636 - In memoriam J.-M. (8)

Publié le par 1rΩm1

 

Aéroport de Bangkok, 8 août 1988

Bonjour,

Me voici dangereusement embarqué pour la Birmanie.

« Dangereusement », parce que la lecture des journaux, ce matin, n’est pas très encourageante. Car figurez-vous que les étudiants birmans ont tenu à fêter mon arrivée en programmant une journée spéciale d’action étant donné la date, très symbolique du 08-08-88 : il est vrai que ça n’arrive pas tous les jours !

636 - In memoriam J.-M. (8)

Les journaux thaïs en anglais cèdent peut-être à quelque pente alarmiste ou inflationniste cependant… (Je cite : Jeroma Pauwels, 44, who on Saturday, cut short his visit to Burma after six days said :  “It was dangerous. I have never seen a country like this before although I have travelled extensively”.) Ce ne sont malgré tout ici que des échos lointains, alimentés de rumeurs, et, après avoir balancé quelque temps, j’ai décidé de prendre l’avion tout de même.

 

Rangoon-Mandaley, 9 août 1988

(NB – j’écris dans le train.)

Rangoon spectaculaire par son silence, sa tension, cet après-midi.

L’avion a atterri dans une région verte, gorgée d’eau, sous un ciel gris et chargé — dans un climat, une ambiance qui m’ont rappelé mon escale à Bombay l’an dernier. Nous nous sommes regroupés à six à l’aéroport pour faire avancer d’interminables formalités en de multiples exemplaires, changer de l’argent, commander un taxi (l’Etat contrôle le tourisme et pratiquement toutes les dépenses des voyageurs). Ainsi avons-nous pu également partager un taxi (deux, en fait).

Comme par hasard, nous avons logé dans le quartier « chaud » de la ville. L’ “hôtel” [je me souviens qu’il était bondé, et j’ai dormi ce soir-là sur une très grande table de la salle à manger, faute de chambre libre : à tout prendre, cela valait mieux que par terre…] plongeait ses fenêtres, en effet, sur une immense place où venaient se rassembler les émeutiers, face à l’hôtel de ville, entre un stupa doré et un imposant bâtiment colonial anglais… Des salves d’acclamations accueillaient l’arrivée de nouvelles délégations de jeunes gens, et le nombre croissant de manifestants impressionnait à mesure que la soirée avançait…

La pagode Sule (le "stupa doré", 09/02/2009)
La pagode Sule (le "stupa doré", 09/02/2009)

La pagode Sule (le "stupa doré", 09/02/2009)

 

A minuit, les soldats avaient ordre de tirer. Un quart d’heure avant l’heure dite, les soldats ont tiré et se sont déployés. (Des rumeurs, aujourd’hui, ont propagé la nouvelle qu’il y avait eu alors des morts. Pour notre part, nous avons plutôt eu l’impression qu’ils tiraient en l’air.) Voir avancer ses militaires en rangs serrés, fusils — que prolongeaient une baïonnette — menaçants et prêts à tirer [nous poignait d'autant plus que nous étions impuissants et regardions la scène d'en haut, de la fenêtre de l'hôtel à l'étage]...

A trois ou quatre reprises, une formation de soldats est venue relayer une autre, tandis qu’arrivaient encore des camions remplis de soldats… A l’autre bout de la place, l’on apercevait, également, un tank…

La foule a fini par se disperser. Mais les militaires ont gardé la place toute la nuit : ils l’occupaient encore au moment où nous sommes partis…

 

Ce matin, le Tourist Burma a ouvert ses portes à huit heures et fermé trois quarts d’heure plus tard, le temps de vendre quelques billets. Nous avons acheté des tickets de train pour Mandalay — et ce, avant d’apprendre que la situation là-bas était fort semblable à ce que nous voyions à Rangoon, voire pire encore…

Ce matin, les manifestations ont repris de plus belle. Nous avons sillonné la ville en taxi collectif afin de voir la pagode Schwedagon, le bouddha couché de Pégou, le lac royal, ainsi que d’autres pagodes où notre guide nous a menés.  Partout, nous avons croisé de longues cohortes de manifestants, convergeant de tous les environs de Rangoon… Les manifestants investissaient également les temples, et nous avons terminé notre visite de Schwedagon parmi des émeutiers au visage dissimulé par des cagoules agitant des drapeaux…

 

Dans Rangoon même, la plupart des commerces étaient fermés, et, dans le quartier de l’hôtel, quand nous y sommes revenus, cette ville morte présentait un visage angoissant dans son absence de vie, de circulation automobile, dans l’immobilité de ces soldats postés aux quatre points cardinaux de la place.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article