous avons pu nous dire — peu importait en vérité —, mais je crois que nous étions tous contents de nous, Pascal, F. et moi, non pas individuellement, mais de « nous », et bien plus que, par exemple, de « nous retrouver » — à moins d’attribuer au verbe « retrouver » un sens plus figuré…

Lorsque j’arrive, Pascal et Shun (le voisin du dessus, dont j’ai déjà parlé, que je trouve d’ailleurs bien séduisant) viennent de descendre du toit après  avoir réparé la verrière de laquelle partent des fuites d’eau (Shun me montrera gentiment ensuite le théâtre des opérations, tout en me désignant, de façon suffisamment pédagogique pour ce que je puisse en comprendre les grandes lignes, le fruit de leur travail).

 

Pascal et F. ont prévu un apéritif copieux — presque dînatoire. Le whisky que, par précaution, je me suis fait servir en petite quantité par F. s’avère trop tourbé pour mon goût, et je me fais offrir un verre de celui que j’avais apporté la fois dernière, qui n’a pas encore été ouvert, en songeant que Pascal n’appréciera peut-être pas, précisément, qu’il soit si doux.

Je réussis à connecter le Wifi sur lequel F. s’est escrimé tout l’après-midi, pendant que Pascal prépare les plats.

 

 

Nous nous rendons ensuite dans un restaurant italien tout près du boulevard Voltaire. Le lieu est exigu et tout en longueur. L’entrée qu’on nous sert est quelconque, et Pascal manifeste de la mauvaise humeur. Il rudoie la serveuse ensuite à propos du vin [à six semaines de distance, j’ai oublié quel impair elle avait commis]. (A la fin du repas, comme pour se faire pardonner, il expliquera à la jeune fille, avec force sourires, les raisons de son comportement un peu abrupt.)

 

La conversation s’organise essentiellement autour de Shun. Lui me parle de ses enfants, dont je me souviens qu’ils étaient charmants, tout sourire dehors, quand ils m’avaient été présentés, puis lorsque je les avais emmenés en voiture, Shun, sa compagne et eux, à la gare de T****, le week-end où nous étions invités pour les cinquante ans de F. L’aînée, qui n’est qu’au collège, sait déjà ce qu’elle veut faire : une classe scientifique, puis une classe préparatoire aux écoles de commerce. Je trouve étonnante, à part moi, une telle détermination…

Pascal ne se montre pas spécialement adroit quand il me rapporte la vocation avortée de Shun, qui voulait être masseur-kinésithérapeute. Celui-ci m’en parle ensuite, comme pour se justifier, alors que Pascal et F. sont sortis, le premier pour fumer une cigarette sur le trottoir. (J’établis assez aisément une correspondance entre ces deux moments de nos conversations, en me demandant pourquoi — et en m'en irritant un peu — je reste la cible de pareilles considérations...)

Quoi qu’il en soit, Pascal prend soin de mettre en vedette Shun, non sans lui jouer un  numéro de charme — auquel d’ailleurs Shun ne semble pas indifférent, non plus qu’aucun d’entre nous ne trouve usurpée la séduction que déploie Pascal, sur le mode avant tout d'ailleurs de la badinerie. Et Pascal, avec son ascendant naturel, sait très bien faire cela.

Ainsi je suis pris à parti. Quel âge, à mon avis, Shun a-t-il ? La question me désarçonne un instant. Partant de l’idée, qui ressortit davantage à mon sens à l’expérience qu’au préjugé, que les Asiatiques paraissent généralement moins âgés qu’ils ne le sont en réalité, j’avance « trente-neuf ans » — proposition qui me paraît suffisamment délicate pour ne pas signer la quarantaine. Shun en a trente-six. « C’est son air sérieux », dit Pascal, tandis que Shun paraît un peu dépité de ma réponse…

 

Pascal n’a pas aimé l’exposition Le Corbusier. Je ne lui donne pas complètement tort, même si ce n’est ni la conception ni les substrats de l’exposition qui m’ont rebuté, mais bien plutôt ces projets de vie collective radieuse, d’autant que les réalisations architecturales ne m’ont pas toujours convaincu qu'une vie heureuse aurait pu avoir lieu dans ces habitats collectifs…

Et nous parlons naturellement de Patrice et Anne, que F. et lui ont vu il y a peu.

 

Le repas terminé, Shun, après que Pascal a entrepris la serveuse de ce qui lui a déplu, nous fausse compagnie : il travaille tôt le lendemain.

Nous prenons un taxi afin de nous rendre dans le bar du Marais où Pascal et F. ont leurs habitudes — le même qu’en juillet l’an dernier.

 

Pascal a payé mon repas ainsi que celui de Shun, sans que je puisse m’y opposer. Je monte à l’avant du taxi, afin de régler la course, plus vite qu’il ne pourrait le faire. Pascal et F. se lancent alors dans des plaisanteries, que je crois destinées au chauffeur, mais qui concernent le fait que j’occupe le siège avant auprès de lui. Ils m’expliqueront ensuite — je ne prends jamais de taxi, ni à Paris ni ailleurs — qu’en principe les passagers s’installent autant que possible à l’arrière. Au moins ai-je réussi à devancer le geste de Pascal — et paierai-je nos deux consommations à eux et moi ensuite.

Comme la fois dernière, dans ce bar, nous poursuivons notre conversation de bouche à oreille, en nous époumonant quelque peu.

Ce n’est pas le mode conversationnel que je préfère. A mon tour, je leur fausse compagnie, sous prétexte d’attraper le dernier métro. De fait, il est déjà tard, et nous avons également déjà beaucoup bu.

*  *  *

Francis est encore debout au moment où j’arrive.

Je lui demande s’il a bien apprécié la tablette de chocolat qu’il a dévorée. Il me dit que sa maladie — il a été diagnostiqué il y a peu comme atteint d’un début de maladie de Parkinson —, ou le traitement qu’il suit à cause d’elle, occasionne en lui de l’hyperphagie. « C’est pareil pour le sexe », me dit-il.

Cette nouvelle confidence, que je n’ai pas plus réclamée que la précédente, achève de me le révéler sous un mauvais jour. Et j’envoie une pique comme quoi ces envies ne doivent pas être simples à gérer pour lui !

 

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