650 - À pas de crabe, à pas de cancre (1)
À pas de crabe, à pas de cancre
— Paris, Florence, Sienne, Florence, Paris —
Journal extime
(17-29 octobre 2015)
Samedi 17 octobre 2015, Paris
Tout en poussant ma valise à roulettes à ma droite, je chantonne dans les couloirs de métro une chanson qui, par association d’idées, célèbre le bonheur d’être à Paris.
Pourtant. Je déchante (déchantonne ?) bientôt.
Je ne sais ce qui se trouve à vif en moi, mais mon esprit allonge les inquiétudes, bout à bout, et — bout-de-ficelle-selle-de-cheval (car c’est bien de cela dont il s’agit) — les motifs de désarçonnement, si ce n’est de dépossession.
Quelque chose irait-il de travers ?
Voulant ouvrir mon journal sur ce site et compléter ce que j’ai déjà écrit si difficultueusement à propos de la journée du 3 août, je n’y parviens pas, incapable de me souvenir l’adresse électronique avec laquelle j’ai créé mon compte… Je m’entête à d’infinies variations possibles, qui échouent toutes. Le même phénomène s’était produit quand, l'automne précédent, j’étais arrivé à Florence, et je croyais m’en être prémuni. Mais je suis incapable de retrouver dans cette mémoire externe qu’est l’ordinateur le précieux sésame qui me permettrait de faire la soudure avec toutes ces vies virtuelles qui agitent désormais le cours de nos existences !
Ce n’est qu’en rentrant d’une balade infructueuse — sinon la satisfaction d’avoir trouvé d’occasion (déjà !) le dernier opus de Mathieu Riboulet — que j’aurai l’idée lumineuse de chercher ce sésame sur une clé Wifi, pour constater ensuite que, sur un autre serveur, l’accès aurait été immédiat !
Entre-temps, j’ai reçu un SMS de N***, qui, prévenu l’avant-veille de ma venue, me dit finalement ne pas être disponible le lendemain, requis par Jeff pour aller chercher à 130 kilomètres de Paris des décors de théâtre. Or, il me l’a dit, N*** part en Israël mardi, et mon lundi soir est déjà pris. Je l’appelle en tâchant de dissimuler mon dépit et lui propose de nous retrouver dans l’après-midi — sinon (ajouté-je) nous ne nous verrons que l’année prochaine, sachant déjà l’hiver trop peu favorable pour gîter ici. N*** accepte l’idée du lundi après-midi, mais je me reproche de lui avoir peut-être forcé la main.
Je suis donc libre de mon emploi du temps, mais sans savoir faire mien le mot de Montherlant : « vive qui m’abandonne, il me rend à moi-même » ! J’avais eu, primitivement, l’idée de réserver mon dimanche à Duncan, tout en donnant la priorité à N***. J’envoie donc un SMS au jeune homme.
Il me répond être pris, devant boire un verre avec un « homme merveilleux » dont il me dresse un portrait en raccourci — dont je ne vois pas tout de suite, en fait, qu’il me correspond. Entre-temps, j’ai ressenti une pointe de dépit et, tout aussi acéré, le clou de la jalousie, que j’ai pourtant aussitôt chassé pour en savoir la rigoureuse inutilité... — avant (donc) de comprendre enfin ! Un instant après, j’ai (donc) (enfin) compris, et nous avons convenu, non pas de dîner (Duncan devant partir à cinq heures pour Bordeaux le jour même — ai-je compris sur le moment, alors qu’en réalité il s’agissait du lendemain matin… ), mais de déjeuner ensemble. Abusé, et, pour profiter de lui plus longtemps, j’ai cherché un restaurant près de Montparnasse, dans le quartier de son frère… Et, pour y être allé déjà avec Aymeric, parce que l’endroit correspond à l’ancien Dingo American Bar où se réunissaient dans les années vingt les artistes américains, dont Hemingway et Scott Fitzgerald, ses familiers
parce que le soir où nous devions nous y rendre, Aymeric et moi, Duncan s’était hissé hors de sa bouche de métro, s’offrant à ma vue, que c’est ce soir-là que je l’avais alpagué et remorqué jusqu’à notre table pour le présenter à Aymeric, arrêté mon choix sur ce lieu — alors même que je sais bien l’esprit de Montparnasse perdu depuis longtemps…
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