666 - À pas de crabe, à pas de cancre (12)
Nuit du 26 au 27
La chambre d’hôtel est plus agréable et plus confortable qu’à l’aller. Je subis un trio de voisins bruyants, cependant. De parfaits sans-gêne : non seulement ils parlent fort, mais s’interpellent (en américain) dans les couloirs, se douchent longuement entre vingt-trois heures et plus de minuit trente. Je m’étais assoupi, mais ils me réveillent.
J’ai la gorge et nez pris, ce qui n’aide pas à me rendormir. Et je me trouve à nouveau réveillé par des bruits d’eau dans les tuyauteries du chauffage de l’hôtel. Il est à peine plus de cinq heures. Je ne parviens plus à trouver le sommeil.
Je dois me trouver dans une sotie gidienne, tel ce personnage ridicule au nom ridicule (Amédée Fleurissoire ?) aux prises avec des punaises dans les Caves du Vatican…
27 octobre
Après-midi, Paris
Si le ciel s’est assombri à mesure que nous survolions l’Ile-de-France, il fait chaud à Paris — aussi chaud qu’en Italie. Je suis trop habillé avec mon blouson de demi-saison.
Je pose mes bagages et fais des courses pour préparer un dîner prévu depuis avant mon départ avec B.
Soir
B. arrive tard, B. repart tôt.
Elle prévient par SMS qu’elle ne pourra être là avant vingt heures (je lui avais proposé de venir à partir de dix-neuf). J’ai mangé d’un mauvais sandwich à Orly, je me sais d’avance mourir de faim (j’ai appris par Danièle que l’estomac de François aussi était intolérant à quelque retard…), et je la maudis.
Je me radoucis cependant après un premier coup de téléphone : elle était aux prises avec quelque copropriétaire afin de démêler une affaire de syndic — énième épisode d’un long feuilleton dont je pouvais prédire qu’il n’était pas terminé…
Il est un peu plus de vingt heures quand je reçois un autre appel. B. erre dans le quartier sans savoir où aller. Son ton est plaintif autant qu’énervé. Je finis par comprendre où elle se trouve — dans la rue qu’Aymeric m’avait désigné comme « la plus courte de Paris », quand il m’avait retrouvé la dernière fois — et peux de la sorte la guider jusqu’à l’appartement.
Nous prenons un apéritif sommaire, tandis que je lance les opérations culinaires.
Elle me conte par le menu ses déboires nombreux avec le syndic professionnel, après s’être enquise de la dernière occasion où nous en avions parlé (en juillet), retraçant les événements qui se sont intercalés.
Elle y engouffre encore ses vacances.
Elle se plaint beaucoup.
Car elle se heurte à l’ingratitude, à l’incurie, à la mesquinerie, à la mauvaise foi si habituellement humaines.
Elle dit qu’elle était plus heureuse (je connais cette antienne !) quand elle était locataire.
Enfin, nous dînons. Alors que nous passons à table, B. s’exclame qu’elle a laissé chez elle le dessert acheté l’après-midi, qu’elle avait choisi selon mon goût (une tarte au citron, en l’occurrence).
Comme pour se punir, elle exige que je lui serve l’escalope la plus petite — de toute façon, argue-t-elle, elle ne mange presque plus de viande — ; elle ne voudra pas non plus de la moitié du cheese-cake au citron qui restait au réfrigérateur et dont je me demandais d'ailleurs quand j’en aurais l’emploi…
J’ai mis en œuvre la même recette qu’avec Aymeric. Je n’en reçois pas davantage d’écho. J’en conclus que mes invités n’aiment pas cette façon d’accommoder le poulet… et je suis déçu.
La conversation se relance d’elle-même sur les questions de syndic. Mais B. s’enquiert également si j’ai des nouvelles de A. J’invente — mais c’est moins peut-être qu’une invention, après tout plausible, qu’une improvisation, dont je me félicite bientôt, que A. a dû tourner une page. L’explication paraît satisfaire B. Voire : elle corrobore ma version (sans vrai développement) des agissements — du silence, plutôt ! — de A. Elle me précise toutefois que, pour elle, A. aurait dû le lui dire, qu’on ne laisse pas ainsi les amis dans l’attente de nouvelles, qu’elle aurait préféré que A. lui jette, même durement, qu’elle n’avait plus envie de poursuivre de relation avec elle. Quant à moi, qui n’ignore pas les ressentiments de A. à l’égard de B., qui ai toujours trouvé ceux-ci nettement exagérés et sans fondements vrais, je suis soulagé de n’avoir plus eu de nouvelles depuis la date de son anniversaire en mars, ce qui assoit mon interprétation imaginée tout à trac — et me soulage de n’avoir pas à nouveau à mentir.
Le dîner fini, je propose de nous asseoir plus confortablement au salon.
* * *
Bientôt B., prenant prétexte que je baille et que je dois souffrir comme elle du changement d’horaire qui a récemment eu lieu, pose bientôt son congé.
Je vais dans son sens, mais songe à part moi que nous avons passé à peine deux heures et demie ensemble…